Après l’analyse du dossier au SHD, l’amicale effectue systématiquement des recherches pour retrouver des membres de la famille pouvant apporter des informations complémentaires et permettre le recueil de précieux témoignages (1).
Aujourd’hui, c’est la nièce de deux commissaires de l’air, madame Dominique Lottin, qui permet à l’Amicale d’évoquer la mémoire de ses oncles, le commissaire général Xavier Leca et le commissaire colonel Pierre Lafuente, ainsi que celle de sa mère, Charlotte, soeur cadette de Xavier Leca, qui fût en poste à la DCCA de 1948 à 1958 en tant que secrétaire administrative.
Madame Lottin, que nous remercions vivement notamment pour son aide iconographique, est membre du Conseil Constitutionnel depuis octobre 2017 - ayant succédé à madame Nicole Belloubet - après avoir fait une carrière complète en magistrature de terrain (TGI d’Arras, Rouen, Nanterre ; Cour d’appel de Versailles, Rouen et Douai) puis en administration centrale.(IHEDN)
Le commissaire Xavier Leca, deuxième d’une famille de six enfants, est né le 28 janvier 1904 à Bisiano, hameau Corse situé à une vingtaine de kilomètres d’Ajaccio. On sait peu de choses de sa vie avant qu’il soit appelé sur le continent en 1924, à l’âge de 20 ans, titulaire du brevet élémentaire, pour y effectuer son service militaire. A défaut d'une photographie le représentant à cette époque, on peut cependant l'imaginer grâce aux données contenues dans son dossier d'incorporation : « 1m66, un visage ovale, yeux marrons et cheveux noirs, nez droit surmonté d'un front haut ». Même sa pointure, 43, est précisée.
Il effectue ses classes à Istres où une école de pilotage initial a été ouverte pendant la guerre et où le caporal Mermoz a obtenu son brevet de pilote en 1921. Xavier Leca est nommé caporal à Istres le 1er décembre 1924, au 2ème GOA (groupe des ouvriers d’aéronautique). Ces « ouvriers » sont en fait des militaires de l’armée de terre chargés de stocker, distribuer et réparer les matériels techniques (automobiles et avions) utilisés par une aviation qui ne dispose pas encore de son propre personnel.
Sous-officier mécanicien
Le 2 mai 1925, il est nommé sergent-fourrier, c’est-à-dire responsable des matériels en service, et se fait remarquer en écopant de dix jours d’arrêts de rigueur pour avoir « fait le mur » avec des soldats qu’il a couverts de son autorité au lieu de leur montrer le bon exemple. Malgré cette péripétie, la vie militaire semble lui convenir puisqu’il signe en fin d’année un engagement de deux ans et arrive, le 9 avril 1926, à l’école des mécaniciens de Nîmes où sont formés les futurs sous-officiers de cette spécialité. Mais la discipline reste son point faible. Il passe la moitié du mois de décembre aux arrêts (simples cette fois) pour avoir, malgré des rappels incessants, porté une tenue fantaisiste. La chose était pourtant fort courante à l’époque, la tenue que nous connaissons aujourd’hui n’ayant été définie qu’en 1929. Ses incartades ne l’empêchent pas de réussir brillamment son Brevet Supérieur de mécanicien (N° 3792), comme major de sa promotion.
NiD 29 au Bourget |
Officier d’administration
Sa progression professionnelle se poursuit dans de bonnes conditions et il envisage une carrière d’officier. En avril 1928, il passe avec succès les épreuves lui permettant de rejoindre l’Ecole militaire d’application de l’aéronautique, à Versailles, où il fait partie de la deuxième promotion d’ « officier comptable et encadrement » (2). A l’issue d’une scolarité d’un an, il arbore les galons de sous-lieutenant le 1er octobre 1931. Le spécialiste des moteurs d’avions est maintenant officier d’administration.
Dans sa promotion, quatre autres officiers feront également une carrière complète de commissaires de l’air : Jean Dionnet, René Pomarède, Joseph Talidec et Pierre Vayron. Son expérience de mécanicien l’oriente à nouveau vers une affectation relevant du Service du matériel, en l’occurrence vers le magasin général d’aviation n° 4 à Saint-Cyr, en région parisienne. Responsable de la comptabilité du matériel, il passe trois années à apprendre ce nouveau métier et gagne ses galons de lieutenant en 1933.
L’année suivante, il est affecté en Afrique. Peu après la création de l’Armée de l’air le 2 juillet 1934, il embarque à Marseille sur un vapeur de la compagnie Paquet, le paquebot Maréchal Lyautey, à destination de Dakar. Mais, désigné « pour servir à l’aéronautique de l’Afrique occidentale », il dépend alors du ministère des colonies auprès duquel il est placé en situation « hors cadres ».
Il est encore affecté dans une unité technique, le « Parc des fournitures aériennes de l’AOF » mais, outre la comptabilité du matériel, il a en charge la comptabilité financière. Grâce à six prolongations de séjour consécutives, il passe huit ans en Afrique de l’Ouest. Nommé capitaine - au choix- en 1939, il est promu adjoint administratif de l’Etat-Major air en AOF et ordonnateur secondaire pour ce territoire. Pourtant, au moment de la « drôle de guerre », il juge que son rôle est de combattre plutôt que d’administrer.
Dès le 2 septembre 1939, il demande à être désigné comme observateur en ballon, ou, à défaut, à passer dans les Chasseurs alpins où son frère aîné, père de six enfants, est déjà mobilisé. Essuyant un premier refus, il présente une nouvelle demande en proposant de prendre à ses frais des leçons de pilotage. Bien qu’appuyé sans réserve par son chef, le colonel Pelletier d’Oisy qui le juge « intelligent, débrouillard, ayant énormément d’allant et d’initiative », la direction du personnel de l’Armée de l’air, maintient son refus.
Le séjour dakarois s’achève avec un long témoignage de satisfaction qui se termine par une appréciation très élogieuse : « Officier d’un bel équilibre physique et moral. Peut servir d’exemple à tous ».
Commissaire de l’air.
Dewoitine D-338 d'Air France |
En quelques mois, sa vie va prendre un cours définitif. D’une part, il se marie le 16 septembre avec Edmée de Molène qui sera plus tard une des premières avocates au barreau de Paris, et, d’autre part, il va changer de métier une deuxième fois. Administré pendant son congé de fin de séjour par le Dépôt de personnel de Toulouse-Francazal, il est autorisé, le 28 mai, à présenter le concours pour devenir commissaire-ordonnateur de l’air, nouveau corps créé par une loi du mois de février.
Parmi les six officiers reçus à ce premier concours de 1942, il retrouve ses camarades de promotion à Versailles, Jean Dionnet et Joseph Talidec et trois de la promotion suivante : André Bertouin, Félicien Roussel et Maurice Tardy. Les vicissitudes de la guerre ne leur permettent pas de suivre la formation initialement prévue à l’Ecole supérieure de l’intendance. Nommés commissaires ordonnateurs adjoints (capitaines), ils sont affectés aussitôt sur un poste dans l’intendance de l’air… qui est le poste qu’ils occupent déjà depuis au moins un an. Tous, sauf le commissaire Xavier Leca qui va donc découvrir sur le terrain ce qu’est cette Intendance de l’air naissante dont il a eu un vague aperçu pendant ses trois derniers mois à Dakar (3).
Le destin va diriger le jeune commissaire-ordonnateur adjoint sur Alger et plus précisément à la direction de l’intendance de l’air où un intendant militaire détaché de l’armée de terre, Joseph Perret, administre toutes les unités de l’Armée de l’air implantées en Afrique du nord. Placé à un poste stratégique, Xavier Leca passe commissaire-ordonnateur de troisième classe (commandant) le 25 septembre 1943. Au lendemain de la libération de Paris, il représente Joseph Perret (devenu commissaire général deux mois plus tôt) auprès du général délégué du commissariat à l’air (4) sur le théâtre d’opérations sud, créé suite au débarquement en Provence le 15 août.
Cette mission s’achève le 1er novembre 1944 par une affectation à Paris comme adjoint du directeur de la nouvelle DIAAA (direction de l’intendance et de l’administration de l’Armée de l’air) dont le général Perret est à la fois le créateur et le premier directeur. Au total, Xavier Leca aura été son collaborateur direct et son homme de confiance pendant plus de dix ans. Son avancement est conforme à ses responsabilités et il passe commissaire-ordonnateur de 2ème classe (lieutenant-colonel) le 25 février 1945, soit à un an et demi de grade.
Ses fonctions au sein du service le font également intervenir dans des domaines connexes, par exemple lorsqu’il faut désigner un représentant du commissariat de l’air au conseil d’administration de la nouvelle revue (officieuse) de l’Armée de l’air « Forces aériennes françaises », c’est lui qui est choisi. Il écrit dans cette revue un article intitulé « Notes sur l’administration » qui témoigne de sa hauteur de vue (5). C’est aussi à lui qu’est confiée la charge de donner aux stagiaires de l’ESGA (Ecole supérieure de guerre aérienne) des conférences sur les attributions et sur l’organisation du commissariat de l’air.
Il est nommé commissaire-ordonnateur de 1ère classe (colonel) le 1er avril 1948. Un an plus tard, il participe au voyage de fin d’année de l’ESGA en Afrique. Récompense suprême, il devient le premier commissaire de l’air auditeur à l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale) qui ouvre sa troisième session en 1951.
Le 16 octobre 1952 il est nommé Directeur du commissariat de l’air en 2ème région aérienne dont le siège est alors à Paris, 35 rue Saint Didier. A 51 ans, il est promu au grade de commissaire général de brigade aérienne et nommé officier de la Légion d’Honneur.
Son dernier poste, de 1956 à 1960, est celui d’Inspecteur général du commissariat de l’air, poste créé par le commissaire général Perret, qui en fut aussi le premier titulaire (6). Six mois après avoir quitté cette fonction sur sa demande, il est placé « par anticipation » en deuxième section le 1er novembre 1960.
Portes 1981 |
Commissaire général (2S) François Aubry
Sources :
Dossier individuel détenu par le SHD sous la cote AI 1P 343 183 ; ses conférences à l’ESGA figurent dans le dossier AI 85 E 12597 ; Mme Lottin (photographies et éléments biographiques familiaux )
Notes:
1/ Commissaires généraux Habert (article du 12.10.2017) et Rouganiou (article du 29.08.2017), commissaires colonels de Raguenel (article du 20.09.2017) et Cognault (article du 4.01.2017). Dans deux cas, pour les généraux de Broca et Bilbault, les biographies ont été complétées par leur fils, eux-mêmes commissaires (cf. articles des 6 et 17 juin 2017).
2/Après la création du ministère de l’air, les officiers d’administration de l’aviation ne sont plus formés à Vincennes mais à Versailles à partir de 1929. Les officiers mécaniciens, formés aussi initialement à Vincennes, avaient, dès 1925, rejoint les élèves officiers pilotes à Versailles.
3/ Les unités de l’Armée de l’air en Afrique noire et en Orient relèvent du ministère des colonies jusqu’au 1er janvier 1942 et ne sont rattachées au ministre de l’air (ou Secrétariat d’État à l’air) qu’après cette date.
4/ Supprimé le 30 juillet 1940 au départ du général Pujo, le ministère de l’air est remplacé par un Secrétaire d’Etat à l’air installé à Vichy (Généraux Bergeret puis Jannekeyn). Un « Commissaire à l’air » dirige l’aviation gaulliste à Londres puis à Alger. Début 1944, ce « Commissaire à l’air » est Fernand Grenier au profit duquel est rétabli le ministère de l’air le 4 septembre.
5/ Le numéro 1 de Forces aériennes françaises date du 1er octobre 1946. Les « notes sur l’administration » du commissaire Leca paraissent entre janvier 1947 (FAF n° 9) et août 1947 (FAF n° 12). La revue FAF disparaît en 1971 avec le n° 278, remplacée par la revue Air Actualités.
6/ Voir notre article du 11 avril 2015.