lundi 2 avril 2018

Le recrutement des premiers commissaires ordonnateurs de l'air

Commissaire général (2S) François Aubry 

L’amicale poursuit ses recherches sur les débuts du corps des commissaires de l’air et du service du commissariat de l’air. Le commissaire général (2S) François Aubry nous livre une mine d’informations, inconnues jusque-là, sur la création précipitée des « commissariats de l’air » (au pluriel) et l’affectation provisoire d’intendants de l’air (en réalité des intendants détachés auprès de l’Armée de l’air ou faisant fonction), dans  l’attente du recrutement des premiers commissaires ordonnateurs de l’air. Tout rentrera dans l’ordre avec la loi et le décret du 17 février 1942.


Une création dans la précipitation


Une note du Secrétaire d’Etat à l’aviation au service du personnel de l’Armée de l’air, reprise par l’EMAA dans une note aux commandants des deux régions aériennes existantes en zone libre (1ère RA à Aix-en-Provence et 2ème RA à Toulouse), toutes deux datées du 1er décembre 1940, portent en objet sur la « création des commissariats de l’air » dès le 1er janvier 1941 et la création prochaine «d’un corps de commissaires ordonnateurs de l’air », en précisant toutefois que « les affectations seront faites à titre provisoire en attendant qu’un décret fixe l’organisation d’un corps de commissaires ordonnateurs de l’air ».

Destinées à préparer concrètement le recrutement de ce nouveau corps d’officiers, ces deux notes – au texte identique - précisent qu’ils devront « faire preuve d’un esprit ouvert et méthodique, avoir une culture générale très étendue, orientée déjà vers les questions de droit, de logistique et d’administration ». Paradoxalement, c’est la défaite de mai 1940 qui a permis cette initiative hardie visant à doter ce qui restait de l’Armée de l’air, après l’armistice, d’une administration se voulant moderne et autonome.

Mais, fait surprenant, l’expression « commissaire ordonnateur de l’air » n’est pas reprise par la loi de finances du 28 décembre 1940, élément déclencheur de la réforme, au plan administratif, et qui autorise l’ouverture de douze postes budgétaires…d’intendants de l’air. Les termes de « commissaire de l’air », pourtant déjà utilisés par le  gouvernement et le Parlement en 1934 (2) et dans ces notes du 1er décembre, n’ont pas été repris dans la loi, probablement par souci d’harmonisation avec les institutions jumelles : intendance militaire (armée de terre), intendance maritime et intendance coloniale. La loi évoque donc un corps, celui des « intendants de l’air » (voire « d’intendants ordonnateurs de l’air » dans les tableaux d’effectifs), qui n’existe pas encore, ce qui va conduire l’Armée de l’air à pourvoir « provisoirement » les postes avec des corps d’officiers existants, comme nous allons le voir.

Général Bergeret
Le vote de cette loi a résulté des efforts conjugués du nouveau Secrétaire d’Etat à l’aviation, le général Bergeret, négociateur de Rethondes désireux de créer une Armée de l’air restreinte mais de qualité, et d’Yves Bouthillier, ministre des finances, soucieux de rationaliser le circuit d’ordonnancement des crédits budgétaires que les successives « réformes provisoires » de l’Armée de l’air avaient rendu progressivement inextricable.
Yves Bouthillier
 Anticipant l’ouverture des droits budgétaires, l’EMAA détermine au cours de ce mois de décembre 1940 l’organisation et les attributions des futurs éléments du service tout en lançant en moins de quinze jours une prospection destinée à pourvoir aux nouveaux emplois. Un message téléphoné est adressé le 27 décembre aux deux commandants de région aérienne en zone libre, détaillant les postes créés ainsi que le nom de leurs titulaires (3).

En première région aérienne, une « Intendance régionale de l’air » (IRA) est créée à Aix-en-Provence, dirigée par un intendant militaire de 1ère classe (colonel) pris parmi les intendants détachés depuis 1936 auprès des principaux échelons de commandement de l’Armée de l’air. Il a sous ses ordres un chef de bureau, assisté de deux officiers d’administration et de quatre employés de bureau. Soit un total de huit personnes. La même formule est appliquée en deuxième région aérienne, à Toulouse. Aucun des officiers impliqués dans la réforme au niveau régional ne deviendra ensuite commissaire de l’air, à l’exception de « l’agent de 1ère classe » (capitaine) Jean Tanguy, officier de bureau à Aix, qui deviendra intendant de l’air un an plus tard et finira sa carrière comme commissaire général en 1956.

Le point clé de la réforme est la création de sept « Intendances des bases de l’air » (IBA), organismes d’administration de proximité et ancêtres directs des Commissariats des bases de l’air (CBA) :
- Trois IBA sont créées en 1ère RA à Lyon-Bron, Salon-de-Provence et Montpellier
- Quatre  IBA sont créées en 2ème RA à Châteauroux, Limoges, Clermont-Ferrand et Toulouse.

L’organisation des Intendances locales est standardisée avec, pour chacune, un chef de service, un chef des bureaux et quatre employés civils. Les attributions sont identiques en région et au niveau local pour ce qui est de la comptabilité (finance ou matière) ainsi que pour les transports et des déplacements. La région traite en propre des marchés et de la vérification sur pièces. Les contrats d’engagement et la surveillance des unités sur place incombant aux IBA.

Au total, outre les douze « intendants de l’air (4) » et les treize responsables de bureaux, 38 sous-officiers sont nécessaires ainsi que 56 spécialistes et 9 dactylographes.
             
Il faut souligner au passage l’originalité des méthodes adoptées : les directives sont données par téléphone ou télégrammes, aussitôt confirmées par lettres et envoyées par avion. Autre particularité : le nouveau service n’a pas de rattachement unique à l’échelon central. Jusqu’en mars 1941 la tutelle est partagée entre le 1er Bureau de l’EMAA, situé à Vichy, et le Service du personnel de l’Armée de l’air, situé à Chamalières. Les deux bureaux dépendent du deuxième sous-chef, le colonel Astruc. La synthèse est effectuée par l’intendant de 1ère classe André Dufait et un intendant réserviste, Daumain, tous deux conseillers techniques affectés à la deuxième section « législation, administration générale, budget » du 1er bureau. Cette section est dirigée par le lieutenant-colonel Andrieu, pilote, et on y trouve également le capitaine Albert Roynette qui vient de se distinguer en créant les fonds d’avance dans l’armée de l’air.

Douze postes d’intendants de l’air à pourvoir

Cre Pierre de Broca
Les douze postes ne pouvant être pourvus par les intendants de l’armée de terre déjà en place auprès de l’Armée de l’air, il fallut créer et définir, en attendant la parution d’un véritable statut, l’expression : « faisant fonction d’intendant ». Parmi les officiers « faisant fonction » et ayant donc vocation à devenir Intendants de l’air, trois le deviendront effectivement : Le plus ancien et le premier à avoir postulé… déjà en 1938, est le commandant Pierre de Broca (5), ancien pilote, rappelé de congé d’armistice et qui prend en charge l’IBA de Clermont-Ferrand, la plus délicate compte tenu de la proximité de Vichy.
Cre Tardy
Deux capitaines, chefs de service, l’un à Limoges (Maurice Tardy) et l’autre à Toulouse (André Bertouin) suivront la même voie. Le premier finira sa carrière comme commissaire général en 1960, directeur du commissariat à Aix, et le second achèvera la sienne en 1961 à la direction du commissariat de la 5ème RA à Alger comme commissaire colonel.

Cre Bertouin

Cre Roussel
Aucun des quatre intendants de l’armée de terre impliqués dans cette réforme n’a opté ultérieurement pour un changement d’armée, sans doute devant les incertitudes tenant à l’avenir de ce nouveau service et de ce nouveau corps d’administrateur. Ainsi, des postes se sont trouvés disponibles un an plus tard au profit des officiers d’administration chefs de bureaux. Trois d’entre eux deviendront également commissaires : Godefroy à Salon de Provence, Félicien Roussel à Montpellier et Jean Dionnet à Châteauroux.
Cre Dionnet
Le dossier du premier n'a pas été retrouvé mais on sait que les deux autres ont terminé leur carrière comme commissaire colonel : Frédéric Roussel en 1950 après six ans au CBA de Clermont-Ferrand et Jean Dionnet en 1958 après huit ans comme sous-directeur administratif au Service du matériel de l’Armée de l’air.

Pour finaliser la mise en place de ce dispositif précipité, tous les officiers désignés pour une IBA sont convoqués à Vichy le lundi 30 décembre 1940 à 8h du matin, avec pour principale consigne d’être en poste … le 1er janvier suivant.  L’EMAA ayant demandé au préalable aux commandants de région de lui « rendre compte si des locaux suffisants ont bien été mis dans toutes les bases à la disposition des Intendants», on peut penser que le nécessaire a dû être fait.

Seule la zone libre était concernée au départ par cette réforme expéditive. Elle sera progressivement étendue à l’Afrique du nord (Algérie, Maroc, Tunisie) puis sous forme d’une « antenne parisienne » en zone occupée, les territoires outre-mer n’étant pas concernés car relevant à l’époque du ministère des colonies et de l’Intendance coloniale.

(à suivre)


1- Note 70421/SEA  du 1er décembre 1940 adressée au SPAA (Service des personnels de l’armée de l’air) et SEA/EMAA/1 du 1er décembre 1940 adressée aux commandants de région aérienne


2- Voir notre article de septembre 2017 « Le faux départ du commissariat de l’air en 1934-L’impact du rapport Jacquinot » par le commissaire général (2S) François Aubry 

3-Notes 7502 et 7503/EMAA 1/ 2 du 27 décembre 1940.


4- l’intendant de 1ère classe André Dufait à l’EMAA, 2 intendants militaires de 1ère classe chefs d’IRA et leurs adjoints, 7 chefs d’IBA 


5-Voir notre article du 6 juin 2017.