jeudi 22 août 2019

Conseiller économique des actions civilo-militaires

CRC2 de réserve Philippe Lemelletier

Les actions civilo-miltaires en OPEX  sont quelque peu méconnues, surtout dans leur partie économique. Pourtant le Commissariat de l’air y a largement participé, au moins dans les années 2000-2010 et plus particulièrement en ex-Yougoslavie, où sont intervenus les commissaires Aben, Chevet et d’autres, ainsi que l’auteur du présent article, pour la plupart réservistes.

Les actions civilo-militaires ?

Le  Centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE), unité interarmées basée à Lyon, est en charge des opérations civilo-militaires (1). La mission de ce centre est de faire apprécier, sinon accepter, la troupe étrangère, par la population, par des opérations d’influence sur les territoires d’opérations extérieures. Activités éminemment opérationnelles. Preuve s’il en est les décès survenus dans ces opérations ces dernières années (2).


Le CIAE est composé en grande partie de réservistes, choisis parmi des volontaires et possédant  des spécificités particulières (professeurs des universités, architectes et maîtres d’œuvre, chefs d’entreprises, avocats, conseillers de chambre de commerce, etc.) qui ne se trouvent pas nécessairement dans les armées. La tâche traditionnelle des ACM consiste en des opérations de reconstruction matérielle, de ponts, voies diverses, écoles… mais également de reconstruction économique.

Paysage d’après-guerre
Dans sa partie de reconstruction économique, les représentants des ACM interviennent plutôt en sortie de crise. Pour ce faire, les personnels ont pour mission de favoriser tout projet d’entreprise sur les théâtres et surtout de tisser des liens entre les entreprises autochtones et françaises. Ceci en nouant des contacts avec les entreprises présentes sur les théâtres, les ministères et autres décideurs économiques, et en faisant prospérer ces contacts.

Mes missions de CONSECO (3) en 2008 et 2009

C’est dans ce cadre d’action économique que l’auteur de cet article a été projeté en OPEX, après une courte préparation opérationnelle : rappel de formation militaire générale et spécifique sur la géographie et l’économie du territoire.

La rue principale de Film City
Le CONSECO était habilité « Kosovo Wide » c’est-à-dire pouvant intervenir sur l’ensemble du territoire - alors que les troupes de chaque pays de l’OTAN étaient cantonnées dans une zone déterminée – et faisait partie du Conseil hebdomadaire du Représentant de la France (REP France), auquel il devait rendre compte de ses actions, ainsi qu’au Commandant des actions civilo-militaires à Lyon. Il était installé à Prishtina, dans le camp de l’état-major de la KFOR (4) dénommé « Film City ».

Ce furent des missions particulièrement palpitantes (exciting)  qui ont permis d’établir de nombreux contacts, aussi bien avec les entreprises sur place ou les ministres du Kosovo, que de mener l’action à plus long terme, mais nécessaire, de relèvement des marchés publics internationaux ; puis la transmission de ces informations au ministère de la défense ou encore le suivi et l’accueil d’entreprises françaises qui se montraient intéressées par le territoire, avec leur accompagnement (problèmes de douane, fiscalité, contrats, rapports avec les juridictions, …). Mais aussi : des émissions à caractère économique sur la radio kosovare, une conférence pour l’université sur le droit français (5) ou la recherche d’informations lors de foires d’entreprises, l’organisation de colloques d’entreprises,…

Attachement à la culture française
En outre, ce fut véritablement des actions civiles et militaires puisqu’entre autres, le CONSECO a pu intervenir pour notre jeune ambassade, qui n’avait pas encore de conseiller commercial, en répondant à des questions posées par les entreprises depuis la France, avec l’autorisation du REP FRANCE bien entendu. Et ceci avec le suivi de préoccupations économiques, au sens large du terme, en prenant en compte les problèmes de sécurité liés à la centrale électrique ou aux barrages par exemple, ou à l’organisation de la visite des mines par l’ambassadrice de France ; sans oublier les préoccupations micro-économiques c’est-à-dire les problèmes concrets posés aux entreprises ou la vérification et la sélection d’interlocuteurs kosovars fiables, avec l’aide précieuse des gendarmes ou des renseignements militaires, véritable travail d’équipe.

Une ambassadrice de choc
Le bureau du CONSECO
Le CONSECO disposait de moyens suffisants : autorisation de prospecter l’ensemble du territoire, liaisons Internet avec les entreprises ou tout autre interlocuteur, documentation constituée par l’ensemble des conseillers économiques ayant occupé le poste, deux interprètes, l’un en albanais et l’autre en serbe, permettant aux CONSECO successifs  d’opérer des missions efficaces et génératrices de résultat. En effet, plusieurs contrats ont été signés tant par de grandes entreprises françaises que des PME.

Des missions tactiques mais aussi stratégiques

Bien sûr, chacun a amené ses connaissances et expériences professionnelles propres et a pu les valoriser, qu’il s’agisse de professeur d’université en économie, d’avocats, de chefs d’entreprises ou de conseillers de chambre de commerce. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice. En ce qui me concerne, mes expériences d’avocat d’entreprise, d’enseignant à l’université et celle de Conseiller du commerce extérieure de la France (CCEF) ont pu être particulièrement appréciées et m’ont permis de traiter l’ensemble des problèmes qui se sont présentés. Pour cette raison, il m’a été donné d’exposer la position économique du Kosovo dans la revue nationale des CCEF (6), et de produire une note sur la fiscalité au Kosovo, pour les discussions à venir concernant la convention fiscale internationale entre la France et ce pays. De même, j’ai pu éclairer sous un jour inhabituel le REP France, sur le ressenti de la population, et la mission économique basée en Bulgarie, sur la situation du terrain.

Au bout du compte, ces missions se sont avérées extrêmement utiles pour la France et ses entreprises, car elles ont été indubitablement un facteur de renforcement des relations entre les deux pays et ont amené certaines entreprises du Kosovo à échanger avec des entreprises françaises plutôt que d’autres. Et il est vraiment dommage que la mission ait été supprimée en 2010 au moment où elle commençait à bien prendre. Laissant ainsi le champ libre à des pays comme l’Allemagne, qui avec son ONG, GTZ, d’une vingtaine de personnes, pouvait continuer sa prospection et à engranger des contrats pour ses entreprises. Tout juste a-t-il été envisagé de mettre en place un VIE (7) pour assurer une certaine pérennité.

Une mission, trois effets

Pour finir, nous pouvons dire qu’à l’heure à laquelle le développement du commerce extérieur est toujours aussi essentiel, les missions économiques ACM sont un bon exemple de ce que l’Etat peut faire pour utiliser au mieux les deniers publics.
D’une part et pour l’avoir vécu pendant 8 mois, il faut imaginer l’impact que peut avoir la venue sur le terrain d’un militaire d’un Etat qui a participé à sauver une population ; d’emblée cet Etat et ses entreprises bénéficient d’un capital de reconnaissance et de sympathie indéniables, essentiels pour la signature des contrats et déjà, à ce stade, l’opération d’influence est réussie.
Ensuite, lorsque ce militaire est dans son autre vie, civile, apte à permettre la renaissance et le développement de l’économie locale, c’est-à-dire à permettre à chacun d’améliorer ses conditions de vie et en même temps à contribuer au fonctionnement de l’économie de son propre pays, alors et pour le même prix, c’est une double réussite. Ajoutons à cela un troisième effet : par son rôle de militaire stricto sensu, il permet d’éclairer sa hiérarchie sur les aspirations profondes des entreprises locales et ainsi d’améliorer la stabilité après des périodes difficiles. L’utilité des missions économiques ACM ne fait aucun doute.

CRC2 de réserve Philippe Lemelletier

Notes :
1 – ACM (ou CIMIC : Civil Military Cooperation)
2 - En 2012, 4 militaires ont perdu la vie dans ce type d’opérations.
3 – Conseiller économique
4 - KOSOVO FORCE (troupes de l’OTAN)
5 - Pour contrebalancer l’influence anglo-saxonne
6 - n° 543 (avril - mai 2009)
7 - Volontaire international en entreprise

L’auteur, membre de l'AMICAA, est avocat associé – E.JURIS à Bordeaux. Après une première affectation comme adjoint Réserve du chef des services administratifs de l’ARAA 623, il a été affecté sur la base 106 de 1992, date de son entrée dans le corps des commissaires de l’air, à fin 2011, d’abord comme commissaire adjoint du commissaire de base, puis comme adjoint du CSP. A participé à 2 OPEX au Kosovo ; est actuellement sous contrat de réserve opérationnelle au CFA.