mardi 22 janvier 2019

1950 Mission de liaison auprès des French Cadets en formation aux USA

Le commissaire général Henri Louet, ancien directeur central du commissariat de l’air (1978-1981), était sous-lieutenant dans le corps des officiers des services administratifs en 1950 (1) et affecté à l’ambassade de France à Washington en tant que « chargé de l’administration du détachement de l’air aux États-Unis ».

Ce détachement soutenait administrativement, au début des années 50, des pilotes, navigateurs et mécaniciens de l’Armée de l’air formés dans les écoles de l’USAF, avant de rejoindre leurs unités en France et en Allemagne (2).

Ces aviateurs étaient pris « en subsistances » par les américains dans le cadre d’un programme de formation OTAN mais l’Armée de l’air - via les services de l’attaché de l’air à Washington -  supervisait tous les aspects administratifs et de vie quotidienne.

Le commissaire général Louet a remis à l’AMICAA son compte-rendu d’une mission de liaison effectuée en août 1950 avec son chef, le colonel Albert Ladousse (3), auprès de ces aviateurs en formation dans trois écoles.

L'article est suivi d'un extrait des mémoires du général Jean Fleury, ancien chef d'état-major de l'Armée de l'air, relatif à son arrivée aux États-Unis comme jeune pilote.


19 août 1950 De Washington au golfe du Mexique

La mission porte principalement sur une inspection des élèves français à Randolph AFB (élèves pilotes), avec deux étapes préalables à Keesler AFB (élèves mécaniciens radar) et Ellington AFB  (élèves navigateurs).

Les deux officiers doivent décoller à 8h de Bolling AFB, base militaire au sud-est de Washington, le long du Potomac. Ils utilisent un Nord 1101 Noralpha (quadriplace à hélice, aux couleurs de l’Armée de l’air), vraisemblablement à disposition de l’attaché de l’air et de son adjoint. Le colonel Ladousse pilote et le sous-lieutenant Louet assure la fonction de navigateur. La première étape prévue est Keesler AFB dans le Mississipi (entre Mobile et La Nouvelle-Orléans) mais la météo n’est pas bonne en ce début de matinée. Le départ est donc retardé jusqu’à 12h20. Le compte-rendu indique que, lors du décollage, « l’avion a tendance à s’embarquer vers la gauche » mais l’avion vole bien, même si sa vitesse de croisière - 275 km/h - n’est pas élevée.  Cap au sud sur une distance de 1300 km. Le ciel est nuageux, et la chaleur étouffante dans le cockpit. L’avion doit voler à basse altitude, entre 500 et 1000 mètres, sous la couche, avec un vent de face qui le ralentit.

L’équipage survole la Virginie, la Caroline du nord et enfin la Caroline du sud. Après 3h10 de vol, ils se posent sur l’aérodrome civil de Spartanburg, font les pleins et redécollent pour Keesler. L’avion survole ensuite la Georgie, dans une chaleur toujours insupportable. Atlanta est contournée, avec ses fumées d’usines visibles de très loin, entre les nuages chargés de pluie, puis viennent les villes de Montgomery et Monroeville en Alabama. Sur le fleuve Alabama, un chapelet impressionnant de centaines de bateaux (Liberty ships et LST), en amont de Mobile, est en attente d’autres utilisations. L’avion se rapproche de la mer, survolant Biloxi (Mississipi) ville située sur une presqu’île au bord du golfe du Mexique, première colonie française permanente de Louisiane. « La vue est splendide dans le soir qui descend ». L’avion se pose à 20h à Keesler, à la nuit tombante, après 6h55 de vol.

Le colonel commandant-adjoint de la base accueille les deux officiers français, en présence de nombreux militaires américains, qui s’empressent de prendre des photos de l’appareil (4) et de son équipage. Sur cette base sont formés trois élèves mécaniciens-radar français. Leur rencontre est prévue au retour de la mission.

La journée n’est pas terminée car, après l’installation dans une villa, les visiteurs français sont invités à une « party » en leur honneur, qui se poursuit au « club des officiers » de la base. « L’orchestre est bon, le trompettiste venu de New-York est exceptionnel. Les danseuses sont bonnes. Nous rencontrons des françaises mariées à des américains lors de leur passage en France. Soirée très réussie ».

20 août 1950 De Keesler AFB à Ellington AFB

Le petit-déjeuner est pris au club avec le commandant-adjoint de la base, puis décollage pour rejoindre la seconde étape, Ellington AFB (Texas).

Cap à l’ouest cette fois. L’avion suit la côte du golfe à 1000 m d’altitude. La météo est bonne et la vue du lac Pontchartrain puis de la Nouvelle-Orléans est magnifique. Le Mississipi est survolé, irriguant les immenses cultures de canne à sucre, puis les forêts couvrant des marigots innombrables et une végétation aquatique dense. Après la Louisiane, le Texas est atteint. L’avion se pose à Ellington AFB après 2h45 de vol.

L’équipage est accueilli par le lieutenant D. de l’USAF et le sergent C., chef de détachement des élèves navigateurs français.

Au club, les visiteurs rencontrent les instructeurs américains des élèves navigateurs français. « Ils parlent un bon français et sont infiniment sympathiques ».

21 août 1950 Ellington AFB puis Randolph AFB

Réveil à 6h avec la sonnerie française enregistrée sur disque pour les élèves français. Les deux officiers rendent visite aux élèves en cours puis au colonel Lee, commandant la base.

Un vol de démonstration d’une heure est organisé sur Convair T-29 (surnommé classroom), aménagé pour recevoir dix élèves navigateurs. La ville de Houston est survolée. « Démonstration de perte de vitesse, appareil étonnant, très confortable et parfaitement bien équipé avec tous les appareils de navigation installés sur 10 tables où peuvent travailler à tour de rôle tous les élèves, qui sont vraiment gâtés ».

Après le déjeuner, l’équipage décolle pour la dernière étape, Randolph AFB (Texas), près de San Antonio et de la frontière mexicaine. Cap toujours à l’ouest. Survol de prairies avec troupeaux, de vastes espaces parfois boisés, et du fleuve Colorado.

Randolph est en vue avec ses immenses pistes, ses très nombreux avions d’entraînement T-6 Texan. Des B-29 sont également alignés, pour l’entraînement des équipages. « Tout semble au repos dans cette vaste plaine, chaude comme une fournaise ». En effet, ce lundi est jour de repos.

L’équipage est attendu à sa descente d’avion par le colonel F., USAF, chef du Training et le capitaine J., chef du détachement des élèves pilotes français. En fin de journée, les deux visiteurs se rendent à l’hôpital de San Antonio où se trouve un élève français, le sergent F., qui est en bonne voie de rétablissement. San Antonio affiche ses couleurs chaudes et son ambiance particulière, plus mexicaine qu’américaine.

22 août 1950 Réunions de travail à Randolph AFB

Lâcher d'un élève
La journée débute par une visite aux hangars du Training. « Les élèves sont en combinaison, bronzés à souhait. Les vols sont interrompus dans un vacarme de moteurs. Chaque élève attend son tour en potassant la théorie ».

Rencontres ensuite du colonel commandant le training puis du général commandant la base, avec lequel ils déjeunent au mess des cadets. Les noms des visiteurs seront désormais inscrits au tableau des invités de marque, selon un cérémonial particulier.

L’après-midi débute par une réunion des stagiaires français, avec l’étude des éliminations et les félicitations adressées aux bons élèves. Cette réunion est suivie d’une visite de l’école de perfectionnement des équipages sur B-29 Superfortress, ce bombardier étant à nouveau utilisé, en Corée cette fois.

En fin d’après-midi, cérémonie des couleurs avec défilé des élèves français. « Magnifique défilé avec musique. Les élèves français se comportent impeccablement ». La journée se termine avec un cocktail et un dîner officiel.

23 août 1950 second séjour à Keesler AFB

Décollage à 9h pour le vol retour vers Keesler AFB, cap à l’est cette fois, où l’avion atterri à 13h15. L’équipage est accueilli par le colonel commandant l’instruction radar et les trois élèves français. L’après-midi est consacrée à la visite de l’école, rassemblant 19 000 personnels dont 500 professeurs civils. Comme d’habitude, la soirée se termine avec un dîner officiel, en présence des trois élèves.

24 août 1950 retour à Washington

L’équipage reprend la même route qu’à l’aller, se posant à Spartanburg après un vol de 3h30. Une fois les pleins effectués, décollage pour Bolling AFB, atteint après 3h10 de vol. La mission est terminée, avec un total de 22h45 de vol. L’avion est rentré dans son hangar, les parachutes et combinaisons sont rendus. Le compte-rendu se termine sur le commentaire suivant : « Ce beau voyage est terminé ».

(1) Henri Louet entre dans la Résistance à dix-neuf ans et participe aux combats de la Libération. Il est blessé le 27 juillet 1944 au cours d'un combat dans la forêt de Brouard (Loir et Cher). Il entre dans l'Armée de l'air le 15 janvier 1945 et est admis à l'Ecole militaire de l'air en 1947 avec la promotion « Capitaine Béraud ». Il rejoint le commissariat de l’air en 1959 à l’issue de sa formation à l’école supérieure d’intendance (ESI).
(2) Cf. Icare n°220
(3) Attaché de l’air adjoint à l’ambassade et « commandant du détachement de l’air aux États-Unis » ; 27 05 1908 – 2 08 1992, X1927, ancien des groupes lourds des FFL 
(4) Appareil historique construit par Nord-Aviation sur les plans du Messerschmitt 208, et certainement seul avion de ce type volant aux USA, ce qui explique la curiosité des militaires américains.

Général Jean Fleury (1)
"Faire face- Mémoires d’un chef d’état-major" (Ed Picollec 1997)


(1) Commandant les Forces aériennes stratégiques à Taverny, chef de l'état-major particulier du Président de la République, chef d'état-major de l'Armée de l'air (1989-1991), Président d'Aéroports de Paris de 1992 à 1999, Conseiller économique et social régional de Bretagne de 2001 à 2006.