mardi 25 avril 2017

Du commissariat de l’air au Conseil d’Etat

J’éprouve une profonde reconnaissance envers le commissariat de l’air 
Interview d’Anne Egerszegi (ECA90)

Les réorientations de carrière dépendent évidemment des souhaits et des domaines d’excellence des candidats, qu’il s’agisse de droit, finances, logistique, restauration ou audit. De nombreux commissaires ont été intégrés dans les diverses magistratures, mais une seule au Conseil d’État, dont les membres ne sont d’ailleurs pas des magistrats. Nous donnons la parole à Anne Egerszegi, maître des requêtes, qui, hasard de l’actualité, vient d’être nommée chevalier de la Légion d’honneur, ce dont nous la félicitons.


Vous avez mené 2 carrières successives : commissaire de l'air durant 15 années et membre du Conseil d’État depuis 12 années. Quel a été votre parcours au sein du commissariat de l’air ? 

Après une année de stage à Dakar à l’issue de ma scolarité à Salon (1990-1992), j’ai été affectée à la direction centrale du commissariat de l’air durant cinq années, au bureau solde, déplacements et prestations sociales de la sous-direction finances. Cette affectation, à première vue un peu aride, s’est révélée passionnante notamment à raison de son volet interarmées. Elle s’est achevée sur une très belle mission de 6 mois au siège de l’ONU à New -York, au sein du département des opérations de maintien de la paix dirigé alors par K. Annan. Je garde un fabuleux souvenir de la cérémonie de départ de celui qui allait prendre la tête de l’organisation. Tous les officiers servant au sein de ce département avaient souhaité lui rendre hommage en revêtant leur uniforme national. C’était magnifique et très émouvant.

Je suis ensuite partie en 1998 à Saintes qui s’apprêtait à accueillir la première promotion des militaires techniciens de l’air. Cette période sur base de trois années a été très fructueuse, notamment en ce qu’elle a permis la conduite de beaux projets et de belles rencontres.

Il me manquait le niveau régional : c’est à la direction du commissariat en région aérienne nord-est que j’ai été affectée en septembre 2001, comme adjoint au chef de la division logistique puis comme adjoint au directeur de la structure locale d’achat et de mandatement, nouvellement créée. A peine arrivée à Villacoublay, j’ai participé, dans des conditions un peu épiques, à la mise en place des « bulles de protection » de La Hague et de Brest, à la suite des attentats du 11 septembre. Durant cette affectation, je me suis particulièrement occupée des marchés publics. La période a été assez mouvementée en raison de la réorganisation administrative liée à la création des structures locales d’achat et de mandement et de la réforme de la réglementation sur les marchés publics.

Dans quelles circonstances avez-vous été amenée à réorienter votre carrière ?

C’est essentiellement pour des raisons personnelles. Estimant que je n’étais plus capable d’assurer mes fonctions « tous temps, tous lieux » en ces années où les rotations OPEX étaient nombreuses, j’ai considéré, en accord avec ma conception de la mission d’officier, qu’il était préférable de quitter le corps plutôt que de mal le servir. C’était un vrai saut dans l’inconnu puisque depuis l’âge de 14 ans, je voulais être commissaire de l’air. J’avais scotché au-dessus de mon bureau d’adolescente les images de la pucelle de l’école de l’air et d’une feuille d’acanthe que j’avais découpées sur une brochure de l’ONISEP consacrée aux carrières dans les armées. Toutes mes études avaient été orientées vers la réussite du concours du commissariat de l’air, alors ouvert à deux jeunes filles en moyenne par an.

J’ai déposé, presque du jour au lendemain, une demande d’autorisation de départ dans le cadre de la loi 70-2 alors en vigueur. J’envisageais de poursuivre ma carrière comme magistrat auprès d’un tribunal administratif, renouant ainsi avec mes études de droit. Je n’imaginais pas une seule seconde que ma candidature au Conseil d’Etat serait acceptée. Je n’ai d’ailleurs pas immédiatement cru le commissaire général Aubard, alors directeur central, lorsqu’il m’a fait l’honneur de m’appeler pour m’annoncer que le Conseil d’Etat m’ouvrait ses portes à la rentrée de 2004.

Quel a été votre parcours dans cette seconde partie de carrière ?

Après une année de stage, j’ai été intégrée en qualité de membre du Conseil d’Etat en novembre 2005.

Les membres ont, dans une très large mesure, la possibilité de choisir leur plan de carrière. Certains souhaitent « sortir » du Conseil, notamment pour rejoindre les cabinets ministériels ou les grandes directions, d’autres préfèrent la rigueur du contentieux, d’autres enfin privilégient les échanges avec les ministères au sein des sections administratives chargées d’une mission de conseil juridique au gouvernement.

Pour ma part, j’ai succombé aux charmes de la « bi-affectation », à savoir une affectation au sein d’une chambre de la section du contentieux et parallèlement, une affectation au sein d’une section administrative. C’est parfois acrobatique de tout gérer mais j’apprécie la conjugaison au quotidien de ces deux volets de nos fonctions.

Je suis ainsi rapporteur à la 3ème chambre, en charge du contentieux des collectivités territoriales, du contentieux agricole, du contentieux des concentrations économiques et d’une partie du contentieux fiscal.

Parallèlement, après avoir été affectée durant dix ans à la section des finances, j’ai rejoint la section des travaux publics où sont suivis les dossiers énergétiques et agricoles, ceux relatifs au logement, aux infrastructures, à l’environnement et aux transports. A ce titre, nous examinons les projets de lois et les projets de décrets les plus importants et rendons des avis.

Que vous ont apporté votre formation à l'ECA et votre carrière dans le commissariat  pour l'exercice de vos fonctions actuelles ?

A dire vrai, mes meilleurs souvenirs de Salon-de-Provence sont liés à la formation militaire, sans vouloir du tout remettre en cause la qualité de l’enseignement professionnel délivré par l’ECA ! La formation militaire était pour moi un véritable challenge, l’occasion de me dépasser et de partager de bons moments avec la promotion de l’école de l’air. Durant les cours à l’ECA, je regardais très souvent par la fenêtre, dans l’attente de la prochaine séance de sport ou de tir ou de la prochaine sortie terrain. Mon grand regret est de n’avoir pu suivre la formation para en raison d’un doigt cassé à la suite d’un accrochage avec un élève au cours d’un exercice de plaquage au sol !
Mes fonctions actuelles ont peu à voir avec celles exercées en qualité de commissaire. Toutefois, mon parcours répond au même idéal : celui d’être au service de mon pays et des valeurs républicaines. Par ailleurs, ma connaissance de l’administration d’active est sans conteste un atout pour dégager, dans l’exercice de mes nouvelles fonctions, des solutions équilibrées et pertinentes.

A l'inverse, que vous a apporté cette partie de carrière comme magistrat ?

Comme aime à le dire notre vice-président Jean-Marc Sauvé, « le Conseil d’Etat a vocation à dire le Droit et à rappeler le Juste. » De par les décisions juridictionnelles qu’il prend, son rôle de conseiller juridique du gouvernement, ses relations avec le Parlement, le Conseil constitutionnel et les cours de justice européennes et enfin, les sujets sur lesquels il intervient, le Conseil d’Etat, gardien de l’Etat de droit, est au cœur de la vie de notre pays. Servir au sein de cette institution est exaltant.

Après quelques dix ans au sein du Conseil, je suis admirative de la richesse intellectuelle de nos réflexions et de nos débats. Que ce soit en matière contentieuse ou en matière administrative, le Conseil d’Etat fait vivre une collégialité effective et remarquable. Les membres du Conseil sont capables, dans le respect et l’écoute mutuels, indépendamment de leur origine, de leur grade ou de leurs convictions personnelles, de confronter, des points de vue différents, voire antagonistes, à la recherche, itérative et coopérative, de la bonne décision ou du bon avis.

Par ailleurs, comment ne pas apprécier de travailler au sein d’une communauté d’hommes et de femmes d’une si grande qualité humaine et intellectuelle, le niveau d’excellence des membres s’alliant à une grande humilité forgée dans l’exercice de la collégialité, au service du droit, de l’intérêt général et des libertés.

NB : Les membres du Conseil d’Etat n’ont pas, à la différence des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, le statut de magistrat, à raison du caractère bicéphale de leurs fonctions de juge et de conseiller du gouvernement. 

Chacune de vos 2 activités a eu ses propres contingences mais peut-on établir une typologie de ces contingences et difficultés propres à chacune ?

L’évocation de contingences ou de difficultés dans le cadre de mes fonctions au Conseil d’Etat serait incongrue. Je suis en effet trop consciente du privilège que j’ai de servir au sein de cette si belle institution.

Par ailleurs, j’ai vécu de très belles années en qualité de commissaire de l’air avec le sentiment d’avoir bénéficié d’une grande autonomie et de la confiance de ma hiérarchie dans les différents postes que j’ai pu occuper, en centrale, sur base ou à Villacoublay. Seules les contraintes de mobilité m’ont conduite à réorienter mon parcours professionnel.

Quels conseils donneriez-vous à un commissaire des armées de milieu air qui souhaiterait réorienter sa carrière professionnelle ?

Je ne crois pas être la mieux placée pour donner des conseils : je n’avais aucun réseau, n’avais pas anticipé ma réorientation et partais en congé maternité quatre mois après mon arrivée au Conseil alors que je n’étais que stagiaire : le contraire de ce qu’il convient de faire !

Néanmoins, il me semble possible d’affirmer que la formation initiale des commissaires ainsi que les fonctions qu’ils sont amenés à exercer au cours de leur carrière les préparent excellemment à une éventuelle reconversion. La capacité d’adaptation, la rigueur et le sens de l’engagement alliés à la maîtrise des fondamentaux sont en effet des qualités recherchées par les recruteurs, qu’ils relèvent du secteur public ou privé.

Permettez-moi de faire part d’un regret : il est dommage que le commissariat de l’air ne mobilise pas plus ceux de ses membres qui ont quitté le corps à mi carrière, aux fins de créer un réseau professionnel utile en cas de reconversion*. Notre départ ne remet pas en cause notre attachement aux armées. En ce qui me concerne, j’éprouve en outre une profonde reconnaissance envers le commissariat de l’air puisque ce sont mes années de service au sein de ce corps qui m’ont permis d’intégrer le Conseil d’Etat.

*L’Amicale, créée en 2012 à l’initiative du commissaire général (2S) Jean Bajard, a notamment pour but de contribuer à la réalisation de cet objectif, au niveau qui est le sien, en animant un réseau et en diffusant de l’information.