lundi 11 septembre 2017

Une formation dont vous profiterez toute votre vie

Suite de notre série commémorant les 40 ans du premier recrutement d’une femme commissaire de l’air. Ce mois-ci, la tribune est ouverte à Isabelle Delarbre (ECA 79)*.

"Il y a 40 ans, l’Armée de l’air offrait aux femmes la possibilité de passer les concours d’officier et d’intégrer l’Ecole de l’Air ou l’Ecole du Commissariat de l’Air. Deux ans plus tard, en septembre 1979, après un DEA de droit, j’entrais à l’Ecole du Commissariat de l’Air avec beaucoup de fierté et impatiente de découvrir ce qui m’attendait.


J’avais passé ce concours à la suite du choix délibéré d’embrasser une carrière d’officier et de Commissaire. J’étais plus intéressée par les valeurs militaires et la participation à la défense de mon pays que par un métier juridique. Aujourd’hui, après 38 ans de vie professionnelle, dont plus de 10 ans dans le Commissariat de l’Air, je reste fière et heureuse de ce choix. Je conseille à toutes les femmes qui en ont la personnalité et l’envie de faire ce choix, car c’est une formation et une expérience incomparables parce que, quoi qu’il arrive, elles garderont toujours le bénéfice des valeurs militaires inculquées, qui les conduiront et les aideront toute leur vie.

Une scolarité exigeante mais formatrice

Revenons à l’Ecole de Salon. Accueillie chaleureusement par l’encadrement de l’Ecole du Commissariat puis rapidement remise entre les mains de l’Ecole de l’Air en charge de la formation d’officier, je découvre la promotion EA 1979, soit une centaine de camarades, dont trois autres femmes. Les femmes sont logées à la même enseigne que les hommes, la règle est identique pour tout le monde. J’apprécie beaucoup ce contexte qui mène parfois à des situations amusantes, comme lors de la distribution du paquetage : les tenues de combat sont de coupe homme et sont donc trop larges à la taille et trop serrées aux hanches, les chaussures sont trop larges et pas assez longues…  Nous avions probablement l’air de guignols, mais en voyant nos camarades avec le crâne presque rasé, nous préférions notre sort. Puis nous commençons les différentes activités, et bien que le temps émousse les souvenirs, je n’en ai qu’un de pénible pour l’étudiante en droit pas du tout sportive que j’étais : les déplacements au pas de gymnastique ! Heureusement, après 2 mois, grâce aux escarpins à talons, avec lesquels il était un peu difficile de suivre le rythme, les quatre filles ont été autorisées à marcher au pas. Je remercie encore le commandant de la promotion pour cette dérogation !

Bien que l’effectif féminin ait été réduit et nouveau à gérer pour l’Armée de l’air, je n’ai à aucun moment ressenti de misogynie. Nous sentions que nous étions très observées, et j’avais à cœur de ne pas me faire remarquer, car nous étions par la force des choses déjà très visibles, surtout lorsque nous allions sur les bases aériennes. Au fur et à mesure, le système s’ouvrait et c’est ainsi que j’ai été la première femme à défiler dans la garde du drapeau de l’Ecole de l’Air, lors du 14 juillet et du 11 novembre 1980.

Cette formation d’officier demandait de l’endurance tant physique que psychologique, et je n’en comprenais pas le fondement, comme lors des marches de nuit de 20 à 30 kilomètres dans la garrigue, appelées « parcours stimulation » (!), qui me cassaient complètement. Je m’attendais à apprendre la stratégie militaire plutôt qu’à devoir accomplir ce genre d’efforts.

J’étais dans l’erreur complète : l’Ecole nous forgeait un mental d’acier afin que nous puissions faire face à toutes les situations. Ce n’est que plus tard, dans le privé, que j’ai réalisé combien cette période avait été formatrice et précieuse, me permettant de maîtriser des situations délicates ou difficiles.
visite du SETAMCA
La partie Commissariat relevait de la scolarité classique, pas des plus passionnantes après nos années d’études supérieures, mais il y avait de belles bouffées d’oxygène lors de déplacements chez les industriels, qui nous permettaient de découvrir un autre aspect de la vie opérationnelle qui serait à prendre en compte dans notre métier.

Durant ces 2 années, je ne me suis jamais posée la question de l’incongruité ou de la difficulté d’être une femme dans l’armée : je m’y sentais bien et cela me paraissait normal de faire ce métier dans ce milieu. J’étais sûre que le nombre de femmes augmenterait au fil des années, qu’il fallait juste du temps pour que le commandement réalise que nous pouvions porter comme les hommes les valeurs militaires : loyauté, devoir, respect, honneur, intégrité, courage, discipline, et que notre engagement et notre professionnalisme étaient identiques à ceux des hommes.

.. et donc une carrière diversifiée, riche d’expériences et aux responsabilités fortes


Survie
Après le stage sur la base de Cazaux, je choisis la spécialité Marchés publics et j’ai passé 5 années passionnantes au SETAMCA (Service d’Etudes et d’Approvisionnement du Commissariat de l’Air**). En charge du programme d’études et réalisation des équipements NBC et du nouveau gilet pare-balles, j’ai travaillé avec les industriels et les autres armées. Ce fut aussi l’occasion de faire un stage de survie en mer et en montagne pour tester les nouveaux équipements des pilotes. J’ai appris plus tard que ma hiérarchie avait dû se battre pour que je puisse faire ce stage : « une femme, vous n’y pensez pas… ».

Puis j’ai été nommée à la direction centrale (sous-direction du matériel), et en avril 1990, j’ai  rejoint Renault. C’était le début d’une autre carrière dans le métier des achats, qui me conduira à travailler pour l’alliance Renault/Nissan, puis pour le groupe Total en 2010.

Pourquoi ce départ alors que, tout jeune commandant, on me proposait le poste de commissaire lieutenant-colonel de la base d’Evreux ? Le passage en état-major m’avait fait réfléchir à l’ensemble de la carrière de commissaire : j’avais côtoyé l’industrie et les autres armées, et je trouvais dommage d’être limitée à la seule Armée de l’air pendant encore 25 ans. Le champ d’activités était trop étroit, je cherchais plus de challenges. Forte de mon expertise achat du SETAMCA, j’ai sauté dans "l’inconnu" du privé. Tout se passa bien, même très bien, grâce à ce solide bagage de l’armée qui m’a toujours accompagné. J’étais structurée, organisée, j’avais le goût du résultat, j’avais de l’audace et je ne baissais jamais les bras face aux enjeux importants auxquels j’étais confrontée. En 2001, j’étais Directeur Achats monde pour l’alliance Renault/Nissan, et en 2003 j’étais nommée cadre dirigeant. Après 21 ans chez Renault, une opportunité s’est présentée, pour devenir Directeur Achats monde chez Total. Je suis alors partie vers d’autres challenges, à la découverte d’une autre culture.

Chez Renault comme chez Total, il y avait peu de femmes aux postes de responsabilité que j’occupais, et encore moins au Japon. J’ai été la première femme Directeur chez Nissan, encore une fois très visible et observée, mais avec un regard admiratif car j’étais Lieutenant-Colonel dans l’Armée !

Etre femme dans l’armée ou dans l’industrie automobile ou énergétique, « même combat » pourrais-je dire. Les années ont passé, et les femmes sont maintenant trois à quatre fois plus nombreuses à diriger, ce qu’elles doivent à leur professionnalisme et à leur persévérance.

HCECM 2016
L’armée m’a beaucoup apporté et quand, en 2014, on m’a demandé d’être membre du HCECM (Haut Comité d’Évaluation de la Condition Militaire), j’ai accepté avec grand plaisir et je suis très honorée de participer à ses travaux. C’est l’occasion d’échanger avec les responsables des Armées et de retrouver des camarades de Salon, de cette fameuse promotion 79 qui a donné tant de généraux  et de retrouver cette camaraderie qui ne s’est pas émoussée au fil des années."
Isabelle Delarbre

*Voir également : article du 7 décembre 2013
** prédécesseur du SELOCA puis du CESCOF de Rambouillet et des PFAF Est, centre-Est et Sud-Ouest