samedi 17 mars 2018

Les commissaires de l’air dans Le Piège

Par le commissaire général (2S) François Aubry

Dans l’argot des pionniers de l’aviation, « le piège », dont ils n’étaient jamais sûrs de réchapper, était leur avion. De manière très naturelle, lorsque l’École de l’air a été créée à Versailles puis à Salon-de-Provence dans les années trente, le vocable a été repris pour désigner cette école. Enfin, ultime avatar, Le Piège c’est aussi la revue des anciens élèves de l’École de l’air (pilotes, mécaniciens, basiers, commissaires) dont le premier numéro est paru le 15 juin 1957. Le but de cet article est de rappeler la contribution des commissaires à cette revue.


Les commissaires juristes

Le commissariat de l’air apparaît dans la revue dès le numéro 5, sous la forme d’un article très bref présentant les différentes « divisions d’instruction » de Salon, dont celle du commissariat. En revanche, un dossier complet de sept pages paraît cinq ans plus tard, consacré à la mission du commissariat de l’air, sous la signature des responsables de l’époque (Cre Bilbault- directeur central et Cre Tanguy- inspecteur). Curieusement, il faut attendre la suppression du commissariat de l’air, presque quarante ans plus tard, pour retrouver un article de fond à caractère institutionnel (Cre Coffin- directeur du commissariat des armées) ce qui prouve à quel point les structures de base du service ont longtemps été perçues comme éternelles. Le tournant majeur occasionné par l’interarmisation des commissariats a fait l’objet de deux autres articles (Cre Costa en 2013 et Cre Del Fabbro l’année suivante).

Les premiers articles publiés reflètent la spécificité des commissaires, juristes immergés parmi des scientifiques. Une rubrique spéciale leur est offerte, intitulée « La chronique du commissaire ». Le Cre Caire l’inaugure en mars 1968 par une présentation des notices d’information juridique élaborées par le service et diffusées par les bases aériennes. Les articles suivants ont un caractère plus technique et pas spécialement militaire : le congé du PN (Cre Jourdren), les régimes matrimoniaux (Cre Goedert, Cre Sciberras), les recours et remises de dettes (Cre d’Estaintot), les recours contentieux (Cre Chabod), le Médiateur (Cre Peyronnet). Cependant, la chronique du commissaire, qui relève plutôt de l’information générale et directe des administrés, disparaît au bout d’une dizaine d’années pour faire place à des articles plus conformes à la vocation de la revue.

A la fin des années 90, le juridique réapparaît avec les opérations en ex-Yougoslavie, sous la plume du cre Villerbu sur "Les affaires civilo-militaires en Bosnie-Herzégovine". 

La marque du passage à Salon


C’est, de loin, les articles consacrés à l’École du commissariat de l’air (ECA) qui constituent l’essentiel  des contributions. Le 25ème anniversaire de l’ECA en 1978 (photo) donne l’occasion à son directeur, le Cre de Beaufort, d’ouvrir cette rubrique qui dure encore aujourd’hui avec les comptes-rendus (rares mais fidèles) des réunions de promotions. Les témoignages de jeunes « poussins » peuvent être comparés aux souvenirs des anciens lorsqu’ils étaient à leur place : le Cre Thomas publie en 1983 « Élève en 1953 »*, en écho au témoignage des Cres Frison-Roche et Deville entrés au Pïège à la rentrée 82.

Le général de Gaulle a salué lors de sa venue à Salon le 28 février 1960 «  l’Ecole de l’air, l’Ecole militaire de l’air et l’Ecole du commissariat de l’air ». A la suite d’un malencontreux oubli - par le commandement de l’École de l’air - du troisième terme de cette trilogie gaulienne, le Cre Meyer, dans une « Lettre ouverte d’un camarade commissaire » fait en 1992 un ferme rappel des propos présidentiels.

L’ECA verra encore son jubilé célébré en 2003 dans Le Piège, avant sa transformation en 2006 en école d’administration pour l’ensemble des officiers de l’armée de l’air** puis sa disparition dix ans plus tard … au profit de l’ECA, devenue Ecole des commissaires des armées.

Le passage à Salon avait été conçu dès l’origine pour marquer durablement les esprits. La lecture du Piège montre que ce but a été amplement atteint. Le Cre Bajard rappelle en 2016 que  « 1953 fut un tournant historique »  et les très nombreux articles consacrés aux « souvenirs promo » témoignent de la vitalité des liens conservés longtemps après la sortie d’école. Deux promotions en particulier, la 55 sous la plume du Cre Bouillaud et la 66 sous celle du Cre Bernabeu entraînent régulièrement le lecteur, soit en formation réduite aux commissaires, soit en formation complète avec l’ensemble des spécialités, dans les différentes célébrations d’anniversaires et autres visites allant du Louvre à la Chine en passant par le Larzac ou les sommets alpins. Les épouses partageant les souvenirs d’une jeunesse qu’elles n’ont pas connue donnent toutefois un sens définitif aux liens tissés au temps du célibat. Un voyage promo particulièrement réussi, au Mexique, inspire même un poème au Cre Guillemard, sur l’air du général Castagnetas.

Mais la dualité de promotion (ECA et EA) n’est pas toujours simple à gérer et le Cre Caussin, en 1974, doit rappeler que l'existence de l’ANCA (association nationale des commissaires de l’air) ne doit pas dispenser ses membres d’adhérer à l’AEA …. en réglant les deux cotisations. Ces liens de promotion donnent aussi l’occasion de saluer des parcours atypiques comme le fait le Cre Sprotti quand un de ses camarades quitte l’uniforme pour la soutane en 1986.

Les autres articles, moins nombreux, peuvent être regroupés aux « fonds divers*** », avec une dominante à caractère historique.

Les articles du fonds divers


Les commissaires des premières promotions ont été, pour certains, en Algérie avant ou après l’indépendance. Cette expérience marquante est relatée par le Cre Fropo (« Acanthes et képi bleu »* ou « Ancien chef de SAS ») et le Cre Abolivier (« Il y a SAS et SAS ») et, sur un registre plus détendu, par les Cre Guiriec  et Teyssèdre (Deux commissaires aventureux qui se retrouvent aux arrêts).

L’histoire plus ancienne est évoquée par le Cre Primault qui retrace l’épopée des premiers vols à Issy-les-Moulineaux et par le Cre Aubry à propos de la première OPEX du commissariat de l’air à Chypre en 1956*. Mais l’histoire contemporaine n’est pas négligée et le Cre Bajard consacre une étude fouillée aux relations franco-allemandes.

Certains commissaires proposent, hors des sentiers battus, quelques prestations uniques et savoureuses : le Cre Rouby rassemblant dans la même arène, « Brun loutre et or », commissaires de base et « mozo de espadas » (valet d’épées), le Cre Barbaux penché sur la Dame du quai Conti, le Cre Golfier témoignant de son activité de peintre de l’air versé dans le camouflage*, le Cre Rouquié à propos de champagne ou de vin rosé, le Cre Besse rappelant le temps où Charles Trenet était aviateur* et le Cre Ducassé jouant dans le vent entre « l’éolienne et l’A400M ».

Les bases aériennes sont les grandes absentes de cet inventaire mais une exception confirme la règle : le Cre Vachot consacre en 1973 un article de douze pages à la base aérienne  « société cloisonnée ? ». Le Cre Mulotte révèle en outre que son passage sur base lui a permis de trouver un trésor* et présente, en liaison avec les Cahiers de Mars, la richesse du « patrimoine militaire de l’armée de l’air ».

Le Cre d’Haussy nous permet de terminer sur une note d’humour grâce à ses réflexions, à propos des matériels aériens et de leur réforme, sous le titre anodin de « Notes sur la comptabilité ».


Au total, une quarantaine de commissaires ont prêté leur plume au Piège sur une cinquantaine d’années. La promotion 55 (photo), avec neuf contributeurs, est sans conteste la plus prolixe. Il est vrai que c’est aussi, avec ses 19 élèves au départ, la plus nombreuse. Jusque dans les années 70, pratiquement toutes les promotions de commissaires voient au moins un des leurs écrire dans Le Piège. Ensuite, le flux s’est progressivement tari et seuls les plus anciens continuent de participer épisodiquement.

Si aucun commissaire entré à Salon au cours des trente dernières années n’a signé un article dans Le Piège, on pourrait en chercher la cause dans les forces centrifuges, à l’œuvre depuis les années 90 avec le plan Armées 2000, qui ont abouti à l’interarmisation récente des commissariats.

Le maintien d’une culture « bleu aviation» pour les commissaires aviateurs reste cependant indispensable. La revue Le Piège est un moyen privilégié pour acquérir cette culture et l’exprimer, concrétisant ainsi le maintien d’un lien essentiel, à la fois symbolique et utile professionnellement.

François Aubry


*Rediffusé sur le site internet de l’AMICAA
**L'ECA a été absorbée à l'été 2006 dans le "Groupement des écoles d'administration de l'armée de l'air" (GEAAA) puis dissoute en 2013 au moment de la fusion des trois commissariats d'armées, après une période d'interarmisation croissante durant trois ans;
***Expression archivistique