3 questions au commissaire général hors classe Jean-Pierre Laroche de Roussane, Inspecteur du Commissariat des Armées
Cet interview est diffusé à l'occasion de la cérémonie du 29 novembre 2018, célébrant aux Invalides, sous la présidence du CEMA, cinq années de soutien rénové de proximité par le SCA, sous la formule "SCA NG".
"Fort d’une carrière de 40 années dont 27 parisiennes en administration centrale, le commissaire général hors classe Jean Pierre Laroche de Roussane est l’inspecteur du commissariat des armées depuis janvier 2016 après avoir été directeur central adjoint du service d’avril 2011 à décembre 2015, en pleine période de mutation du Commissariat des armées*.
1) Après avoir participé à la conception et à la construction des bases de défense et du service du commissariat des armées, comment analysez-vous le chemin parcouru depuis 10 ans ?
Les premières réflexions et actions sont beaucoup plus anciennes. Le mouvement de mutualisation et de rationalisation de l’environnement et du soutien des forces a commencé il y a près de 60 ans. Il a permis indéniablement de moderniser nos armées au sortir des conflits coloniaux. Au tournant des années 2000, la suspension de la conscription a privé nos armées d’une ressource abondante et peu coûteuse. Elle nous a conduits - presque « malgré nous » - à une modernisation accélérée de nos soutiens qui, sous la contrainte de ressources toujours plus limitées, ne pouvait passer que par la mutualisation complète et la professionnalisation accrue. Je ne sais pas si c’est un bien, mais je sais que c’est une nécessité.
Comme toute démarche de transformation, celle des soutiens est jalonnée d’écueils : pression calendaire, insuffisance d’expertise interne, besoin d’accompagnement interne et externe. Même s’il faut éviter de singer le secteur privé et son vocabulaire souvent dépourvu de sens au regard de notre culture, nous devons en considérer les apports méthodologiques sans a priori, dès lors que le seul dévouement des hommes et des femmes du soutien, civils et militaires, ne suffit plus à remplir la mission de manière pérenne. Sans cesse, il faut adapter l’organisation, moderniser les processus et justifier l’affectation des ressources.
Il s’agit d’un séisme pour nos organisations et nos traditions, mais c’est probablement le prix à payer pour faire entrer les soutiens dans le XXIème siècle. A l’heure où il faut penser attractivité et fidélisation, la qualité du soutien rapporté aux normes du monde qui nous entoure est devenue un impératif. S’il faut bien sûr veiller à éviter la « sécularisation » des militaires, nous ne pouvons ériger en objectif des errements d’un autre âge. Des progrès, des évolutions, se sont produits depuis 10 ans : en regardant le verre à moitié vide, je dirais que le soutien s’est maintenu alors qu’en 10 ans, à périmètre constant, il perdait près de 10 000 postes ; pour regarder le verre à moitié plein, je dirais que nous avons simplement posé les bases de la modernisation du soutien, celle-ci doit maintenant se développer et produire ses effets.
Ce mouvement n’affaiblit-il pas nos forces militaires ?
Voilà une question légitime et pertinente ! La raison même de l’existence de soutiens militaires est bien de renforcer les armées en leur donnant une meilleure résilience, en leur permettant de manière continue et au plus près de leur déploiement, de reconstituer leurs capacités techniques et humaines. En ce sens, je ne vais pas vous étonner en répondant à votre question par la négative, voire en vous disant que face à la nécessité de participer à la modernisation du monde, le mouvement de mutualisation a garanti nos forces militaires.
En effet, les bases de défense et le service du commissariat des armées sont subordonnés depuis leur création au chef d’état-major des armées qui a autorité sur les chefs d’état-major d’armée et les directeurs des services (à l’exception du service d’infrastructure de la défense (SID). La construction qui en résulte paraît très pyramidale et intégrée -mais nos formats ne se prêtent plus à la dispersion de ressources toujours trop rares - justifiant la critique d’une « organisation et un fonctionnement en tuyaux d’orgue ».
Cette crainte est heureusement tempérée par des relais locaux et des passerelles. C’est bien là un objet de la transformation du SCA dans le projet SCA 22 qui permet, après avoir regroupé les moyens, de construire des pôles de proximité au plus près des grandes formations des armées. Ce dispositif se nourrit d’un dialogue forces-soutien à tous les niveaux, des états-majors centraux aux formations de terrain. Les tuyaux sont en réalité très perméables. De plus, l’organisation du commandement en opérations, quel qu’en soit le théâtre, est fondée sur la constitution d’éléments de force et de soutien intégrés, provenant les uns et les autres de réservoirs organiques. La continuité Paix-crise-guerre se vit tous les jours.
Au résultat, le soutien commissariat de 2018 est-il au rendez-vous des attentes des forces ?
Je suis entré à l’école du commissariat de la marine en 1978, il y a 40 ans ! Sur cette durée, puis-je dire « c’était mieux avant » ? Sincèrement, non, mais si je reste prudent, je n’ai que deux certitudes, c’était différent et rien n’est jamais terminé ou acquis. En 1978, nous étions 590 000 militaires dans les armées avec 340 000 appelés du contingent ; aujourd’hui, nous sommes à peine plus de 200 000 « professionnels » et nous travaillons de manière plus visible avec des structures militaires de soutien, dont la moitié des agents est civile. Nous travaillons avec des ordinateurs (PC), des tablettes, des smartphones … et des voitures en nombre, en ayant toujours le sentiment de ne pas en avoir suffisamment alors qu’il y a 20 ou 30 ans, nous n’avions pas tout cela et nous vivions en usant des moyens tactiques.
Oui, le SCA est presque au rendez-vous, avec certes encore des insuffisances dont il serait trop long d’analyser ici toutes les causes (ressources budgétaires et humaines insuffisantes, infrastructures obsolètes, systèmes d’information en retard) ou les blocages culturels. Les voies d’amélioration passent toutes par l’échange et le partage avec les états-majors. En effet, les attentes des armées sont particulièrement dynamiques et évolutives : la guerre et les différents conflits armés sont en évolutions constantes, tant techniques que conceptuelles; les besoins des militaires et de leurs familles sont également évolutifs à l’image de notre monde.
Sous l’autorité et l’arbitrage du CEMA, il appartient aux chefs des armées et aux responsables des soutiens de dialoguer en permanence afin qu’entre le nécessaire, le désirable et le possible, entre les attentes et les moyens, non seulement la rencontre soit organisée et permanente, mais que le chemin soit toujours aplani.
*Juriste et marin de formation, il a pratiqué en local le soutien, le droit de la mer, puis, au niveau central, la prospective synthèse et la montée en puissance de la fusion des commissariats dont il a été le chargé de mission avant d’être le chef de bureau de la modernisation de l’administration des armées à l’EMA. Il a donc été directement aux manettes et a vécu de l’intérieur la fusion des soutiens et en y apportant ses capacités de « facility manager », doublées d’une connaissance approfondie de l’état et de ses rouages, des armées, de leurs soutiens et des besoins de modernisation de ce domaine. Sa grande expérience de l’administration centrale reste cependant proche des besoins du terrain, qu’il visite deux fois par mois, à l’occasion de ses inspections.
Sources : État-major des armées
Droits : Ministère de la Défense
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