Le commissaire général (2S) René Rame a écrit en 2002, à l’occasion des 50 ans de l’école du commissariat de l’air, un article très complet et très instructif sur le commissariat de l’air au lendemain de la seconde guerre mondiale et durant les 30 Glorieuses.
Nous commençons la rediffusion - en plusieurs épisodes - de cette chronique qui, au-delà des faits décrits, évoque un esprit, que l’on pourrait qualifier de pionnier, dans une Armée de l’air alors en plein renouveau.
1-A Alger, en 5ème région aérienne, 1946-1948
2-En Allemagne et en FATAC-1ère RA, 1956-1964
3-A Aix-en-Provence et à Chamalières, 1967-1973
4-En administration centrale, 1964-1967, 1973-1979
"A l'époque je
n'étais pas commissaire, mais j'évoque cette affectation au titre de
l'historique du service.
L'empire de la 5ème
RA comprenait toute l'Afrique du Nord, avec Air Tunisie (CBA de Tunis), Air
Algérie (CBA d'Alger et d'Oran), Air Maroc (sous-direction du commissariat à Rabat, coiffant trois CBA, Rabat, Mekhnès,
Marrakech).
Cette DRCA, avec
l'importance relative des questions traitées et leur variété, a constitué pour
le jeune aspirant sortant de l'Ecole Militaire d'Administration (terre),
préparant le concours d'entrée à l'Ecole Militaire de l'Air et pensant - pour un
avenir plus lointain - à l'Ecole Supérieure d'Intendance, un «stage en
entreprise» du plus grand intérêt…. J'ouvrais au maximum mes yeux et mes
oreilles… pas mal de choses ont donc été conservées en mémoire.
Le Commissariat de l’air à Alger
I
. C'est à cette époque que
l'Intendance de l'Air est devenue Commissariat de l'Air. Le facteur n'ayant pas
été prévenu, à plusieurs reprises, il a fallu aller chercher du courrier… au
commissariat de police voisin.
II . La France et les
territoires français ont continué de souffrir de pénurie plusieurs années après
la fin de la guerre, ce qui ne facilitait pas la vie de tous les jours. Faute
de containers, en cas de mutation, le transport des meubles personnels vers la
métropole demandait beaucoup de temps. La DRCA a donc fait confectionner par
l'Etablissement du commissariat d'Alger, plusieurs dizaines de cadres de
déménagement (8,10,12 m3) que l'on mettait à la disposition des
intéressés, ou plutôt de leur entreprise de déménagement. A l'arrivée en
métropole, ces cadres devaient être dirigés vers l'Etablissement du
Commissariat le plus proche pour réexpédition vers Alger. Les comptes rendus
d'expédition et de réception arrivaient plus ou moins bien, avec plus ou moins
de précision et progressivement, le suivi s'enfonçait dans la brume. Je me
souviens être allé à plusieurs reprises à l'Etablissement d'Hussein Dey, pour
faire le point sur place et y voir plus clair. Une quinzaine d'années plus
tard, dans d'autres circonstances, l'Etablissement de Chamalières à son tour
confectionnera des cadres de déménagement, en plus grand nombre (300).
III . Dans le domaine de la
pénurie encore, le service de santé nous a fait savoir qu'une épidémie (je ne
me souviens plus la nature exacte, pas catastrophique néanmoins) touchait
plusieurs bases aériennes. C'était une maladie transmise par les mains sales.
Pour y mettre un terme plus rapidement, il serait très utile d'affecter
d'urgence X kg de savon dans les organismes nourriciers. La DRCA s'est adressée
à l'autorité civile compétente pour obtenir une allocation supplémentaire
exceptionnelle de savon. Celle-ci a fait la sourde oreille. On a relancé et
après plusieurs mois, on a obtenu satisfaction…. A ce moment-là, l'épidémie n'était plus qu'un
mauvais souvenir ! La seule lenteur de l'administration avait réussi à vaincre
les méchants microbes !
IV . Du côté des personnels, j'étais plein d'admiration pour le directeur de
l'époque, le commissaire colonel CAILLAT*, futur directeur central. Après avoir
discuté posément d'une affaire avec l'officier
qui lui soumettait le dossier
(donc d'une complexité particulière), il disait à celui-ci : « voici ce
qu'il faut répondre ou faire » et il lui dictait le texte de la lettre
avec une facilité déconcertante, de la première à la dernière ligne, sans
hésiter, sans se reprendre…, Souvent, il préférait appeler mademoiselle A. qui
prenait le texte en sténo, donc plus vite que l'officier en cause. Je n'ai
jamais plus, au cours de ma carrière, rencontré une autre personne opérant de
la sorte, aussi aisément.
V . Autre personnage en bas de l'échelle, mais haut en couleur. Il y
avait, au bureau du courrier, une dame d'un certain âge, bien sympathique
d'ailleurs, dont la verdeur sans cesse renouvelée du langage avec les hommes
(sauf les officiers bien sûr), comme avec les femmes, était légendaire. Et cela
spontanément, sans la moindre incitation, sans la moindre animosité. En début
d'année, elle ne manquait pas de formuler à certains des vœux cocasses,
concernant leur intimité. Chaque nouvelle crudité verbale de cette personne
faisait immédiatement le tour de la DRCA. On se racontait «la dernière». Là
encore, je n'ai jamais rencontré d'autres personnes ayant un langage aussi
naturellement et spontanément «coloré».
VI . Au bas de la hiérarchie
également, un autre visage sympathique apparaît également, celui d'un planton.
Ancien tirailleur algérien, employé comme civil, il était le «bon à tout faire»
de la maison. D'une humeur toujours égale, d'une gentillesse et d'un dévouement
remarquables, il avait parfois des comportements surprenants. Sa logique pour
résoudre certains problèmes était vraiment particulière.
Le poêle à bois du
bureau matériels fumait. On lui demande d'essayer de trouver un tuyau pour
rehausser celui qui sortait du toit de la baraque (la DRCA était logée dans une
vaste baraque en bois) améliorant ainsi le tirage. Exécution. Quelques instants
après, en l'absence momentanée des occupants, il enlève, avec des gants, le
premier tuyau branché sur le poêle, prend une échelle et va le poser comme
indiqué sur le toit, se dirige alors vers le service infra, d'où il revient ½
heure après, un tuyau à la main. Il le pose à la sortie du poêle, en pleurant
et en toussant à cause de la fumée, rétablissant ainsi une continuité qui
n'aurait jamais dû être interrompue. Car le poêle était garni et l'on imagine
aisément le bureau "matériels" transformé rapidement en chambre à gaz, dans
laquelle ce brave planton a dû réaliser la dernière phase de l'opération…il a
bien fallu le féliciter pour son courage…!
C'est la seule
excentricité que j'ai retenue, mais il en a commis beaucoup d'autres…
La libération… en négatif
Début 1947, une
réunion a lieu à l'Etat-Major de la 5ème RA, objet : on ne sait
pas…mais il faut un officier pour représenter la DRCA.
Cette réunion
débutant après la fin du travail, je suis tout indiqué, comme aspirant, pour
faire des heures supplémentaires. On estime à la fois que j'ai les compétences
requises (je ne suis au service que depuis un mois ou deux) et que je suis
officier à part entière (ma nomination d'aspirant n'est pas encore sortie, bien
que je porte les galons). Bref, je me trouve dans mes petits souliers, en
prenant place autour d'une grande table avec des officiers supérieurs, présidés
par le chef d'Etat-Major de la 5ème RA en personne.
Objet de la réunion, que j'apprends à ce moment-là : quelles seraient, selon quels préalables…dans chaque
service ou bureau d'Etat-Major, les mesures urgentes à prendre en cas de
soulèvement important, voire généralisé, de la population indigène (Sétif - 8
mai 1945 et informations récentes) ; je réussis à tenir honorablement ma place,
connaissant dans les grandes lignes l'importance des stocks en 5ème
RA, les fonds régionaux, les mises en place de crédits etc. En sortant de la
réunion, je suis troublé, je me dis alors que je suis passé de l'autre côté de
la barrière. Il y a des hommes qui, comme ceux que j'ai fréquentés de 1942 à
1944 et comme moi-même, rêvent de prendre un jour les armes pour en chasser
d'autres, dont je fais partie. De quoi laisser rêveur un jeune philosophe….
Au passage,
soulignons que plus de sept ans avant le soulèvement de 1954, on en parlait
déjà.
L'éternel repli
Peu de temps après,
donc toujours début 1947, une assez vive tension règne entre l'Est et l'Ouest.
Notre direction centrale, sous le timbre que l'on imagine, demande que la DRCA
5ème RA étudie dans quelles conditions, selon quelle programmation,
l'Afrique du Nord pourrait accueillir le repli des formations AIR de métropole.
Le commissaire colonel CAILLAT, directeur régional, y travaillera
personnellement pendant au moins un mois, effectuant diverses liaisons au gouvernement
général, à l'Etat-Major 5ème RA etc. Je suis au bureau « matériels »
et nous lui fournissons les éléments qu'il nous demande. Son étude fera
l'admiration du jeune aspirant que je suis.
Il est vraiment des
idées tenaces. Ce repli vers l'AFN a déjà eu lieu en partie en 1940. On en reparlait en 1942, lorsque je suis entré dans l'armée, et
on en reparle en 1947… de quoi laisser
rêveur un jeune stratège…
Ce repli finira part
avoir lieu à partir de 1956, dans un cas de figure inverse, non pas à cause du
danger en Europe ou en France, mais à cause de l'aggravation de la situation en
Algérie : la France devenant la base arrière de l'Algérie.
L'addition, s'il vous plaît
Un peu plus tard
encore, notre direction centrale nous demande, cette fois, de lui faire
connaître le montant des dommages subis par l'armée de l'air, lors du
débarquement des alliés en novembre 1942…On ne voit guère d'autres possibilités
que de rechercher dans les archives les procès-verbaux de pertes et
détériorations des années 1942 à 1946. Je suis chargé de ce travail qui
m'intéresse vraiment.
En définitive, je ne
trouverai pas grand chose. La somme totale des pertes déclarées (matériels
toutes catégories) par documents officiels, a été vraiment minime.
De quoi laisser
rêveur un jeune bureaucrate curieux. Après lecture d'un ouvrage historique
récent, je me suis souvenu que les 71 appareils détruits et ceux endommagés,
ainsi que les destructions d'infrastructure, ne figuraient pas dans nos
archives.
Arrivant au CBA** d'Aix-en-Provence, en 1967, j'aurai le plaisir d'y trouver mademoiselle A.
parmi le personnel civil. J'apprendrai par elle ce qu'est devenue une partie du
petit monde d'Alger quitté en 1948.
VII . Un dernier souvenir, apparu tardivement…le travail le plus important
du bureau « matériels » était l'établissement de ce que l'on appelait
le «plan de campagne», expression annuelle des besoins en matériels
commissariat pour l'année à venir, destiné à la DCCA.
Pour tous les
matériels, un par un, on déterminait en fonction des dotations individuelles et
collectives, des prévisions d'effectifs fournies par l'Etat-Major, des stocks
etc…. Les affectations nécessaires à partir de la métropole ou pour les
réalisations locales, les crédits demandés. Tout se faisait manuellement bien
sûr. Le chef du bureau et son adjoint passaient plusieurs semaines à son
élaboration. Par la suite, en cours d'année, on en suivait, au fur et à mesure,
toujours article par article, la réalisation."
Adjoint : commissaire commandant, puis lieutenant-colonel TALIDEC.
Fonction personnelle : aspirant, adjoint au chef du bureau matériels, le lieutenant, puis capitaine MOREAU.
**Commissariat des bases de l'air