Je n’aurais jamais cru faire une carrière militaire, n’ayant bénéficié d’aucune tradition familiale en ce domaine, j’oserais même dire que c’était plutôt le contraire…
Une carrière "orientée restauration"
Pourtant, en me retournant, je constate que j’ai passé 30 ans dans les armées, dont 26 au sein du commissariat de l’air, avant de donner une nouvelle orientation à ma carrière. 30 années dont je ne regrette finalement que très peu de choses, et qui ont été marquées de temps forts et de belles rencontres. Il faut dire que j’ai bénéficié de circonstances assez étonnantes, qui m’ont permis de me spécialiser dans un domaine découvert à l’Ecole du commissariat de l’air, la restauration collective, qui m’a passionné et a été le fil rouge de mes affectations. Cette dominante professionnelle qui semble désormais naturelle aux plus jeunes d’entre nous, puisque le SCA organise des parcours professionnels, l’était beaucoup moins dans les années 80 – 90, où un commissaire devait savoir tout faire et être capable de tout traiter !
L’enseignement de la restauration collective en 1985 était devenu plus professionnel par rapport aux premières promos, car le commissariat avait tiré les enseignements de près de 10 ans de prise en charge de la restauration (1) . Je n’ai donc pas « bénéficié » de cours de cuisine comme les premières commissaires de l’air, mais de cours de management, de comptabilité, de gestion et d’organisation de la restauration collective. Le contexte réglementaire de l’époque (dépenses à bon compte, comptabilité en partie double bien qu’on soit en régie…) permettait d’inscrire la fonction restauration dans une dynamique de type privé, où le commissaire de base pouvait se considérer comme étant à la tête d’une véritable entreprise, décidant du prix de vente, de ses marges et de ses investissements.
Il fallait naturellement respecter la réglementation (on n’était quand même pas dans le commissariat pour rien !), mais l’objectif était bien de développer une activité de type commercial dont le bénéfice profitait à l’ensemble de la communauté militaire. J’ai tout de suite adhéré à cette vision entrepreneuriale, et l’expérience acquise tout au long de ma carrière m’a permis de créer en 2016 ma propre entreprise.
J’ai donc occupé des postes essentiellement en rapport avec la restauration : adjoint au chef de bureau restauration à la DCCA de 1988 à 1990, chef de la division restauration en Région aérienne Nord-est de 93 à 98, chef du bureau restauration à la DCCA de 98 à 2002, directrice des achats puis de la business unit « France Restauration » à l’Economat des armées de 2008 à 2012… Même mes passages sur base ont eu une forte orientation restauration, puisque j’ai assuré le démarrage d’une unité de cuisson sous-vide sur la base aérienne 922 de Doullens qui fut ma première affectation en tant que commissaire de base entre 1990 et 1993.
Femme commissaire mais avant tout commissaire de l’air
Si la restauration a donc été le marquant de ma carrière, je ne peux en revanche pas dire que le fait d’être une femme en a été un élément caractéristique. J’étais avant tout commissaire de l’air. J’ai intégré l’ECA 8 ans après l’arrivée de la pionnière, Nicole Menguy, qui fut suivie par Isabelle Delarbre, Brigitte Debernardy ou encore Françoise Honorat Latour. Les habitudes étaient donc prises à l’Ecole de l’air, les poussines bien inscrites dans le paysage - et leur bahutage aussi !
Ce n’était cependant pas tout à fait la même chose sur le terrain qui avait encore peu l’habitude de voir des jeunes femmes officiers. Je partage volontiers avec vous quelques anecdotes de mon début de carrière.
Commissaire.....de l'air |
Je me rappelle d’un jour où arrivant seule au quartier Forget, je descends de la 4L militaire qui était le véhicule de liaison Air pour montrer mon badge au soldat de faction. Celui-ci me regarde ébahi, et je vois très clairement dans ses yeux qu’il ne savait pas quelle attitude adopter : je portais des galons de sous-lieutenant, il fallait donc qu’il me salue, mais j’étais en jupe, et une femme, on ne la salue pas ! Il a fallu que son chef lui donne un coup de coude pour qu’il me salue réglementairement…
Autre expérience liée à mon arrivée en 1990 sur la BA 922 Doullens comme commissaire de base. Le moment a été assez décoiffant, moins pour moi cependant que pour l’entourage professionnel, commandant de base compris. Quelques situations cocasses vécues :
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- « Bonjour, monsieur le commissaire ! dit l’adjudant-chef B., chef de la cellule contrôle interne, jovial en ce beau matin d’automne ;
- Ah, zut, je ne savais pas que je ne m’étais pas rasée ce matin…, fut ma réplique spontanée, en passant la main sur ma joue.
L’adjudant-chef B. eut la délicatesse de ne pas se vexer…
Il a fallu quelques semaines pour que mon équipe se déshabitue du «monsieur le commissaire» pour le remplacer par «madame le commissaire», voire - quelle audace - madame la commissaire.
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Au téléphone :
- « Bonjour, je voudrai parler au commissaire de base
- C’est moi-même
- Non, mais je vous dis que je veux avoir monsieur le commissaire de base
- Désolée, mais le commissaire est une femme, et c’est elle qui vous répond »
Silence de l’interlocuteur, désemparé… Il faut dire que c’était un général en seconde section, peu préparé en 1990 à cette absolue modernité de voir une femme exercer des responsabilités sur le terrain…
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Doullens : visite d'un général |
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Et après me direz-vous ?
Après, à part quelques réflexions désagréables de la part de certains officiers à l’Ecole de guerre – non aviateurs, je le précise et dont je tairai par camaraderie la couleur d’uniforme -, je dois dire que je n’ai plus vraiment rencontré ce type de réaction qui montrait qu’on faisait partie de pionnières.
Les femmes ayant accédé à des postes visibles de responsabilité en tant qu’officiers supérieurs - et maintenant officiers généraux - ont largement fait la démonstration, que oui, la femme est bien un militaire comme un autre…
1-Qui date de 1976. Les plus anciens se rappelleront avec émotion des « tâches ancillaires » de la directive du CEMAA de l’époque, le général Saint-Cricq…
2-L’armée de l’air déployait une unité Crotale à Kourou pour assurer la sécurité du Centre spatial guyanais, suite à la pénétration de l’espace aérien par un ULM au moment d’un tir de fusée spatiale en 1986