mardi 2 mai 2017

1953-1960 : Un statut remis en cause

Par Jean-Claude Guiriec (ECA 55)

JC. Guiriec, H. Mulotte, J.Primault
Membre de la troisième promotion de recrutement direct, Jean-Claude Guiriec était à la DCCA au moment où le Conseil d’Etat a annulé le décret 53-367 du 28 avril 1953 fixant les dispositions statutaires particulières au corps du commissariat de l’air. Il nous fait découvrir, de l’intérieur, l’ambiance à la DCCA à cette période.

Vous êtes entré en 1955 à l’école du commissariat de l’air, dans un corps qui, depuis le 27 juin 1953, voyait son statut faire l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’Etat. Cela ne vous a pas interpellé ?

Non, pas du tout. En effet, nous savions qu’un officier des services administratifs, le lcl Roynette, avait déposé un tel recours. Mais cela ne nous a pas empêchés de suivre sereinement notre scolarité, à Salon en 1ère année et à Aix en 2ème année.


Comment était cette troisième promotion ?
De garde à Salon
Nous étions nombreux, 16, en raison de besoins identifiés à la fois pour faire face aux premières opérations aériennes en Algérie et à un départ progressif des plus anciens. Le directeur de l’école était le commissaire Graffard*. Je note que la moitié de la promotion a mené, comme moi, une partie de la carrière en dehors du commissariat de l’air.

Où avez-vous été affecté après l’école ?
A la rentrée 1957, j’ai été affecté comme officier des détails à la 10ème escadre de chasse à Creil. J’y ai retrouvé Jean Bajard (ECA 54), qui était en place depuis un an déjà**. Nous avons passé un an ensemble puis j’ai poursuivi seul jusqu’au printemps 1959, où j’ai été affecté un peu en avance de phase à la DCCA.
J’étais en charge du bureau personnel au sein de la SD Organisation, dirigée par le commissaire Daume. Compte tenu du caractère spécifique de mes dossiers (promotions, mutations, départs), et comme c’est assez fréquent dans toute institution civile ou militaire, j’étais souvent en contact direct avec le directeur central, le commissaire général Bilbault. Je l’ai beaucoup apprécié. C’était un homme très expérimenté, mais aussi très humain, et qui disposait d’un excellent réseau auprès du haut commandement de l’armée de l’air, car c’était un ancien pilote.

Seulement six mois après votre arrivée, le 16 octobre 1959, soit six ans après le recours de l’officier, le Conseil d’Etat annule le décret du 28 avril 1953, au motif « qu’il n’avait pas une base juridique suffisante dans la loi de 1942 ». Coup de tonnerre à la DCCA !

Oui coup de tonnerre, car à partir de ce jour-là, j’étais partiellement en chômage technique. Si la direction pouvait encore procéder aux mutations et aux départs, elle ne pouvait plus effectuer de nominations. L’avancement était bloqué, pour une période inconnue, notamment pour les élèves devant être promus sous-lieutenant ou lieutenant à l’été 60. Par ailleurs, il y avait le risque que certaines décisions portant grief signées par des commissaires – devenus « sans statut » donc sans pouvoirs établis – pouvaient faire l’objet de recours. S’ouvrait une période d’incertitudes graves.
[Le commissaire général Henri Mulotte, présent à l’entretien, confirme avoir entendu à Salon début 1960 : « Vous qui n’avez pas de statut »]

Il fallait donc préparer un texte de remplacement de toute urgence. Et cette fois, une loi et non plus un décret.
En effet, sur le fond la tâche n’était pas compliquée en soi. Il avait été décidé de ne pas traiter le seul aspect du recours mais de reprendre l’ensemble des questions statutaires, et de les inscrire non dans la suite de l’acte dit loi du 17 février 1942 (que la nouvelle loi va abroger) mais dans la loi du 9 avril 1935 fixant le statut du personnel des cadres actifs de l’armée de l’air.

En revanche, la complexité résidait dans la gestion du temps dans le cadre de la procédure législative, où l’on connait bien les difficultés d’inscription dans les ordres du jour, à l’Assemblée comme au Sénat.

Sur le fond, le projet reçoit les feux verts en interne ministère (contrôle général des armées, direction juridique du secrétariat général pour l’administration) puis au Conseil d’Etat. Ensuite, je dois reconnaître que nous avons eu de la chance.  J’ai informé le directeur central que je connaissais le Secrétaire général du gouvernement (SGG), René Belin, dont l’une des tâches était - comme aujourd’hui - l’examen et le « bleuissement » des projets de loi et leur transmission à l’Assemblée et au Sénat. Un détail de cette transmission avait une grande importance : le SGG pouvait déposer un projet sur le bureau des assemblées en l’assortissant d’une mention d’urgence, exceptionnelle évidemment. Le général Bilbault a bien vu où je voulais en venir et m’a donné carte blanche.

Comment aviez-vous connu René Belin ?

Concours de circonstance, il avait été mon maître de conférences à Sciences Po. Donc, je lui écris et il me reçoit pour que je lui expose la situation. Je dois l’avoir convaincu, car il a ensuite classé le projet de loi en urgence. Le texte a été adopté sans modification le 7 juillet au Sénat et le 21 juillet à l’Assemblée*** (cf discours de Pierre Messmer ci-après). Mission accomplie. Le décret d’application a été pris le 6 septembre 1960****. Les promotions ont été faites avec effet rétroactif à compter d’octobre 1959. A noter qu’aucun recours n’a été fait contre des actes signés par des commissaires entre 1953 et 1960.

Et la suite de votre carrière ?

1961-63 : En juillet 1961, à la suite du Putsch à Alger, il y a eu une valse des affectations et j’ai été affecté au CBA d’Alger Maison Blanche, dirigé par le commissaire Delfini. C’était un grand monsieur, passé par l’école supérieure d’intendance (ESI), qui m’a parfaitement accueilli et bien expliqué le travail de surveillance. Je garde de lui un excellent souvenir. J’en profite pour préciser que les commissaires d’origine ESI étaient généralement d’excellents officiers (c’est vrai, j’ai croisé quelques personnages, mais peu en définitive). L’origine d’une certaine mauvaise réputation dans les unités provenait tout simplement du fait qu’ils n’étaient pas affectés sur base aérienne et que leurs contrôles étaient, par définition, peu appréciés. Mais il me semble que, à part sans doute quelques cas individuels, ils n’étaient pas excessifs dans leurs vérifications et appliquaient simplement les procédures.

Le conflit prend fin en mars 1962 et l’indépendance est reconnue à compter du 5 juillet mais je reste affecté, dans le cadre des accords d’Evian. Nous pouvions nous déplacer sans trop de difficulté.

1964 : je rentre d’Algérie en décembre 1963 et suis affecté en janvier 1964 à la Mission centrale de liaison pour l’assistance des armées alliées, qui relevait du directeur de l’administration générale du ministère. C’était l'intermédiaire obligé entre les divers ministères et états-majors français, d'une part, les militaires alliés, d'autre part, pour les facilités qui pouvaient leur être accordées sur le territoire national, tant en France qu'outre-mer, notamment en matière de mouvements, d'entraînement dans les camps, d'expérimentation d'armes et de matériels, de stockage et d'approvisionnement. Les bureaux étaient boulevard de Latour-Maubourg. Les marchés à l’intention des américains et canadiens étaient passés en francs mais remboursés en dollars US ou canadiens, ce qui était bon pour la balance des paiements. A mon arrivée, j’ai travaillé sur les achats 1964, puisque l’année budgétaire américaine commençait alors le 1er juillet (depuis 1979, elle débute le 1er octobre). Le commissaire Herry (ECA58) était mon adjoint.

C’est l’année où vous avez quitté le commissariat de l’air ?


Oui, après 9 ans de service, j’ai rejoint la compagnie Air France le 1er octobre 1964 au titre d'un « recrutement des jeunes cadres ». J’ai effectué des allers et retours entre le siège et les réseaux : j’ai d’abord travaillé sur le plan d’entreprise de 1964 à 1969, puis sur la formation économique des cadres avant de rejoindre le réseau Afrique-Proche-Orient comme directeur adjoint. Je suis revenu au siège comme responsable du plan d’entreprise pour l’investissement puis reparti dans la chaîne Méridien, qui faisait partie du groupe. En 1981, j’ai fait l’IHEDN. Enfin, j’ai dirigé le réseau Amérique du sud puis tout le réseau Amérique, avant de terminer sur une mission d’inspection. J’ai pris ma retraite en 1994.

*cf. nos articles des 21 septembre et 4 octobre 2015
** cf. article du 12 aout 2015
*** abroge la loi du 17 février 1942 créant le corps des commissaires ordonnateurs de l’air et l’article 18 de la loi 51-651 du 24 mai 1951 (avancement des commissaires)
****abroge de nombreux textes réglementaires : décrets concernant les commissaires ordonnateurs de l’air (456 du 17 février 1942, 683 du 31 mai 1943, du 27 avril 1944, du 19 mars 1947, 50-12 du 6 janvier 1950) ou décrets plus récents (53-368 du 28 avril 1953 (ECA), 58-375 du 3 avril 1958 et 59-589 du 24 avril 1959 sur les réserves)

Discours de Pierre Messmer, ministre des armées, le 21 juillet 1960 devant l’assemblée nationale
« Il nous est arrivé un malheur »