dimanche 26 mars 2017

Le service du commissariat de l’air en 1956 (suite)

par le commissaire général (2S) François Aubry


Après l’échelon central, nous poursuivons avec les échelons régionaux et locaux.

2-L’échelon régional.

21-Les directions régionales du commissariat de l’air  (DRCA)

Chaque commandant de région aérienne, responsable de l'administration dans sa région selon la loi de 1882 adaptée à l'Armée de l'air, dispose d’une « direction régionale du commissariat de l’air ».
La mission d’un directeur régional du commissariat est triple :
- Il est ordonnateur secondaire par délégation du ministre et, en liaison avec la direction de la comptabilité du ministère des finances, accrédité auprès des trésorier-payeurs généraux des départements de sa circonscription. Le mécanisme dérogatoire au droit budgétaire commun dit des « dépenses à bon compte » dont bénéficient (à l’époque) les trois armées donne un relief particulier à cette attribution essentielle (9) ;
- Il est responsable d’une partie de la manœuvre logistique au titre des matériels du commissariat (habillement, couchage, ameublement, rations de combat, matériels de campagne) ;
- Il exerce, à travers les services qu’il dirige et conformément à la loi de 1882 (article 23), la vérification des comptes (contrôle de régularité) et la surveillance administrative (contrôle d’opportunité).

 Toutes les directions régionales ont la même organisation, distincte de celle de la direction centrale, avec cinq bureaux :
- solde, déplacements, pensions ;
- subsistances ;
- fonds ;
- matériel ;
- contentieux.

Pour exercer ces missions, la direction régionale s’appuie sur trois organismes d'exécution : les établissements régionaux du commissariat de l’air (ERCA), les commissariats des bases de l’air (CBA) et les centres d’administration territoriaux de l’air (CATA).

Les commandants des Air Outre-Mer (AOM) positionnés en Afrique noire disposent d’une « direction du commissariat de l’air et commissariat des bases », les rares CBA stationnés en Afrique noire ayant disparu avant 1956. Chaque direction, sauf à Djibouti, dispose d’un établissement ravitailleur. En revanche, hormis à Dakar, il n’y a aucun CATA en Afrique noire.

La répartition détaillée des organismes régionaux figure en annexes 1 et 2.

22-Les établissements régionaux du commissariat de l’air (ERCA)

ERCA Toulouse
A la suite de la transformation des magasins centraux d’habillement (MCH) en ECCA, les magasins régionaux, en 1956, sont en cours de transformation en  établissements régionaux du commissariat de l’air (ERCA), à l’exemple du MRH  00 784 de Montpellier, créé le 1er octobre 1949, qui devient ECCA 784 le 1er novembre 1956. Cette transformation se double même parfois d’un transfert, comme le MRH 00 782 de Mignières Gondreville (Loiret) qui déménage en avril à Chartres pour devenir l’« ERCA 782 de Chartres » en juillet. Presque tous les ERCA bénéficient d’un ou plusieurs établissements annexes (ERACA).

En Afrique du nord, comme indiqué précédemment, tout le ravitaillement en matériels commissariat repose sur l’établissement mixte de Hussein Dey, une nouvelle répartition des ERACA se met en place à avec la création des ERACA 786 de Rabat et 787 de Tunis El Aouina.

Toutes les directions des Air Outre-Mer, sauf à Djibouti où le ravitaillement s’effectue directement par la métropole, disposent également d’un établissement régional.

Contrairement aux établissements centraux qui disposent d’une autonomie administrative (UAD), les éléments du service en région sont constitués en éléments divers (ED), donc rattachés pour leur administration à une base aérienne.

23-Les commissariats des bases aériennes (CBA)


Briefing
Les CBA constituent « l’échelon local » du service au sens de l’arrêté du 24 août 1954 (art 6) qu’il ne faut pas confondre avec l’échelon local de l’Armée de l’air situé au niveau des bases aériennes. Ils ont pour principale mission :
 - la vérification et la régularisation des comptes, finances et matières, des unités et formations qui leurs sont rattachées ;
- l’ordonnancement des dépenses de ces unités et leur surveillance administrative (par délégation).

Les CBA sont dirigés par un commissaire, ordonnateur sous-délégataire et directeur du CATA qui lui est rattaché, assisté d’un chef de bureau, officier d’administration. Ils sont articulés autour de six bureaux :
- crédits, fonds
- vérification comptabilité deniers
- vérification comptabilité matières
- habillement
- transports et déplacements
- engagements et rengagements (signature des contrats).

Chaque CBA fonctionne en binôme avec un CATA qui porte le même numéro que lui : 7xx pour le CBA et 8xx pour le CATA correspondant. Toutefois, le parallélisme CBA/CATA n’est pas systématique. S’il n’y pas de CATA sans CBA de rattachement, il existe parfois des CBA sans CATA. On dénombre 26 CBA pour 23 CATA fin 1956.
Cette même année, un CBA 760 était créé, regroupant les trois bataillons d'infanterie de l'air à Mourmelon.

23-Les centres d’administration territoriaux de l’air (CATA)

La base juridique des CATA est l’article 24 de la loi de 1882 qui prévoit que pour  "alléger la tâche administrative des corps de troupe, les établissements, formations et organes du territoire non pourvus des moyens leur permettant d’assurer par eux-mêmes leur comptabilité, peuvent être rattachés à des centres d’administration territoriaux".
CATA de Metz

Stricto sensu, les CATA ne relèvent pas du service en 1956, l’arrêté du 24 août 1954 relatif à l’organisation du service (abrogé le 3 janvier 1958) ne les mentionnant pas, alors que le premier CATA dans l'armée de l'air a été celui de Versailles, créé le 1er octobre 1951.  Ce CATA  gère Paris II (par opposition à Paris I, intra-muros) c'est-à-dire principalement les bases de la zone nord : Cambrai, Creil, Le Bourget, Meaux.

On peut s’interroger sur le texte (encore inconnu actuellement) ayant créé ces « centres d’administration territoriaux de l’air », d’autant que leur mission d’origine est allée bien au-delà de la mission comptable prévue par la loi de 1882 pour les éléments dépourvus de moyens de traitement adéquats. Elle inclut non seulement l’exécution du service de la solde pour les personnels d’active (les personnels civils étant payés par ailleurs et le prêt au soldat versé directement par les trésoriers des bases), mais également :
- l’administration des personnels en « position spéciale » (isolés, malades, en congés de longue durée, etc.) ;
- la gestion des fonds régionaux et ministériels dont ils sont dépositaires pour l’alimentation (ressources des mess et ordinaires) et les masses (dépenses d’entretien des bases à titre collectif) ;
- la conservation des archives administratives et comptables des unités de l’armée de l’air.

Les CATA sont commandés par des officiers supérieurs du corps des officiers d'administration. Pour le décompte des soldes, et pour l’impression des bulletins de solde, ils sont dotés de moyens mécanographiques modernes qui préfigurent le grand mouvement d’automatisation qui va suivre. Ces machines, de marque Logabax, sont achetées par l’ECCA de Chamalières qui en assure également l’entretien.

Conséquences de la création du 1er CATAC.
Le 1er CATAC, est un commandement opérationnel reposant sur une logique fonctionnelle dont la finalité est d'assurer la continuité des missions en temps de paix comme en temps de guerre. Sa création en 1954 entraîne une modification importante dans la structure des bases aériennes et dans celle des services.

La direction du commissariat en Allemagne, qui traitait déjà les forces aériennes d’occupation, devenait « direction du commissariat du 1er CATAC » siégeant à Lahr avec, dans la même ville, un CBA 773, un CATA 873 et un ERCA 791.

Les CBA de Saint-Dizier (compétent pour le département de la Haute Marne où stationnait la 1ère escadre de chasse) et celui de Luxeuil (compétent pour la Haute Saône où stationnait la 4ème escadre de chasse) devenaient CBA « tactiques », rattachés à la Direction en Allemagne qui était assimilée à une direction régionale. En revanche, ils perdaient leurs compétences originelles pour le soutien des unités territoriales de la 1ère région aérienne, ces compétences étant reportées sur les autres CBA de la région dits « territoriaux ». Cette nouvelle répartition se répercutait naturellement sur les CATA correspondants (9), et sur les trésoriers payeurs généraux.

Une autre conséquence de la création de cette grande unité aérienne a porté sur une ébauche « d’escadrons mobiles du commissariat » dotés de matériels spécifiques destinés aux opérations de guerre (remorques-cuisines pour personnel navigant, blanchisseries de campagne, remorques-magasins, etc.) et rattachés à un « parc dépôt de campagne ». Des matériels sous douanes, financés sur crédits Marks allemands étaient stockés en France dans des dépôts mixtes (santé, technique, commissariat), à la disposition exclusive du Ministre. L'ERCA disposait d'une « section de production », formule réservée en principe aux établissements spéciaux.

3-L’échelon local

Conformément à la loi de 1882 qui ne sépare pas l’administration du commandement à l’échelon local, le service du commissariat ne dispose d’aucun élément intégré à la structure des bases aériennes. Des éléments du service peuvent y stationner et sont même administrés par une base lorsqu’ils ne sont pas constitués en UAD, mais en dehors d’une présence fonctionnelle (surveillance administrative, revues d’effectifs, réforme de matériel, etc.), aucune trace de présence  organique du service ne peut être relevée dans les tableaux d’effectifs (TE) de ces bases.

Une autre conséquence de la création du 1er CATAC, et non des moindres,  a été la coexistence de deux modèles de bases aériennes dans l'Armée de l'air à partir de 1954, l’une à structure exclusivement territoriale dite base « type 2650 » (numéro de l’instruction qui la définit), et la seconde à structure mixte (une partie opérationnelle destinée à la mobilité du temps de guerre et une partie territoriale restant fixe) dite « base 6125 » ou base aérienne opérationnelle (BAO) constituée en brigade ou demi-brigade à trois escadrons. Le commandant de la base aérienne et de la brigade (ou la demi brigade) était chargé de la surveillance administrative des escadres aériennes placées sous son autorité.

officier des détails en Algérie
Une novation va intervenir avec la décision du général Bilbault d’affecter à compter de 1956 (11) les commissaires sortant d’école sur des postes d’officiers des détails (12) normalement confiés à des officiers d’administration. C’est une décision hardie qui nécessite un décret précisant que ces commissaires sont « mis à la disposition du commandement de l’Armée de l’air, en vue d’accomplir une période pratique d’application dans l’emploi effectif d’officier chargé des détails d’une unité dotée d’aéronefs » (13). Ce choix place résolument les commissaires en dehors du service et va considérablement influer sur les évolutions du commissariat dans les années qui vont suivre.

Conclusion

Au terme de cette présentation du service du commissariat de l’air en 1956, une double conclusion peut être tirée, au plan juridique et sur le plan pratique :

1/ Au plan juridique, on constate une application à géométrie variable de la loi de 1882 :
- A l’échelon central, le service est totalement subordonné au ministre qui fait la synthèse entre la direction et l’état-major. La loi s'applique, mais avec une nuance concernant les magasins du commissariat, tant en Algérie qu'en Allemagne ;
- A l’échelon régional, le respect de la loi s'effectue au prix d'une organisation complexe et redondante, due à la nécessité de respecter deux logiques d'organisation antinomiques imposées au service ;
- A l’échelon des bases aériennes, l’affectation d’un commissaire dans certaines escadres ouvre un champ de réflexion sensible sur un cas de figure que la loi n'avait pas prévu ;
- En matière d’OPEX enfin, nous avons vu à propos de Suez que la loi avait été tout simplement ignorée. (14)

2/ Sur le plan pratique, et en se plaçant du point de vue du directeur central, sa première année de fonction a été une année cruciale avec la poursuite de l’organisation des établissements régionaux, une réorganisation importante en Afrique du nord, une prise de position audacieuse sur les affectations des élèves sortant d’école et la réalisation d’une première OPEX de grande ampleur, le tout dans un contexte d’incertitude juridique totale en matière statutaire.

Ainsi se dessinent déjà nettement les éléments constitutifs de la culture du commissariat de l'air : le souci de faire la synthèse entre le respect des liens hiérarchiques et la mise en œuvre des compétences spécifiques, la recherche d'un équilibre entre une approche jacobine et la prise en compte des éléments de proximité, le tout étant fortement marqué par l'esprit de l'aviation où l'élément primordial est la réactivité.
Annexe 1 : Europe


Annexe 2 : Afrique - OPEX

NOTES
(la présente série de renvois fait suite à ceux de la première partie de l’article)

9/ L’administrateur militaire - Florence Girod – L’Harmattan 2014
10/ AMICAA 26 août 2015 colonel Henri Collignon
11/ AMICAA : « 1958 : officiers des détails au GB 2/91 Guyenne »- Commissaire général Jean-Louis Barbaroux (novembre 2012) ; « 1953, un tournant historique » Commissaire général Jean Bajard (août 2015)
12/Les « officiers des détails » sont chargés de fonctions administratives (effectifs, finances, matériels) dans les organismes ne disposant pas d'un « Major » dont c'est normalement les attributions.
13/ décret 56-989 du 26 septembre 1956. Voir le témoignage du commissaire général Jean Bajard  (12 août 2015)
14/ AMICAA 5 novembre 2016 et 14 décembre 2016 (Suez, première OPEX du commissariat de l'air)

SOURCES

SHD AI 40 E 25 093 3/3 organisation et fonctionnement des CATA
SHD AI 40 E 18434 et  E 18435  sur les CATA
SHD AI 85 E 12 621 Préparation au concours de l'ESI
SHD AI 85 E 371 96 Cours et conférences du CESA
SHD AI 40E 35 273 / 2 DCCA et organismes rattachés (1953-1967)
Historique du commissariat de l’air de 1966 à 1971 établi par la DCCA (rédacteur : Commissaire Le Floch)
Les bases américaines en France (1950-1968) - Olivier Pottier -L’Harmattan 2007