mardi 27 juin 2017

Commissaire général Louis Bilbault

Interview du commissaire (R) Georges Bilbault 

Nous avons déjà publié en octobre 2013 une biographie sommaire du commissaire général Louis Bilbault, directeur central du commissariat de l’air durant 9 ans, de 1956 à 1965. Nous complétons ce texte avec de nombreux renseignements additionnels fournis par son fils, le commissaire colonel (R) Georges Bilbault (ECA 56). Enfin, certains points particuliers sont complétés sur la base du livret matricule consulté au SHD par le commissaire général (2S) François Aubry, membre du comité d’histoire de l’AMICAA.

Au-delà des biographies de chaque ancien, l’Amicale cherche à mettre peu à peu en lumière - puis plus tard en perspectives - les éléments variants et invariants de l’administration ayant soutenu les aviateurs militaires, d’abord avant la guerre, dans l’aéronautique militaire et dans les premiers temps de l’armée de l’air, puis avec les intendants de l’air et commissaires ordonnateurs de l’air durant la seconde guerre, et enfin avec la structuration du commissariat de l’air durant la seconde moitié du 20ème siècle.


Interview
Votre père entre à Saint-Cyr en 1925 mais il opte pour l'aéronautique. Quels furent ses premiers pas dans l’aéronautique militaire ?

Il est né à Nice le 6 juillet 1905, issu d'une vieille famille niçoise. Son aïeul a construit la 1ère  digue du Var. Son grand-père a construit, entre autres, l’église Notre-Dame en 1877, les abattoirs, le pont Garibaldi et les jardins Albert Ier.
Il entre en effet à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr en 1925 - Promotion Maroc et Syrie. Il en sort  en 1927, option “Aéronautique” avec le grade de sous-lieutenant.
Le 27 décembre 1927, il épouse Marie-Louise Ravel, fille de Léon Ravel, administrateur général aux colonies, qui rentre de Madagascar.
Officier élève à l’école d’application de l’aéronautique de Versailles de 1927 à 1928, il obtient, en moins d’un an, les brevets d’observateur en avion, d’observateur en ballon et de pilote d’avion. Après son stage à l’école de pilotage d’Avord, il reçoit son macaron de pilote en 1928, année où il est affecté à Pau comme officier d’escadrille (36ème groupe d’aviation).
Il est promu lieutenant le 1er octobre 1929.
Aprés son stage à l’école de Brest en 1930, il est breveté pilote d’aviation de marine et obtient le certificat d’aptitude à la fonction d’instructeur.

Ivato, 1933
En décembre 1931, il est affecté à l’aéronautique de la colonie de Madagascar, qu’il rejoint avec femme et enfants. Basé à Ivato et volant sur Potez 25 TOE,  il participe activement à la création de l’aviaton militaire sur le territoire. Il a d’ailleurs écrit un rapport sur cette période de sa vie, déposé au SHD (1). Il exerce les fonctions d’officier adjoint au commandant de l’aéronautique et chef du service avions, auxquelles s’ajoutent celles de chef de l’unité administrative après le départ du titulaire du poste.  Il est promu capitaine en 1934.

1934 (1er à dr)
1935 (4ème à g)


De retour à Paris en 1935, dans quelles circonstances est-il ensuite affecté en Afrique de l’est en 1937 ?
Il rentre en France en juillet 1935. Il est affecté au ministère de l’Air de 1935 à 1937 à la Direction du Matériel Aérien Militaire en tant que chef du service du ravitaillement des moteurs.
Mon père expliquait son départ pour Djibouti en juillet 1937 par un simple « coup de fil » du ministre (Pierre Cot) qui lui aurait annoncé, tout de go «  Bilbault, vous êtes muté ! ». Il rejoint Djibouti avec sa femme, sans ses enfants.

Il prend non seulement le commandement des forces aériennes de la Côte française des Somalis (à nouveau sur Potez 25 TOE) mais aussi la direction de l'aviation civile en Somalie, et notamment la direction des services de l'aéroport de Djibouti (mais qui était sans doute assez limités à l’époque).

Prolongé d’une année le 2 août 1939, votre père était donc à Djibouti au moment de l’attaque italienne en juin 1940. Que vous en a-t-il dit ensuite ?


Au retour de mon père (en 1941, voir plus loin), il m’est arrivé de surpendre quelques explications très courtes que mon père acceptait de donner avec beaucoup de réticence. Mon père n’a jamais caché que des moments difficiles au plan politique ont eu lieu entre deux autorités françaises très déterminées, notamment lors d’un conseil d'administration extraordinaire de la colonie réuni le 21 juillet 1940 : entre d’une part, le commandant supérieur des troupes françaises, le général Paul Legentilhomme, qui aurait souhaité poursuivre le combat aux côtés de l’Angleterre et le gouverneur du territoire, qui a préféré rester fidèle au gouvernement légal de Vichy. Le général Legentilhomme en tira les conséquences et partit le 6 septembre avec les gaullistes.

Votre père étant fin de séjour le 2 août 1940, son  retour de Djibouti ne se fait pas par bateau mais par voie aérienne ?
Le retour de mon père semble s’être fait dans des conditions surprenantes, mais il y a deux versions du vol. Dans l’une, il aurait été embarqué par les autorités italiennes dans un avion civil, en direction de l’Italie. Une telle opération ne pouvait qu’avoir reçu l’accord de Vichy. Je pense qu’il a été rapatrié sanitaire car il souffrait du scorbut. A Rome, il a  été soigné durant 4 ou 5 mois par les italiens. Cela pouvait peut-être s’expliquer par le fait qu’il était niçois et que les italiens occupaient cette région.

Peut-être l'avion du retour, un SIAI S91
Mais mon père racontait son vol d’une façon très différente : l’avion italien dans lequel il se trouvait, ayant été pris en chasse par des Hurricane anglais, avait pu leur échapper en se déroutant sur le désert lybien et en ne reprenant son cap que lorsque les avions anglais, à court de carburant, eurent lâché leur proie. L’avion italien devait faire escale à Benghazi, mais, lui aussi à court de carburant, se serait crashé en bout de piste. Mon père dit qu’il fut le seul survivant de cet avion.

Ce récit que mon père a raconté toute sa vie n’a jamais pu être vérifié, mais mon père n’a jamais varié lorsque, par hasard, il acceptait d’en parler.

Après cette convalescence à Rome, votre père arrive à Nice le 31 décembre 1940 puis est placé en congé de fin de campagne. Il rejoint dès le 14 février la "Commission de contrôle n° 5" à Aix en Provence. Quel était le rôle de cette commission et son rôle à lui ?
La Commission allemande d'armistice était la commission chargée de l'application et du contrôle de la convention de l'armistice du 22 juin 1940 entre la France et l'Allemagne. On peut imaginer que le rôle de mon père était celui de traducteur. Il parlait 7 langues (Français, Allemand, Anglais, Italien, …et niçois)

Il est affecté le 27 janvier 1942 à la section armistice de l'Etat-major de l'air et promu commandant le 1er juin. Mais il montre une telle détermination à ne pas se plier aux exigences des occupants qu'il est relevé de son poste à leur demande. 

En effet, il est promu commandant (corps des officiers de l’air)  et il regrette ouvertement de ne plus pouvoir piloter. Il est affecté à la section d’armistice de l’EM de l’Air à Vichy Nous avions quitté Aix pour Vichy début 1942. Les enfants avaient été retirés des collèges d’Aix et inscrits dans ceux de Vichy pour y finir le 3ème trimestre. Brutalement, en juillet, à ma grande surprise, et à ma grande satisfaction, toute la famille repart pour Aix, les enfants étant réinscrits dans leurs écoles
Pour justifier le déménagement inattendu de toute la famille, il me dit qu’il avait eu un accrochage très sérieux avec les autorités italiennes.
En 1943, il navigue entre Aix et Montpellier : à Aix d’abord (affecté le 11 février 1943 à la direction de l'intendance de l'air, « organe liquidateur" de la 1ère RA alors à Aix) puis à Montpellier (affecté le 28 septembre 43 au centre administratif de Montpellier) et enfin de retour à la direction de l'intendance de la 1ère RA d'Aix le 22 décembre 1943.

Entre 1943 et 1944, mon père me dit qu’il tient le poste de chef des bureaux à l’Intendance de la 1ère RA à Aix en Provence. Il  va très souvent à Montpellier retrouver le colonel Roussel (officier  des services administratifs de l'air) qui assume la gestion de l’établissement Air de Villodève (une ancienne savonnerie). J’ai appris, à la Libération, que le magasin cachait un matériel considérable, dont de nombreux véhicules.

Une anecdote qui aurait pu tourner mal : les bureaux de l’intendance de l'air à Aix étaient situés dans un immeuble au 6 Cours Mirabeau, juste à côté de l’immeuble qui hébergeait les services de la Feldgendarmerie.

L’intendance de l'air utilisait quelquefois un magnifique camion Studebaker sans doute réquisitionné à une entreprise. Ce camion stationnait un jour, par hasard, devant leur immeuble, erreur qu’il n’aurait pas fallu commettre. Un officier allemand de la Commandantur s’est étonné de sa présence et a décidé de le réquisitionner, lui et son chauffeur. Un vent de panique a déferlé sur le service, car, si c’était tant pis pour le camion, c’était très grave pour le chauffeur qui était alsacien et aurait dû être mobilisé dans l’armée allemande. Je ne sais comment mon père s’est débrouillé, mais, dans l’heure, le chauffeur qui s’appelait ‘Grammelspacher’ a changé d’identité pour devenir ‘Antoine’, un brave paysan français. La fin fut heureuse : Antoine, redevenu ‘Grammelspacher’ à la libération, a terminé sa vie comme adjudant-chef mécanicien dans l’Armée de l’air.

Votre père est rayé des contrôles le 4 janvier 1944 puis rappelé à l'activité le 6 septembre 44,  au poste d'adjoint au directeur régional de l'intendance à Aix. 

Je ne sais pas pourquoi il a été été rayé des contrôles entre janvier et septembre puis rappelé à l’activité.  Son comportement n’a jamais varié et rien ne laissait transparaître - côté familial - qu’il en fut affecté.

Le 5 avril 1945, il est stagiaire à l'Ecole Supérieure d’Intendance. Pourquoi prend-il cette décision de changer de statut, lui l’ancien pilote ? 

Mon père ne pouvait plus faire partie du PN. Sollicité par ses amis intendants, il a donc opté pour un changement de statut. A la fin de l’ESI, il est nommé le 25 décembre 1945 commissaire ordonnateur de 2ème classe (c’est-à-dire lieutenant-colonel) et affecté à nouveau comme adjoint au directeur de l’intendance de la 4ème Région aérienne, qu’il connait bien. Le 1er janvier 1948, il est promu à la 1ère classe (colonel).
Le 23 janvier 1954, il est nommé directeur du commissariat du 1er Commandement aérien tactique et des forces aériennes en Allemagne.
1958 Lahr (le directeur au centre) ; à droite le cre ltt Georges Bilbault,
et 2ème à gauche le cre ltt Rolland, officiers des détails à la 33ème escadre


Promu commissaire général de BA le 1er janvier 1954, il est nommé le 27 janvier 1956 Directeur Central du Commissariat de l'air en janvier 1956, puis promu commissaire général inspecteur le 1er avril 1956.

1958
1963 Ris-Orangis

Dans quel contexte s’est faite sa nomination comme commissaire général inspecteur ?
1973

« On » a dit que la nomination de mon père représentait « l’équilibre entre deux tendances ». J’ai toujours pensé que la « lutte » d’influence que sous entendait cette remarque opposait les partisans d’un Commissariat composé de militaires de type Intendance (je ne vous dirai pas ce que mon père en pensait), et les partisans d’un commissariat plus "militaire", bien intégré dans son armée.

La loi du 30 juillet 1960 et le décret du 6 septembre 1960 qui précisent et régularisent le statut et les prérogatives du corps des commissaires de l’air après l’arrêt Roynette (2) me confirment dans cette supposition. Ces textes prévoient notamment que les commissaires de l’Air sont des officiers avec une hiérarchie par grade et non pas par classe. Ce n'est pas qu'un détail. C’était exactement la position de mon père, qui était à la manœuvre pour la rédaction de ces textes.

Justement, après l’arrêt du Conseil d’État sur le recours du lcl Roynette, votre père était-il inquiet pour la suite ?
Je ne crois pas.  A l’époque, j’étais au Bureau Technique du commissariat. J’ai plaisanté, devant lui, sur ma situation personnelle : J’étais affecté dans un service dissous, d’un corps qui n’existait pas. Il a souri et m’a dit : « Ne t’inquiète pas. ».

C'est là que vos carrières respectives se croisent car, après des études de droit, vous passez le concours en 1956, à 28 ans. Votre père vous avait fait une description flatteuse du corps ou vous avez toujours voulu exercer ce métier ?

Pour être court, sachez  qu’à l’époque trouver du travail était difficile. L’Armée de l’Air proposait des engagements pour être technicien, offre assortie d’une importante prime d’engagement qui m’a décidé. Je me suis engagé.

J’ai été un sous-officier assez brillant pour que mes chefs m’encouragent
fortement à présenter le coucours EOA Télec, et cela me plaisait beaucoup. Apprenant ma résolution, des commissaires proches de mon père m’ont pratiquement obligé à présenter le concours de stagiaire du Commissariat. J’ai donc eu le choix : Télec ou commissaire ? La quantité de travail à accomplir étant sensiblement la même, les commissaires me faisant miroiter une fin de carrière comme général, j’ai choisi le commissariat.


A son départ en 1965, il s’installe à Nice où il exerce de nombreuses activités bénévoles. 

Il a exercé plusieurs bénévolats (Croix rouge, surtout liaisons avec le palais princier de Monaco, Villages d’enfants de la Côte d’Azur, Comité des fêtes de Nice). Il faisait également partie de « L’Academia Nissarde », car il parlait couramment le niçois.
Il est décédé le 21 mai 1981 à Saint Mandé

La municipalité de Nice a donné le nom de « Général  Bilbault » à une rue de la ville. Il est enterré au cimetière de Caucade, parmi de grands noms de l’histoire de l’aviation, notamment Louis Delfino et Roger Sauvage (Normandie-Niémen), Vsevolod de Martinoff (ami de Mermoz), Paul Gastin (as de 14-15) et Antonio Fernandez (pionnier mort en 1909).


(1) Annexe 8 de "L'armée de l'air à Madagascar". Document dactylographié, écrit par le LCol Meaude et publié par le SHAA en 1963. Sa cote au SHD est G 768
(2) Cf. notre article du 2 mai 2017



Un camarade de toujours

Le 11 septembre 1959, une prise d'arme se déroule à Villacoublay pour le départ du Général Bailly, ancien CEMAA. Des remises de décorations ont lieu à cette occasion, en particulier la croix de commandeur de la légion d'honneur est remise au commissaire général Bilbault, directeur du commissariat.
Dans son allocution le général Jouhaud, CEMAA en titre (ci-contre), s'adresse à ce dernier en ces termes: " Un camarade de toujours et dont j'ai pu apprécier les hautes qualités lorsque nous étions ensemble à Lahr où je commandais le 1er Catac".

(in la revue Forces Aériennes Françaises- numéro 153 -novembre 1959)