par le commissaire général (2S) Pierre Ducassé (ECA 62)
J'ai passé cinq années à Aix-en-Provence dans le détachement des « deuxième année» de l'école du commissariat de l'air : une année comme élève et quatre années comme professeur (on disait, à l'époque : « instructeur »). Ce bail me vaut certainement aujourd'hui d'être taxé d'un article sur ce sujet que je suis censé bien connaître.
Mais la mémoire est fragile et j'ai déjà du mal à réunir des souvenirs précis. Je ne parlerai donc pas d'horaires ou de programme d'instruction, mais j'évoquerai simplement cette impression de grande sérénité qui me reste de cette époque de mon existence et le sentiment que j'ai toujours eu, comme élève et comme instructeur, de vivre à Aix la meilleure partie de ma carrière professionnelle.
Que l'on ne se méprenne pas : ce n'était pas un eden de farniente ; on y travaillait normalement
et même mieux qu'ailleurs car dans la sérénité. Ceux qui affirment le contraire sont peut-être déjà
atteints de déliquescence mémorielle. Ou bien, ils cèdent à cette coquetterie si bien portée qui consiste à minimiser ses propres efforts pour valoriser ses résultats. A moins tout simplement qu'ils ne disent la vérité ; mais, dans ce cas là, je doute qu'ils aient travaillé plus efficacement durant la suite de leur carrière.
Mais, tout d'abord, qu'est-ce qui justifie l'implantation du détachement à Aix ?
Nostalgie ?
La première réponse qui vient aux lèvres, c'est: « la Fac ». Certains auraient voulu que j'intitule cet article : « La deuxième année à Aix ou la nostalgie de l'université ». C'est beau, mais c'est faux. Bien sûr, il y avait, dans chaque promotion, un ou deux prétendants aux études prolongées. Mais la grande majorité trouvait, malgré le charme d'Aix, que la scolarité était un peu longue et souhaitait en découdre au plus vite avec l'administration active.
Les relations avec la faculté s'étaient, d'ailleurs, fort distendues, au point que, au début des années 70, les commissaires n'y suivaient plus de cours. Seuls quelques professeurs assuraient un enseignement spécialisé au sein de l'école. Il en était de même pour l'Institut d'Etudes Politiques ou les cours de monsieur de La Pradelle étaient suivis avec intérêt, certes, mais sans passion excessive.
Dans ces conditions, la nostalgie n'était plus ce qu'elle avait été.
« Oh ! la belle billlle ! »
Il faut donc chercher ailleurs le cordon ombilical qui nous retenait à Aix. J'ai trouvé : bien sûr, il s'agissait des Arts et Métiers !
Personne n'a pu oublier le charme des cours aux Arts et Métiers. Nous en avons tous retenu des messages essentiels, du type : « Au plus la cheminée elle est haute, au plus elle tire ». Et chacun entend encore le bel accent du bon Monsieur Bergougnou, feignant de s'indigner de nos confusions entre feuillus et résineux et humant avec gourmandise une « belle billlle » de chêne.
Mais en toute franchise, ceci était-il suffisant pour justifier la deuxième année à Aix ?
La petite école et la grande école
Nous étions fiers de notre petite école, enclavée entre le bureau de la Place, l'agence postale et le bureau de la sécurité sociale. On franchissait le portail historique de la caserne Forbin, on traversait une cour de graviers, on montait un petit escalier de bois et on était « chez nous». Vieillot, mais propret. Murs blancs. Mobilier neuf. Une fois par semaine, les cours étaient égayés par l'orgue de la chapelle voisine. L'hiver, le poêle à mazout ronflait gentiment, lorsqu'il n'était pas l'objet des facéties des élèves.
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| L’entrée de la caserne Forbin, avant les élèves commissaires |
Et pourtant, au début des années 70, un inspecteur du commissariat trouva un jour ces locaux « indignes d'une grande école militaire ». L'anathème était jeté et le processus de repli engagé.
Il faut dire que Salon, la grande école, exerçait un attrait irrésistible. Tout nous venait de Salon,
des fournitures de bureau aux voyages aériens. Aussi, tous les jeudis nous allions rendre à la grande
sœur l'hommage qui lui était dû. Douillettement serrés dans le petit car conduit de main de maître par Monsieur Soriano, nous allions nous retremper dans une ambiance que nous avions tendance à oublier le reste de la semaine. C'était le jour de l'anglais, du match de football, des consignes du directeur et du sourire de madame Rebuffel.
Cet "attrait" devait se concrétiser par la fermeture de notre détachement. J'imagine difficilement le jour de la rentrée des « deuxième année» à Salon en septembre 1972. Ces jeunes gens se rendaient- ils compte qu'on venait de leur éviter l'enfer que les dix-huit premières promotions avaient connu ?
Soyons sérieux durant quelques secondes: la deuxième année à Aix n'était justifiée ni sur le plan des études, ni sur le plan pratique et elle était condamnée dès le début. Mais faut-il la renier pour autant?
Certes, nous ne sommes pas entrés dans le commissariat pour y trouver le bonheur. Mais cela doit-il
nous interdire de regretter une année heureuse ?
Commissaire général (2S) Pierre Ducassé (ECA 62) (livret du trentenaire de l’ECA - 1983)
par le commissaire général (2S) Michel Vallecalle (ECA 1970)
Au cours d’un agréable déjeuner récent avec le directeur et les cadres de l’école des commissaires des armées, la conversation vint à porter sur l’intégration des commissaires au sein des forces. Jouant l’ancien combattant de service, j’évoquais le fait que le très fort attachement à l’Armée de l’Air du commissaire que j’ai été trouvait sa source dans la formation initiale commune vécue à Salon au sein de l’Ecole de l’Air. Poursuivant mon propos, je crus utile de préciser que ce lien se distendait malgré tout en deuxième année avec le détachement à Aix en Provence !
La surprise et l’étonnement que j’ai pu lire sur les visages de certains participants à ce déjeuner m’ont amené à évoquer devant eux le détachement d’Aix, ravivant en moi des souvenirs que je me permets de coucher sur le papier pour la postérité. D’autant plus qu’appartenant à la dernière promo ayant « bénéficié » de ce régime, j’ai donc une sorte d’obligation de mémoire…… !
Aix et son pouvoir d’attraction
Au préalable, je dois reconnaître qu’une partie de ma motivation pour le commissariat de l’air est née de la découverte, dans les brochures de recrutement, de cette seconde année de formation dans une ville où je venais d’achever mes études de droit. Je me disais qu’après une année « d’internat militaire à Salon » (et je ne savais pas tout….), cette année d’oxygénation Aixoise pourrait être bien sympathique. Je ne me suis pas trompé et je n’ai pas été déçu…. !
Le détachement était implanté dans les dépendances de la caserne Forbin (qui abritait certains éléments du commandement de la 4° Région aérienne, en particulier la Direction Régionale du Commissariat), située cours Gambetta et aujourd’hui remplacée par des espaces de bureaux, un parking souterrain (Carnot) et un centre des congrès. Au-dessus d’une chapelle et de l’agence postale, nous disposions de locaux modestes, mais chaleureux, regroupant : une salle de cours, le bureau de nos deux instructeurs, une bibliothèque ou plutôt un point de vente-salle de ping-pong.
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| La caserne Forbin (en bas à droite) |
Chaque élève vivait en « externe libre » et rejoignait le détachement selon le programme défini par nos cadres. Ainsi chaque matin à partir de mon ancien studio d’étudiant au cœur du vieil Aix, je remontais en tenue de sous-lieutenant le cours Mirabeau puis la rue d’Italie pour rejoindre l’école. Je croisais parfois, attablés dans les bars du cours, mes anciens camarades de faculté tous sursitaires et compatissants envers celui qu’ils imaginaient subir les affres du service militaire…..
Nos journées s’articulaient autour de matinées de cours théoriques dispensés sur place par nos instructeurs, entrecoupés de pauses pédagogiques….nombreuses et animées. Des intervenants extérieurs complétaient notre formation, surtout en comptabilité. Les matinées sans cours de comptabilité permettaient le déroulement du tournoi permanent de ping - pong, dont le champion incontesté était l’un de nos instructeurs. Puis venait l’heure du déjeuner en commun au cercle de La Fourane où notre table devenait rapidement un pôle d’animation au milieu d’une clientèle plus assagie. Très souvent aussi les espaces verts du cercle abritaient la partie de pétanque qui suivait le repas !
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| Les élèves Favot, Vallecale, Clouzot, Ouiguini, Simon (Joël) |
L’emploi du temps de l’après-midi mentionnait le plus souvent « étude perso », ce qui nous donnait le loisir d’effectuer les recherches et la rédaction d’un mémoire sur un sujet d’administration militaire qui constituait un temps fort de notre formation en deuxième année. Bien entendu, chacun d’entre nous organisait son effort comme il l’entendait et disposait de ce créneau en toute liberté….. !
Certains enseignements nous entraînaient à l’Ecole des Arts et Métiers pour acquérir des rudiments techniques peu enseignés dans les universités classiques dont nous venions. J’en garde un très vague souvenir….
Mais le sommet de la semaine était la journée du mardi, qui voyait le détachement au complet (cadres compris) rejoindre la maison- mère. Le trajet Aix-Salon et retour s’effectuait dans un véhicule rapide de l’époque (tube Citroën 1200 kg) et le voyage prenait vite une tournure potache.
A Salon, nous retrouvions la direction de l’école et parfois certains entretiens délicats destinés à rehausser le niveau de nos résultats scolaires. Nous nous consolions en croisant le sourire de la secrétaire perpétuelle de l’école. Nous en profitions pour régler certaines situations personnelles avec la fameuse « section support » qui administrait tous les élèves.
Le mardi matin, le Groupement d’Aviation Légère de l’Ecole de l’Air (GALEA) se consacrait aux « commicroques » qui accumulaient ainsi les heures de vol sur Mousquetaire au point de rendre jaloux nos camarades PN de la promo EA.
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| de gauche à droite : Favot, De Lespars, Vallecalle, Simon (Joël),Clouzot |
Après un passage au mess élèves qui nous permettait de narrer nos aventures Aixoises à nos camarades de la promo EA 70 et ECA 71, l’après-midi du mardi nous voyait tenter de perfectionner notre maîtrise de l’anglais dans les laboratoires de l’Ecole de l’Air, avant le retour sur notre principauté Aixoise. Seuls les exercices militaires (parcours évasion), les cérémonies et le stage de ski nous ramenaient dans le giron de l’Ecole de l’air, ainsi que les voyages d’études commissariat et le voyage d’étude de fin d’année (croisière).
Vers une fin programmée
Comme nous le savons tous, les meilleures choses ont une fin. Toutes les synergies, toutes les logiques poussaient à l’extinction de ce détachement qui avait du mal à justifier de la cohérence de son existence. La dissolution est intervenue en juin 1972 et la promo ECA 71 a entamé sa seconde année de formation à Salon alors qu’elle s’apprêtait à rejoindre Aix en Provence.
A l’époque, une rumeur s’était répandue dans le service du commissariat de l’air laissant entendre que les élèves étaient fanas du retour à Salon. Je pense que la tonalité générale de mon article suffit à démontrer le caractère de « fake new » de cette information.
Un jour de juin 1972, pour mieux enterrer le détachement et afficher son opposition au retour sur Salon, la promo 70 a eu l’idée d’organiser une sorte de rébellion en occupant militairement les locaux, en proclamant une suspension unilatérale des cours et en séquestrant les deux instructeurs dans leur bureau (commissaires Thiriot et Bernabeu). Rassurez-vous, le tournoi de ping-pong a quand même eu lieu ce jour-là et la journée s’est terminée pour tout le monde avec femmes et enfants dans la villa qu’occupait l’un d’entre nous (au lieu- dit Les Granettes) qui accueillait toutes les festivités de la petite famille aixoise et dont l’isolement permettait de ne pas déranger le voisinage.
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| Prise de position |
Une dernière question pour achever mon travail de mémoire : qu’est-il advenu de l’avoir financier du point de vente clandestin du détachement ? Il se murmure qu’il aurait été englouti dans un restaurant réputé du côté des Baux de Provence…….les convives se reconnaîtront…. !!!!
Comme de nombreux commissaires de l’air, je suis très attaché à l’école qui assuré notre formation initiale, mais il est vrai que cette deuxième année à Aix en Provence a largement contribué à renforcer ce lien comme vous l’avez deviné en me lisant.
Commissaire général (2S) Michel Vallecalle (ECA 1970)
« On peut s'étonner que les deux années d'enseignement aient démarré simultanément dès 1953 ; ceci s'explique par le fait qu'entraient directement en deuxième année d'école certaines catégories d'officiers dont le concours d'entrée portait pour partie sur les matières enseignées en première année.
Donc, il fallut également, dès 1953, organiser aussi et démarrer la deuxième année d'études.
Celle-ci se passait à Aix-en-Provence, les élèves étaient externes ; leurs cours se distribuaient pour parties presque égales entre la faculté de droit, l'école des Arts et Métiers (technologies diverses) et la caserne Forbin (matières plus spécifiquement commissariat).
Pour l'enseignement de deuxième année, je me contentai, en 1953, de mettre en place grossièrement, avec les professeurs et instructeurs, le déroulement général des cours et demandai à mes deux lieutenants élèves (qui avaient eux-mêmes à peu près mon âge) de me donner une estimation personnelle sur l'enseignement reçu (y compris sur la qualité des professeurs ou instructeurs).
Ce n'est évidemment pas là un procédé très habituel, mais il rendit d'excellents résultats et, dès l'année 1954, il permit d'apporter des retouches sensibles aux programmes. »
Commissaire général Graffard (1983)
(site amicaa : novembre 2012)
