jeudi 9 novembre 2017

Une vocation

Michel Chaussebourg† 

A l’occasion de l’anniversaire de l’accident aérien de novembre 1983 à l’ECA, ayant entraîné la mort de trois élèves commissaires*, nous rediffusons un texte de Michel Chaussebourg publié dans le BLCA n° 17 de septembre 1984.


A l'issue de la période d'instruction militaire bloquée, j'avais demandé aux élèves de la promotion 1983 de réfléchir sur un projet d'article ayant pour thème la vocation qui les avait animés. Michel Chaussebourg, avec le dynamisme et la foi qui le caractérisaient, eut tôt fait d'élaborer l'ébauche d'un texte, exprimant ses sentiments et ses premières impressions. 

Ses notes ont été retrouvées après l'accident d'avion du 17 novembre 1983 qui lui coûta la vie ainsi qu'à deux de ses camarades. La publication de ce texte, sans aucune retouche, est un hommage rendu à la mémoire de ces trois élèves commissaires, autant qu'un témoignage de leur enthousiasme pour la carrière qu'ils avaient choisie.
Le directeur de l’ECA - 1984 



Je me suis longuement interrogé avant de décider d'expliquer ma vocation de commissaire de l'air dans cette revue. Car le privilège que constitue la possibilité d'écrire dans ces pages m'a semblé beaucoup trop grand pour que j'ose concentrer l'attention du lecteur sur mon humble personne. En fait, en demandant à ce dernier de faire abstraction de celle-ci, j'ai réalisé combien il était important, d'une part d'annoncer ou de rappeler qu'une carrière militaire peut être conduite en tant que juriste, gestionnaire et administrateur à la fois, ce qu'ignorent nombre d'étudiants qui ne savent quitter les sentiers battus lorsqu'ils doivent choisir une profession, au risque de s'engager dans les voies rébarbatives ou sans avenir, d'autre part, d'affirmer ou de confirmer qu'à l'âge de 25 ans, en 1983, d'aucuns peuvent connaître une vocation militaire, en l'occurrence dans l'armée de l'air, secteur dont on ne soupçonne pas la richesse, souvent, et bien à tort.

Pendant que je poursuivais mes études juridiques, j'ai comparé l'armée à une énorme société dans laquelle il m'a paru indispensable que la gestion et l'administration d'un personnel et d'un matériel aussi nombreux soient confiées à des spécialistes. C'est alors qu'après une recherche personnelle, déjà passionné par l'aéronautique, j'ai découvert l'existence du corps du Commissariat, plus précisément du Commissariat de l'air. Il m'a fallu puiser dans de très nombreuses sources d'information et en particulier passer un an sur une base aérienne, au cours de mon service militaire, pour que j'apprécie pleinement la variété des activités du commissaire de l'air. Or, c'est cette variété qui a largement motivé mon choix. Elle exclut toute routine et exige des compétences nombreuses, donc stimulantes. Elle porte en effet tant sur les disciplines que le commissaire doit maîtriser que sur les problèmes qu'il doit traiter.

Alors même que le commissaire de l'air est souvent comparé à un administrateur civil qui exercerait dans le milieu militaire, je me plais à préciser que cet officier est autant gestionnaire, qu'administrateur, que juriste.

La gestion occupe une grande place dans la formation professionnelle dispensée par l'Ecole du commissariat. Car le commissaire est responsable de la bonne utilisation des deniers publics consacrés à l'armée de l'air. C'est là une tâche de premier rang qui lui confie des responsabilités notables par les sommes mises en jeu et par le fait que la facilité avec laquelle se déroule l'activité de l'armée de l'air, et en particulier celle des bases, en dépend.
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Mais le commissaire se voit également confier un rôle d'administrateur proprement dit. Point n'est utile d'insister sur l'importance de cette mission, tout un chacun connaissant le nombre élevé de personnels et de matériels dont dispose l'armée de l'air qu'il convient d'entretenir, contrôler, etc ... de façon quotidienne. Je rappellerai toutefois que le commissaire de l'air est officier d'état-civil, qualité rare dans l'administration.

Enfin, ce militaire exerce des fonctions purement juridiques. La gestion du personnel exige de lui la connaissance précise des statuts. Mais il doit savoir également passer des marchés, traiter des questions d'assurance, prévenir les litiges contentieux.

Rares sont les professions accessibles aux étudiants de licence qui requièrent d'un homme des connaissances aussi diversifiées pour lui permettre d'assumer des responsabilités élevées dans des domaines aussi nombreux, et qui les forment à cet effet. « Savoir afin de pouvoir», telle pourrait-être la devise du corps. Mais la présentation des domaines d'études du commissaire de l'air ne doit pas faire oublier la variété des problèmes concrets qu'il doit résoudre en permanence.

Il n'est pas possible d'établir une liste exhaustive des problèmes que traite le commissaire. Aussi l'expression « tout seul, pour tout et pour tous » semble-t-elle convenir pour illustrer le rôle central qu'il joue.
Le commissaire de l'air, qu'il exerce dans les Directions régionales ou à la Direction centrale ou qu'il soit affecté sur une base aérienne, est conduit en effet à traiter toutes les questions qui touchent à la vie quotidienne de l'armée de l'air. Il est responsable du service de restauration, mais aussi de l'habillement, du logement. Il distribue les soldes, les pensions, gère les frais de déplacements, etc .... , autant de points que d'aucuns qualifient de détails. Mais ne sont-ce pas ces détails qui font la vie ? Aussi futile qu'apparaisse l'organisation d'un repas, parce que chacun se laisse nourrir sans plus y penser, il est remarquable d'écouter les invectives adressées au commissaire le jour où le repas ne satisfait pas un estomac.

Aussi, de par ce rôle central, le commissaire mène-t-il une action qui intéresse tous les personnels. Il est un homme de contact. Car il doit répondre aux besoins en équipements tant des pilotes que les fusiliers commandos. Il doit assurer la rémunération tant des officiers que des sous-officiers, que des appelés. Il doit être en mesure de conseiller tant les militaires que leurs familles sur les questions sociales, contractuelles, familiales. Il devient alors le confident d'une population nombreuse, comme en témoigne le fait qu'en école déjà les poussins s'adressent aux élèves commissaires de leur promotion pour obtenir divers renseignements juridiques.

Au service de tous et pour tout, le commissaire de l'air n'en demeure pas moins un homme seul. Au niveau de l'armée de l'air, le corps du Commissariat compte environ deux cents officiers seulement, ce qui ne manque pas de renforcer les responsabilités qui pèsent sur les épaules de chacun d'eux. Mais au niveau de la base aérienne, le commissaire demeure seul à proprement parler. Il assure la direction des Service administratifs. J'ai pris un grand plaisir, pendant mon service militaire, à remarquer qu'il intervenait dans un grand nombre de décisions, prises à des niveaux très, différents, dans des unités très différentes, pour des fins très différentes. Parce que partout présent on ne peut le joindre nulle part; c'est un homme très occupé. Il convient de noter qu'il est seul, dans une armée aussi technique que l'armée de l'air, à disposer de connaissances économiques et juridiques. Aussi devient-il immédiatement le seul conseiller auquel puisse se fier le commandement dans des domaines aussi divers que ceux que j'ai déjà présentés.

Ayant réalisé une synthèse sommaire sur les activités de cet administrateur, il apparaissait évident que le concours d'entrée à l'Ecole du commissariat de l'air présentait pour moi un intérêt très marqué. Je pouvais citer bien peu de métiers aussi complets que celui de commissaire de l'air et qui confèrent aussi rapidement autant de responsabilités.

Mais mon attrait pour la carrière devait se confirmer par le fait qu'il s'agit d'une carrière militaire qui se déroule dans le milieu aéronautique.

Avant même de connaître le Commissariat de l'air, j'avais l'intention de vivre une carrière militaire. Tel n'est pas le cas de la majorité des candidats au concours qui s'étonnent parfois de porter un treillis pour recevoir la formation militaire qui est dispensée par l'Ecole de l'air à laquelle est rattachée l'Ecole du commissariat. Pourtant il est demandé au commissaire d'être un officier avant d'être un administrateur. Or, le caractère militaire de la carrière ne fait qu'amplifier son charme.

Je ne m'arrêterai pas sur l'intérêt que présente le statut d'officier. Toutefois le fait d'être militaire exige de l'homme qu'il soit complet des points de vue tant intellectuel que physique, ce qui lui assure un équilibre particulièrement sain et évite la sclérose cérébrale et viscérale ou le surmenage qui atteignent malheureusement certains membres de professions civiles.

J'insisterai davantage sur les conséquences moins connues du caractère militaire des activités du commissaire sur la spécificité de la fonction.

Un séjour sur base permet, en effet, d'évaluer les qualités opérationnelles des missions du commissaire. Ce dernier équipe par exemple les personnels navigants en effets de vol qui doivent présenter des caractéristiques bien définies afin que leurs missions s'accomplissent dans les meilleures conditions possibles. Aussi, le commissaire se sent-il très lié aux activités générales de l'armée de l'air.

De même, le commissaire doit-il faire preuve d'un esprit prompt et dynamique. Je me réfèrerai aux exercices de défense au cours desquels les mess étant considérés comme détruits, le commissaire doit improviser un déjeuner pour plusieurs centaines de personnes, à l'extérieur, en quelques heures. Pour reprendre la devise de l'Ecole de l'air, il s'agit de FAIRE FACE.

Ne trouverai-je pas dans ce métier de quoi satisfaire mon goût pour les choses utiles et actives? Mais j'omettrais un élément déterminant dans mon choix si je ne parlais pas de l'attrait que j'éprouve pour le milieu aéronautique.

Car le concours d'entrée est commun à l'armée de l'air et à la marine et bientôt à l'armée de terre. Plusieurs options s'offrent donc aux candidats.
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Comme tous les enfants, j'ai été fasciné par les épopées des as de l'aviation. Aujourd'hui ma passion pour l'air s'explique par mon désir d'appartenir à la famille de l'air et de partager l'aventure de l'air. . .
Nul mieux que Joseph Kessel lorsqu'il écrivit « l'Equipage» n'a pu restituer l'ambiance complice que vivent les membres de l'armée de l'air. Tous participent, à leur niveau, à une même mission, et nous avons vu que le commissaire n'était pas détaché du caractère opérationnel de l'armée de l'air, loin s'en faut. Aussi bien contribue-t-il à assurer ce lien entre les personnels, à faire partager à chacun le langage de l'équipage, d'une famille où l'on aime vivre ensemble.

Mais mon goût pour l'aventure a aussi contribué à décider de ma vocation. N'est-ce pas l'aventure que d'être témoin de la naissance de merveilles telles que le Mirage 2000, que de participer à la réorganisation des bases pour sa mise en œuvre opérationnelle? Et l'armée de l'air ne manque pas d'offrir au commissaire l'occasion de satisfaire ce goût.

Armée technique, elle évolue en permanence, jusqu'aux moyens de gestion auxquels le commissaire doit savoir s'adapter.
Michel Chaussebourg

* Le 17 novembre 1983, les élèves commissaires Mireille MERLINO-COLTIN, Jean-Louis BOUË et Michel CHAUSSEBOURG trouvaient la mort à bord d'un Mousquetaire de la Section d'initiation au vol de l'Ëcole de l'air.

Mireille Merlino-Coltin

Jean-Louis Bouë




Articles déjà parus sur notre site : 4, 17 et 28 novembre 2013