mercredi 23 octobre 2019

ECA 1965-66 : Des années d’exception(s)

Par le commissaire général (2S) Gérard Peyronnet

Dans les premiers jours de septembre 1965, le 7 exactement, un train de nuit bondé m’emportait de la côte Atlantique vers la Provence. Arrivé tôt le matin à Salon-de-Provence, je découvrais, les yeux voilés par des heures d’insomnie, une ville inconnue aux couleurs lumineuses et aux odeurs de garrigue amenées par un léger mistral ayant dégagé un ciel devenu intensément bleu. Rien d’exceptionnel à tout ceci pour ceux qui connaissaient déjà la Provence mais, pour moi, c’était le saut dans l’inconnu, un inconnu choisi.

Dès l’obtention de la licence de droit (maîtrise maintenant), j’avais passé au début de l’été les premiers concours administratifs  qui se présentaient : commissariats de l’air et de la marine. L’époque nous était favorable, beaucoup de places et très peu de candidats. Reçu à l’Air avec trois autres candidats,  je ne me présentais pas à l’oral de la Marine et décidais d’intégrer le commissariat de l’Air dont l’école était, comme encore aujourd’hui, à Salon.


Premiers pas avec l’École de l’air


Le BDE
Ce matin-là de septembre, après un long cheminement dans les rues salonaises, je trouvais enfin l’entrée de la BA 701. Pris en charge, je rejoignais, solidement encadré, le bâtiment des études (BDE), d’où l’on me dirigea, après avoir accompli quelques formalités administratives, vers le bâtiment Testard. Là, je découvris des jeunes gens en treillis vert, bien loin de ce que je m’étais imaginé des officiers de l’Armée de l’Air. Ils allaient devenir mes compagnons de route durant …trois mois. Leur accueil fut chaleureux et je devins le « croc » (1) du groupe. Deux ou trois jours passèrent et je ne voyais toujours pas arriver mes trois autres compères du concours. Il fallut se rendre à l’évidence, j’étais le seul à avoir intégré cette école. Sans le vouloir je devenais un être…exceptionnel.

© Michel Braud
Malgré cette situation particulière, je participais très normalement aux activités de la promotion 65 de l’École de l’air, y compris la phase d’intégration dénommée « bahutages » (2). Suivirent ensuite instruction militaire, maniement des armes, tirs, activités sportives et corvées domestiques entrecoupées d’examens médicaux, de piqûres, de prises de mensurations et bien d’autres choses encore (3). Mais rien côté commissariat.

Pierre Mesmer

En novembre, deux évènements hors normes vinrent troubler la vie bien huilée de l’École de l’air. D’abord, le baptême de la promotion (du nom du pilote « Tricornot de Rose ») qui coïncidait avec la célébration du trentième anniversaire de la fondation de l’école ; la cérémonie présidée par M. Pierre Mesmer, Premier Ministre, se déroula en nocturne sur la place Pelletier d’Oisy (PO). Ensuite, le lendemain, la remise des poignards, là encore de nuit et sur la PO. Une nouveauté. C’est un aspirant PN (pilote) de la promotion 64 qui me le remit. Toujours pas de commissaires à l’horizon !

La fin de la période de militarisation étant arrivée, on me pria de déménager et d’aller rejoindre la promo 64, celle des « aspi », dans le bâtiment  Brocard ; ces aspirants, après une année passée comme Poussins, logés en chambrées, bénéficiaient en deuxième année d’une transformation brutale de leur vie quotidienne : loger désormais en box particulier ! Etant moi-même déjà aspirant du fait de mon statut de commissaire de l’air, il avait paru normal que je puisse bénéficier de cette situation. Me voilà donc réinstallé avec une promotion dont je ne connaissais que la face « bahutages », puisqu’ils avaient été à la manoeuvre.


Les cours à l’Ecole du Commissariat de l’air (ECA)

Les cours commencèrent enfin. Nous étions trois élèves : un capitaine marocain, El Ayoubi, un capitaine burkinabé, Tiémoko Garango, et moi-même. L’officier burkinabé possédait une très belle Mercédès noire. Dans sa grande générosité, il voulut m’en faire profiter et pendant deux mois m’a transporté du Brocard à l’Ecole, soit seulement 500 m,  alors que mes camarades PN, mécaniciens et basiers (4) de la 65 s’époumonaient en courant autour de la place Pelletier d’Oisy. Mais ce privilège de transport cessa au début de l’année 1966, notre ami africain nous quittant pour devenir ministre des finances de son pays, à la suite de la prise du pouvoir par le général Sangoulé Lamizana en janvier (5). Et voilà, nous n’étions plus que deux !


Ma solitude me permit d’entretenir des liens privilégiés avec le directeur et les professeurs de l’école. Deux d’entre eux, étant à l’époque célibataires (les commissaires Auvergne, directeur, et Goedert, cadre), me firent découvrir durant les week-ends les beautés de la Provence mais aussi de très bons restaurants. Le directeur alla même jusqu’à me confier la clé de son appartement au cas où j’aurais souhaité troquer mon uniforme contre une tenue civile lors de mes pérégrinations dans Salon (nous ne devions pas quitter la tenue militaire). J’avoue que je n’ai jamais utilisé cette possibilité.

Vint le stage de ski à Ancelle début 1966. De retour à Salon, le bâtiment Brocard s’avéra fermé à clé, les aspirants effectuant alors leur semaine parisienne. Que faire ? Le commandement me donna la clé du bâtiment et, durant deux semaines, je vécus seul muni du laissez- passer permanent me permettant de sortir de l’Ecole à ma guise !

Une position exceptionnelle

Ma vie s’écoulait entre trois pôles, l’ECA (pour les cours de ma spécialité), la promo 65 (pour les stages ou visites à caractère militaire) et la promotion 64 avec laquelle je vivais au quotidien mais dont l’encadrement m’ignorait magistralement. Je compris très vite les avantages que je pouvais tirer de cette situation : une totale liberté dans le choix de mes activités hors commissariat. Et c’est ainsi que je décidais de me passer de sport collectif, préférant musarder sous le soleil provençal, au bord de la Touloubre ou ailleurs ! En juin, mon stratagème fut enfin découvert, et je fus astreint à quelques jours de « trou » dans les sous- sol du bâtiment des études.

Les cours de l’ECA se déroulaient dans la plus grande sérénité mais les absences de mon camarade marocain entraînaient la suspension des cours. Comme disait l’un des professeurs me voyant seul : « Je vais informer le directeur de cette école que je ne ferai pas cours à 50% de l’effectif ».

Ah ! Quelle année merveilleuse pour moi, à la fois seul et très entouré, libre et surveillé, premier et dernier à la fois !

En septembre 1966, début de la deuxième année à Aix, nous fûmes rejoints par deux lieutenants issus du recrutement interne (Jeannot et Cornu). Je terminai cette scolarité major de promotion (!!) et reçus des mains du commandant de l’Ecole de l’Air le prix remis aux majors, un chronomètre, que je conserve précieusement.

L’heure du choix du stage était enfin arrivée. Douze bases m’étaient proposées dont la base avancée de Hao en Polynésie. C’est bien entendu celle-ci que je choisis, devenant ainsi le premier commissaire de l’air stagiaire sur une base interarmées.

 A suivre.
(1) Ou « commi’croc », déclinaison argotique du mot « commissaire »
(2) A partir de 1974, les commissaires de l’air ne suivirent plus cette phase d’intégration des élèves de l’École de l’air,  puis y participèrent à nouveau dans les années 90-2000.
(3) Voir aussi les dessins de Michel Braud (ECA 68) publiés en juillet « Les ECA 68 en treillis »
(4) Les 3 corps d’officiers recrutés à l’École de l’air
(5) Général Tiémoko Garango : 1965 : Licence en droit public et sciences politiques, diplôme de l’école supérieure de l’intendance, de l’auditorat de l’institut des sciences politiques d’Aix-en- Provence. Centre d’Enseignement Militaire Supérieur de Paris (école supérieure de l’intendance) et spécialisation à l’école du Commissariat de l’air de Salon-en- Provence.
1966 : Ministre des Finances et du Commerce du premier Gouvernement militaire formé par le général Sangoulé Lamizana
1966 : Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Haute-Volta (non résident) auprès de la République de Chine.
1966-1976 : Gouverneur du Fonds Monétaire International
1968-1970 : Président de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest
1972-1975 : Président du Comité des ministres des finances chargé de la réforme des institutions de l’Union Monétaire Ouest Africaine
1977-1981 : Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire en République Fédérale d’Allemagne
1981-1983 : Ambassadeur auprès des Etats-Unis d’Amérique
1990 : Vice-Président du Conseil Economique et Social et Président de la Commission de Concertation Etat/Secteur Privé
1994-2000 : Médiateur du Faso
Décédé le 6 mars 2015