dimanche 28 juillet 2019

Le leadership militaire intéresse les entreprises

Reprise d’une interview donnée par la CRG1 (2S) Patricia Costa à Céline Tridon de la revue « Chef d’entreprise » (avril 2009), que nous remercions.

« Guider ses équipes, un savoir-faire de leader 

Le chef d'entreprise doit motiver ses équipes. Comme à l'armée, où l'officier prend soin de ses équipiers et, notamment, des nouvelles recrues. Tous œuvrent à une mission commune. Explications avec Patricia Costa, ancienne commissaire générale de l'Armée de l'air.

Lorsque Patricia Costa rejoint l'Armée de l'air, les années quatre-vingts débutent à peine. Et cela fait juste trois ans que ce corps militaire s'est ouvert aux femmes.


Elle est l'une des premières à y avoir postulé et y passera 38 années de sa vie. Elle gravira les échelons, jusqu'à devenir officier général de l’Armée de l'air. Un titre dont seule une poignée de femmes peuvent se prévaloir en France. En revanche, elle ne pourra jamais devenir pilote : les femmes n'y seront autorisées qu'en 1998. Loin d'en tenir rigueur, celle qui officie depuis un an dans le secteur privé (après son départ de l'armée en 2018, elle a rejoint de grandes écoles privées en tant que consultante) conserve un souvenir bienveillant de son corps d'origine.

«Quand on est une femme dans un milieu d'hommes, forcément, il faut se battre. Il faut en faire plus pour se faire accepter, confie Patricia Costa. Mais, dans le milieu militaire, il y a aussi un réel avantage : nous avons tous un uniforme, donc des galons, donc un salaire égal. Au final, l’Armée de l’air m'a fait confiance: j'ai pu accéder à des grades élevés et vivre un métier passion.»

Selon elle, il s'agit d'une passion similaire à celle qui anime le chef d'entreprise : passion de créer, de produire, de conduire l'activité. Les militaires appellent cela une mission. Pour l'entrepreneur, c'est le challenge de conduire ses équipes. «Quand on voit que la majorité des gens vont au travail par obligation, sans passion, je pense qu'il faut faire quelque chose pour remotiver les équipes. C'est en cela que le modèle de leadership militaire peut aider. D'autant qu'il y a longtemps que le vocabulaire guerrier a envahi le secteur privé. En particulier, quand il s'agit de conquérir des investisseurs, des marchés, de se livrer une guerre concurrentielle sans merci...Et de parler de stratégie pour tout et n'importe quoi ! », ajoute Patricia Costa.

La figure forte du chef d'entreprise. 

Pour la générale, le mental fort d'un chef militaire, qui emmène ses troupes au combat, peut servir d'exemple au chef d'entreprise, qui a besoin que son équipe soit derrière lui pour améliorer les produits, devenir plus concurrentiel ou encore éviter une fermeture et des licenciements.

«L'exemplarité du chef est très importante pour les jeunes générations. C'est la base du Ieadership militaire. Quelqu'un qui n'est pas exemplaire est décrédibilisé. Pour les jeunes, la légitimité du chef ne réside pas uniquement dans la fonction de « chef », mais dans le fait qu'il soit celui qui les guide. Il a un certain niveau de connaissances. Il a un comportement de chef et il est bienveillant envers les plus jeunes. Le patron d'entreprise, s'il n'a pas ces qualités, ne peut pas tirer ses collaborateurs vers le haut», complète-t-elle.

Ce chef exemplaire doit aussi faire preuve d'humilité et être capable de partager son savoir. Dans l’Armée de l'air, il existe un principe, celui de "la fonction qui prime sur le grade": cela signifie que la compétence va parfois au-delà du grade, Dans un équipage, il arrive d'ailleurs que le moins gradé soit commandant de bord. «C'est un moyen de valoriser les équipes, souligne Patricia Costa. Dans l’Armée de l'air, des avions qui valent des millions d'euros sont confiés à des jeunes qui n'ont pas 30 ansUne appréciation de situation de guerre est également réalisée par un jeune officier de renseignement pour décision du chef qui va s’appuyer sur son analyse »



Dans l’entreprise comme dans l’Armée de l’air, il s’agit de donner le sens des responsabilités et de reconnaître les compétences de tous. Dans les entreprises, les jeunes générations sont souvent celles qui maîtrisent le mieux l’informatique ou les réseaux sociaux, par exemple. « Commander, c’est saisir l’humain qui est en nous et le transmettre à celui qui doit exécuter une tâche, quels que soient son rôle et son niveau, et quelle que soit la complexité de la tâche. Un jour que je me plaignais d'un subordonné, un de mes grands anciens m'a dit: « Il n’y a pas d’ordre mal exécuté, il n'y a que des ordres mal donnés. »  Quelle leçon d'humilité ! », avoue Patricia Costa.

Une nouvelle génération soignée. 

La caricature militaire est souvent facile : la figure autoritaire, la rigueur à l’extrême, les conditions de travail très difficiles figurent au nombre des a priori Pour Patricia Costa. il existe surtout dans l'armée, un véritable souci de l'humain.  «Derrière cette rigueur, une vraie attention est portée aux équipes. C’est indissociable,  au risque sinon de ne fabriquer que des machines. L’armée est notamment consciente de la fragilité des jeunes. C'est pourquoi elle veille à les faire progresser»,  affirme-t-elle.

Au sein de l'Année de l'air, l’encadrement passe par un système de parrainage. Par exemple, lorsqu'un jeune sous-officier mécanicien arrive en unité, il sera immédiatement pris en charge par un aîné, un adjudant ou un adjudant-chef. Ce dernier aura 15 à 20 ans de plus que la recrue, mais il sera son interlocuteur-clé, clairement identifié, pour toute demande, disponible pour répondre à la moindre interrogation.
De même, une attention particulière est portée à l'environnement du jeune militaire. « Je me souviens que lorsque je dirigeais près de 400 personnes lors de mon passage dans une grosse unité basée à Tours, je savais ce que faisaient mes équipes en dehors de leur temps de travail. L’un était sportif de haut niveau, l’autre écrivait des romans policiers, une autre se débattait avec sa mère gravement malade ... Quand un coup dur arrivait, j'étais au courant tout de suite et je pouvais les soutenir. A l'inverse,  je pouvais leur demander le maximum, voire plus quand c'était nécessaire». raconte Patricia Costa. Garant de la progression de ses équipes,  le chef militaire ou d'entreprise doit aussi veiller à leur bonne santé physique et morale. »

@CelineTridon