samedi 22 juin 2019

Informaticien en 1969

Par le commissaire général Bernard Roy

Dans le cadre d’un numéro spécial sur les 25 ans de l’informatique du Commissariat de l’air (publié en 1988), il avait paru intéressant d'interviewer le commissaire Roy (ECA 66) qui avait été affecté à deux reprises au service informatique du commissariat de l'air (propos recueillis par l'aviateur Saisix).

"Aviateur Saisix. - Monsieur le commissaire, vous avez été affecté au groupe de travail automatisation (GTA) d'octobre 1969 à janvier 1974 comme officier « applications » puis de nouveau d'octobre 1984 à août 1987 comme adjoint au sous-directeur méthode et informatique (SDMI). Pouvez-vous nous dire comment on devient informaticien dans le commissariat de l’air ?

Commissaire Roy.  Vous connaissez la procédure normale pour acquérir cette qualification. Les filières sont : INFO 1, IESTO, MIAGE ou INFO 2 (1).


A. S. - En ce qui vous concerne, je crois comprendre que vous n'avez suivi aucune de ces filières.

B. R. - En effet, j'ai été affecté directement au Groupe de Travail Automatisation à l'issue de mon stage sur base aérienne en Polynésie (1968-69).

A. S : Je pense cependant que, comme tous vos prédécesseurs, vous étiez volontaire et que vous aviez passé certains tests après l'école du commissariat.

B. R. - Absolument pas. Je puis vous dire que je n'étais pas du tout volontaire pour recevoir cette formation et ceci pour des raisons plus ou moins avouables !

La première était que je ne souhaitais pas être affecté à Paris. Ceci doit d'ailleurs être mentionné dans les desiderata de l'année 1969 portés lors de la notation.
La deuxième était qu'après la faculté puis l'école du commissariat, je n'avais pas envie de suivre à nouveau des cours.
Enfin, les cours d'initiation à l'informatique dispensés à Salon n'avaient pas été ma tasse de thé, ce qui s'était traduit par une des plus mauvaises notes lors des tests de contrôle !
Dans ma candeur, je pensais déjà que le bureau personnel prendrait en compte certains de ces éléments.

A. S. - Donc, votre affectation au GTA a été une surprise.

B. R.  Une surprise totale ! J'ai appris mon affectation par message au mois d'août 1969 alors que je profitais des charmes des Tuamotu. Il était précisé que je devais rejoindre impérativement la DCCA/GTA pour le 1er octobre 1969. Les projets de retour de Polynésie par l'Extrême-Orient tombaient à l'eau !

A. S. - Comment s'est déroulée votre formation?

B. R. - Avant de vous parler de ma formation en informatique, je crois nécessaire de vous dire rapidement quelques mots sur le service dans lequel j'arrivais.
C'était déjà un service en pleine ascension. Il venait d'ailleurs de la prouver en passant du 1er au 2e étage du bâtiment.
L'effectif était conséquent puisqu'on ne comptait pas moins de onze officiers dont cinq officiers supérieurs, autant de sous-officiers et quelques personnels civils apportant la note féminine nécessaire.
Tout ce beau monde travaillait en civil.

Dans les bureaux, point d'écran mais les tables étaient encombrées de bordereaux de perforations, de cartes perforées et de rubans de papier, les fameux rubans Friden (du nom des machines).

Le GTA ne disposait en propre d'aucun ordinateur et nous étions abonnés à un centre de traitement qui se trouvait dans les sous-sols de l'ENSTA (2)!
J'étais affecté en surnombre (3) et je me voyais placé dans une petite pièce en compagnie d'un jeune sergent que, paraît-il, je devais surveiller !
C'est dans ce contexte que j'allais entreprendre ma formation.

A. S. - Vous avez été impliqué directement dans une application informatique?

B. R. - Non, il ne faut rien exagérer. Je n'avais pas la science infuse en la matière ! Pendant environ cinq mois, j'ai suivi les cours de formation organisés par la société IBM.

A. S. - Vous avez donc été absent du service pendant près de six mois.

B. R. - Non. L'enseignement programmé IBM comprenait des cours oraux ou télévisés qui étaient dispensés dans les salles louées par la société dans Paris. J'y reviendrai.

Les autres cours demandaient un travail personnel basé sur l'étude de différents fascicules en fonction des questions traitées.
J'ai donc pratiqué l'alternance entre un travail personnel dans le service - ce fut notamment le cas pour l'étude du langage de programmation de l'époque, le COBOL - et des cours oraux diffusés en principe, chacun pendant une semaine en moyenne.

A. S. - Ce type de formation posait-il des problèmes ?

B. R. - Le problème majeur était de bien suivre les différentes phases de l'enseignement dans l'ordre prévu. Mais je n'étais pas abandonné, puisque l'adjoint au chef de service assurait la fonction de directeur des cours et j'étais parrainé par le chef de la division automatisation.
Le seul problème en dehors de l'assimilation de cette discipline, était de trouver les salles de cours car cela changeait très souvent. Ces salles se trouvaient en des lieux très dispersés dans Paris. L'une, notamment, était située au-dessus d'une boucherie dans un immeuble qui faisait l'angle de la rue Réaumur et de la rue Saint-Denis, et où nous étions assurés du spectacle pendant les pauses. D'autres salles étaient louées à l'épiscopat français ! Ce fut le cas du côté du Val de Grâce et de Duroc.
La qualité des cours et leur compréhension étaient très variables. L'important était de se trouver dans la ligne directrice du programme.

A. S. - Donc, votre formation théorique a duré cinq mois.

B. R. - Oui, mais après il a fallu mettre en pratique l'acquis obtenu. Cela ne s'est pas toujours passé sans mal et j'ai dû souvent reprendre mon ouvrage. Ce fut notamment le cas lors de la mise en pratique de mes connaissances de programmation. Pour les connaisseurs, il y avait des fichiers qui ne se fermaient pas ! Mes erreurs de JCL (Job Control Langage - interface entre l'utilisateur et la machine) faisaient rire certains.
Toutefois, j'ai rapidement été intégré dans l'équipe qui créait la chaîne de distribution individualisée d'effets d'habillement aux cadres. Beaucoup avait été fait pour les distributions jeunes recrues, aussi le terrain était-il bien défriché. J'ai appris énormément lors de l'élaboration de cette application sous la direction du chef de la Division automatisation qui ne ménageait pas son temps de travail ni le mien. L'aide des programmeurs était également très précieuse car je crois que dans cette discipline le travail d'équipe est indispensable.

De plus, nous assurions l'exploitation de nos chaînes et le contrôle des résultats. Que de souvenirs lors des passages en machine !

A. S. - Vous avez donc passé quatre années dans les applications matériels.

B. R. - Oui, après les distributions cadres, nous avons fait des calculs de stocks et avons élaboré avec la sous-direction des matériels les fameux TVH (Tableaux de volant habillement, par article et par taille ou pointure).

J'avais cependant exprimé le souhait d'être muté. C'était l'époque de la mise en place des premiers commissaires de base. Il avait été prévu que je sois affecté à Berlin. En fait, j'ai rejoint la DCA/FATAC-1ère RA à Metz !

A. S. - Vous êtes revenu dans le service dix ans après.

B. R. - Oui, et cette fois-ci j'étais volontaire. Beaucoup de choses avaient changé. Les cartes et rubans perforés avaient disparu. Tout un chacun pianotait sur une console !

J'ai bien essayé de me mettre au goût du jour mais, hélas, je me suis vite aperçu que mes neurones avaient beaucoup vieilli."

(1)Filières de l’époque
(2)Ecole nationale supérieure de techniques avancées (DGA)
(3) Mot désormais banni, je crois