Par le commissaire général (2S) François Aubry (ECA 69)
Dès le début de l’aviation militaire, la nécessité d’une administration adaptée à ses besoins spécifiques est apparue : le premier texte définissant ce qui est devenu la solde à l’air date de 1910. Longtemps, ce sont les règles en vigueur dans l’armée de terre qui, plus ou moins adaptées par le service de l’Intendance, ont été appliquées aux aviateurs. « L’ère de l’intendance » durera jusqu’en 1942 mais ne disparaîtra vraiment qu’en 1947 avec l’abandon des références à l’éphémère, mais essentielle, « intendance de l’air ».
L’ère des commissaires aurait pu débuter en 1935 avec la loi du 9 avril fixant « le statut du personnel des cadres actifs de l’Armée de l’air ». Cette loi constituait la deuxième partie de la fameuse loi du 2 juillet 1934 qui est le certificat de baptême de l’Armée de l’air. Un corps des commissaires de l’air était prévu dans le projet gouvernemental originel, ambitieux et cohérent. Ce corps a disparu dans la rédaction finale à la suite du rapport Jacquinot, membre de la commission parlementaire de l’aéronautique. L’étude du projet et celle du rapport vont nous permettre de suivre ce « faux départ » des commissaires de l’air.
Un projet gouvernemental ambitieux et cohérent.
Le projet de statut du personnel des cadres actifs de l’Armée de l’air n° 1710, préparé par le gouvernement d’Edouard Daladier (Pierre Cot, Georges Leygues et Albert Sarraut étant respectivement ministres de l’air, de la marine et des colonies) prévoyait, outre un corps unique de sous-officiers, la constitution de quatre corps d’officiers : officiers de l’air (anciens « officiers de l’aéronautique »), mécaniciens de l’air, commissaires de l’air et commissaires adjoints de l’air. Les commissaires de l’air étaient une création « ex nihilo », tous les autres corps existant déjà sous des formes plus ou moins disparates qu’il s’agissait d’harmoniser.
Les missions des commissaires de l’air étaient définies à l’article 77 de manière de manière succincte : « Ils exercent, par délégation, la vérification des actes de l’administration de l’air et l’ordonnancement des dépenses ». L’article 79 fixait la double mission des commissaires adjoints : d’une part « seconder le commandement dans l’administration du personnel, du matériel et des installations », d’autre part « assurer sous l’autorité de ce commandement la gestion des matières et deniers mis à sa disposition ».
D’où devaient provenir les premiers commissaires de l’air ? L’article 89 prévoyait trois sources :
- officiers des cadres actifs de l’armée de l’air (au moins licenciés en droit) agréés par le ministre de l’air ;
- fonctionnaires (sic) de l’intendance militaire ou coloniale agréés par le ministre de l’air après accord du ministre de la guerre ;
- commissaires de la marine agréés par le ministre de l’air après accord du ministre de la marine.
Les demandes d’intégration devaient être individuelles, les officiers admis conservant leur grade ainsi que leur ancienneté dans ce grade.
La répartition des 1783 officiers de l'AA |
Pour les commissaires adjoints, un long article 91 prévoyait la constitution de ce corps dans les six mois suivant la promulgation de la nouvelle loi, soit sur demande individuelle, soit d’office à partir d’officiers ou de sous-officiers de toutes spécialités provenant des trois armées.
Enfin, l’article 78 précisait les conditions normales de recrutement pour l’avenir. Une fois constituée la « première mise » les commissaires de l’air seraient ensuite choisis :
- parmi les officiers de l’air, commandant ou capitaine ayant au moins deux ans de grade ;
- parmi les commissaires adjoints principaux (commandant) et les commissaires adjoints de 1ère classe ayant au moins deux ans de grade (capitaine), à condition qu’ils aient subi avec succès les épreuves d’un concours pour obtenir le brevet de commissaire de l’armée de l’air.
Deux autres articles, 42 et 80, prévoyaient également les conditions requises pour l’avancement dans le corps des commissaires adjoints.
Au total, c’est donc 7 articles sur 93 que le projet de loi gouvernemental consacrait aux commissaires, dont trois pour les « commissaires de l’air » stricto sensu. L’examen de ce projet par la chambre des députés allait considérablement en modifier l’économie en supprimant les deux corps de commissaires prévus. Celui des commissaires de l’air était « suspendu » et celui des commissaires de l’air adjoints transformé en corps des officiers des services administratifs de l’air.
Le rapport Jacquinot.
Soumis à la Chambre, le texte du gouvernement est examiné par la commission de l’aéronautique, présidée par Victor Laurent-Eynac (1), premier et dernier ministre de l’air entre les deux guerres. Parmi ses membres figuraient deux spécialistes, anciens ministres de l’air également, Jacques-Louis Dumesnil (2) et Pierre Cot (3). Le rapporteur de cette commission était un jeune député de la Meuse, Louis Jacquinot, futur ministre d’État du général de Gaulle (4).
L’étude, présentée dans un rapport de 155 pages portant le n° 4359, commence par l’analyse des solutions adoptées par les deux grandes aviations étrangères de l’époque. L’Italie disposait déjà d’un corps du « commissariat de l’aéronautique » divisé en deux branches assez proches du projet 1710, les commissaires pouvant atteindre le grade de général. La Grande-Bretagne conservait pour sa part la séparation entre les fonctions administratives (accountant branch) et celles d’approvisionnement (stores branch). Dans ces deux spécialités, le grade le plus élevé était celui de colonel.
C’est dans sa séance du 21 décembre 1934 que la Chambre des députés examine le projet de loi. Laissons la parole au député Louis Jacquinot pour résumer la conclusion des travaux de la commission de l’aéronautique à propos de la création de commissaires dans l’Armée de l’air :
« Les commissaires que le projet du gouvernement se propose de créer sont, en réalité, sous cette dénomination, des « intendants de l’air ». Le projet prévoit en effet pour eux des modalités de recrutement, une formation et des fonctions identiques à celles des intendants de l’armée.
Ce service nous paraît très nécessaire pour régulariser le fonctionnement des services dont les frais d’entretien sont particulièrement élevés et où les conditions générales d’emploi des formations en temps de paix comme en temps de guerre rendent inapplicables les principes de l’intendance de l’armée de terre.
Malheureusement, aucun personnel de l’air n’existe actuellement pour exercer ces fonctions et la constitution de ce corps entraînerait une dépense réelle que nous ne pensons pas pouvoir imposer actuellement à la nation.
De plus, les services de l’intendance, de même que les services de santé que nous estimons pour le moins aussi nécessaires à l’armée de l’air, ainsi que les services annexes (munitions, armement etc..) nous paraissent devoir être unifiés pour l’ensemble des départements de la défense nationale.
Il y a là des possibilités d’économies indiscutables et non seulement cette concentration ne gênerait en rien les services, mais elle leur donnerait une marche plus souple et plus régulière. Sans doute, il serait alors nécessaire de spécialiser une partie du personnel dans les services de l’air, de la marine et de la guerre, mais l’unification des directions, la concentration des commandes et l’utilisation plus rationnelle des ressources permettront de diminuer considérablement les effectifs improductifs et les frais généraux.
Enfin, cette unification des services constituera un premier pas vers une organisation saine de la défense nationale permettant un juste arbitrage des conflits entre les trois départements actuels et une répartition des crédits conforme aux besoins réels du pays et que l’interdépendance croissante de l’action des trois catégories de force rend chaque jour plus nécessaire.
Nous proposons, en conséquence, de disjoindre les dispositions du projet prévoyant la constitution d’un corps de commissaires de l’air et de demander au gouvernement d’étudier l’unification de l’ensemble des services de da la défense nationale.
En attendant que cette étude ait abouti, les services Intendance et santé de l’Armée de l’air continueront à être assurés par les soins des services correspondants de la guerre».
Il faudra attendre sept ans pour que s’achève la « suspension » du corps des commissaires de l’air et quarante-six ans pour que se réalise l’unification demandée des services intendance/commissariat.
La naissance des "administratifs" |
Le rapporteur poursuit :
« Le corps des commissaires adjoints doit comprendre tous les officiers autres que les officiers navigants et mécaniciens existant actuellement et occupant des fonctions de majors, trésoriers et officiers comptables.
D’accord avec le gouvernement pour constituer ces officiers en un corps distinct de ceux des officiers navigants ou mécaniciens, nous proposons néanmoins, à la fois pour leur laisser le bénéfice moral des appellations d’officiers qu’ils ont actuellement et pour tenir compte de leurs fonctions réelles, de les dénommer « officiers des services administratifs ».
En deux traits de plume, les commissaires de l’air disparaissaient tandis que naissaient les officiers des services administratifs.
Sources :
Rapport n° 4359 fait au nom de la commission de l’aéronautique chargée d’examiner le projet de loi fixant le statut organique de l’armée de l’air – 2ème partie et présenté par M Jacquinot. Annexe au procès-verbal de la séance du 21 décembre 1934.
Notes
1/ Victor Laurent-Eynac a été ministre de l’air de septembre 1928 à décembre 1930. Il le redeviendra, après les évènements que nous évoquons, d’avril à juin 1940.
2/ Jacques-Louis Dumesnil a été ministre de l’air de janvier 1931 à juin 1932. Il avait été sous-secrétaire d’Etat à l’aéronautique militaire et maritime de septembre 1917 à la fin de la guerre.
3/ Pierre Cot a été ministre de l’air de janvier 1933 à février 1934. C’est à ce titre qu’il avait préparé le projet de loi organique que nous évoquons, mais à la chute du gouvernement Daladier il est remplacé par le général Victor Denain qui est en même temps ministre de l’air et chef d’état-major général de l’Armée de l’air de septembre 1934 à décembre 1935. Pierre Cot redeviendra ministre de l’air en juin 1936.
4/ Louis Jacquinot (1898-1993). Avocat à la cour d’appel de Paris, il est chef de cabinet d’André Maginot en 1930 et exerce son premier mandat de député de la Meuse au moment du rapport. Il sera député pendant 39 ans, et, après un bref secrétariat d’Etat sous la IIIème République, sera plusieurs fois ministre sous la IVème et la Vème République.