mercredi 21 décembre 2016

1956-2016 : Progrès dans les rations

Rations de fête pour les soldats de Chammal et Barkhane

"Après le succès des premières rations de fête distribuées à Barkhane le 14 juillet 2016, le Commissariat des armées a de nouveau fait préparer des rations spéciales pour les fêtes de fin d’année. Cette fois, ce sont des soldats de Barkhane et de Chammal qui vont être "gâtés".

"Ces rations comptent actuellement parmi les meilleures du genre: si les armées de l’OTAN consomment des rations améliorées dans des circonstances similaires, celles des forces françaises se distinguent par la technique mise en oeuvre pour leur conditionnement et par leurs qualités gustatives", précise le Commissariat des armées. Voici les deux menus proposés:



Si les rations "normales" peuvent être consommées jusqu’à quatre années après leur conception, les rations de fête ne peuvent être conservées que pendant six mois.

Les ingénieurs du Commissariat des armées sont parvenus à trouver "un équilibre entre les qualités gustatives, l’apport nutritionnel et les nécessités de conservation". Le conditionnement des produits a été particulièrement soigné pour qu’ils puissent résister au stockage à des températures élevées.

Enfin, "les produits composant ces rations proviennent exclusivement de producteurs et d’industriels français. Les denrées sont en outre presque toutes issues de l’agriculture biologique."
1 000 rations iront aux soldats de Barkhane et 200 à ceux de Chammal."

 Merci à Philippe Chapleau – lignesdedéfense.blog.ouest-France – via Paul Crépin


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Un article paru dans la revue "Forces aériennes françaises" (n° 128- 1957) souligne que, déjà dans les années 50, le commissariat de l'air se préoccupait de la qualité des rations de survie, notamment pour les "Air" outre-mer, l'auteur montrant sa détermination et son expertise dans un domaine essentiel pour les unités volantes.

Quelques réflexions sur les rations de survie 
par le Commissaire Lieutenant-Colonel Castaing (1957)

Il semble bien, cette fois, que la formule actuelle des rations Air T. 55 et Air M. 55 apporte, sous de légères réserves, la solution recherchée dans le domaine de la survie et clarifie pour l'avenir une situation en apparence compliquée.
Depuis près de dix ans, en effet, et encore tout récemment, les rations de tous types, de toutes formes et de toutes compositions, distribuées aux unités volantes des «Air» Outre-Mer, étaient en nombre tel que l'utilisateur non averti croyait, bien à tort d'ailleurs, à quelque flottement dans la politique suivie. [...]

Missions en apparence proches l'une de l'autre, le survol du continent africain d'une part et le "Sater" d'autre part n'ont en réalité rien de commun :

  • dans le premier cas, il importe de réaliser une ration aussi riche que possible pour un minimum d'encombrement et de poids, permettant à l'équipage et aux passagers de l'avion accidenté de survivre en attendant leur repérage et l'arrivée des premiers secours; 
  • dans le second, bien au contraire, une fois les naufragés repérés, le but à atteindre est de les alimenter avec une ration qui éveille en eux une sensation d'appétence d'autant plus forte qu'ils ont dû se contenter au préalable de produits de synthèse, n'ayant même pas donné une impression de lest à l'organisme. 
C'est dire que les compositions de ces deux rations ne sont absolument pas comparables.

LA DIVERSITÉ
Donc, en quelques années seulement, et à titre de dotation, nos unités n'ont pas reçu moins d'une dizaine de types différents de rations conditionnées : les rations sahariennes de 1948 (renouvelées en 1951), les rations Air 51, Air 52, Air 53, Air T. 55, Air M. 55, les rations conditionnées françaises (trois boîtes), les rations de combat métropolitaines n°20 type 51 et F.O.M. 1953, les boîtes de jus de fruit, les boîtes d'eau d'Evian, pour ne citer que celles-là.

Comme, d'autre part, l'élimination systématique de toutes ces rations successives n'était pas impérative et que leur remplacement, quelque peu anachronique, était assuré dans des délais plus ou moins longs par des services ministériels différents, il ne faut pas s'étonner outre mesure des difficultés rencontrées par nos unités pour résoudre avec efficacité, et surtout avec une sécurité absolue, le problème de la survie ou du Sater.

Dieu merci, un tel problème ne s'est jamais posé en A.O.F., à ma connaissance tout au moins, si ce n'est dans un cas qui, bien que réel, prit au demeurant un aspect plutôt expérimental, l'avion accidenté ayant effectué un crash à quelque dix kilomètres seulement de sa base de départ et dans une zone hospitalière.

L'opération « Sater» étant déclenchée, il eût fallu larguer un container Air 25 composé notamment de rations de combat type F.O.M. 1953. Ceci se passait en 1956. Mais, ayant appris que ces rations, stockées dans les containers depuis deux ans, ne présentaient plus toutes les garanties de qualité voulues, le préposé à la mission les remplaça sur-le-champ par des "Air T. 55" parce que, d'un millésime plus récent, elles «mettaient mieux en confiance». En soi, l'initiative était bonne, mais le principe faussé puisque les «Air T. 55», nullement prévues dans le «Sater », sont spécialement réservées à la survie et mises à bord des avions survolant le continent africain.

LE CONTRÔLE
Cet exemple illustre parfaitement tout l'intérêt qui doit s'attacher à la vérification périodique et minutieuse des lots emportés par les avions dans leurs missions désertiques ou stockés à terre en prévision d'opérations «Sater» (ou «Samar »).

Cette vérification s'impose, en effet, à un double titre :
- à titre moral d'abord, car nos équipages des avions de transport, qui manquent rarement d'appétit, n'ont qu'une foi limitée dans des rations aux formules chimiques, et il faut donc leur donner une confiance totale dans ces produits de secours;

- sur le plan physiologique ensuite, car il serait intolérable que, par suite de vieillissement ou d'altération prématurée, ces mêmes rations deviennent nocives à des organismes soumis à dure épreuve.

Vérifier est donc un impératif, mais un impératif insuffisant si le remplacement des rations n'est pas demandé à temps et ne se réalise pas dans les délais voulus. Actuellement, celles que nous possédons sont encore satisfaisantes, parce que datant de moins de deux ans, mais que de craintes n'avons-nous pas éprouvées avec les rations Air 51 et Air 52 encore en service au début de 1956, ou avec les boîtes de jus de fruit de 300 cl et de 5 litres prévues pour le «Sater» !

Ces boîtes de jus de fruit, de fabrication 1948, étaient devenues impropres à la consommation depuis 1950 : malgré une dégustation prudente, sinon timide, le médecin capitaine Favre et moi-même en avons fait, en 1955, une expérience évidemment malheureuse, traduite trois jours et trois nuits durant par des brûlures d'estomac insupportables. Ayant demandé leur remplacement immédiat, nous constations quelque temps plus tard que les nouveaux containers mis en place renfermaient, très soigneusement emballées d'ailleurs, des boites d'un excellent aspect extérieur mais de fabrication ... 1950, donc de trop longue date; et en fait, le liquide était laiteux et entièrement décomposé.

Présentement, la situation est bien clarifiée avec la liquidation systématique de toutes les rations autres que celles de 1955 pour la survie ou des rations de combat de fabrication récente et de l'eau d'Evian pour le « Sater ».

LE COMPORTEMENT
Comment se comportent les nouvelles rations sous climat subtropical ? Bien, apparemment, mais l'on ne saurait émettre un jugement définitif, car elles ont été mises en place depuis trop peu de temps et surtout n'ont pas encore été soumises à l'épreuve de la saison des pluies, de juillet à septembre.

A l'intérieur du boîtier métallique de la ration Air T. 55, cependant, apparaissent déjà quelques piqûres de rouille qui, se développant plus rapidement en période d 'hivernage, attaqueront le métal par plaques, le perceront peut-être et, malgré la présence du sachet déshydratant qui ne saura absorber toute l'humidité ambiante, risqueront d'avarier les produits.
Il sera donc nécessaire de revoir cette boite dans six ou huit mois, pour apprécier son comportement après les pluies du prochain hivernage.

La ration Air M.55, bien que récente en A.O.F. et munie d'un vernis protecteur, a déjà donné lieu à critique dans une unité: le durcissement du café en poudre. Pour vérifier cette transformation, nous avons dû sacrifier une ration prélevée dans le stock incriminé, sans cependant constater le même phénomène. Toutefois, au contact de l'air, et cela en l'espace de quelques secondes, le café soluble s'est complètement solidifié, sous une hygrométrie ambiante de 90°, il n 'y a pas là, à notre avis, matière à étonnement.

Par contre, les tubes d'aliment spécial «Mont-Blanc », repliés à leur base pour épouser les dimensions intérieures de la boîte, sont fragiles et, effectivement, à la pliure du sertissage basal, l'un des trois tubes présentait une légère fuite ; on pourrait, semble-t-il, éviter ce risque en laissant aux tubes leurs forme normale sans leur faire subir cette manipulation supplémentaire, qui provoque une compression de l'aliment dans son récipient.

Les rations individuelles de combat type F.O.M. 1953, équipant nos chaînes « Sater », sont plus fragiles encore. Ceci provient de leur emballage qui, sans protection suffisante, subit rapidement les effets de la corrosion : le café soluble, le bouillon et les boissons en poudre s'humidifient, se durcissent, se collent au boîtier et deviennent irrécupérables; le chocolat s'effrite, le nougat rancit, enfin le boeuf assaisonné et même le thon à l'huile présentent des traces d'altération. Il y a donc intérêt à les renouveler chaque année, sans dépasser ou même attendre la durée théorique de conservation fixée à deux ans.

Pour des rescapés du désert, en principe privés d'eau, cette ration de sauvetage présente en outre trop de composants à base de sucre, mais elle a été spécialement étudiée pour des combattants, et nous ne pouvons donc que l'accepter pour le « Sater », telle qu'elle nous est livrée.

La nouvelle boîte d'eau d'Evian recueille, par contre, tous les suffrages ; une solution heureuse est enfin trouvée au problème si délicat de la conservation de l'eau. L'emballage, à base d'aluminium, est parfait et sans doute serait-il intéressant de retenir la même formule pour les rations de survie Air T. 55 et Air M. 55, à base de métal ferreux trop fragile sous climat sub-tropical ou équatorial.

Enfin, de nouveaux containers (type 201) nous sont annoncés depuis un an, pour équiper les chaines « Sater », en remplacement de nos vieux Air 25 et Air 50. Ils présenteront l'avantage d'être plus volumineux, donc d'assurer un ravitaillement plus massif, et de comprendre une gamme plus étendue d'articles à larguer, non prévus dans les chaines actuelles : le fusil à crosse repliabJe, de la ficelle câblée, une suspente de 50 mètres, des panneaux de signalisation, des fusées, des moustiquaires de tête, etc. Nous les attendons avec intérêt.

En résumé, les problèmes posés par les rations de survie ne doivent pas se limiter aux calculs et aux expériences des chercheurs; ils trouvent leur prolongement naturel et indispensable jusque dans les unités, où ils ne sauraient présenter moins d'intérêt. Les conséquences graves pouvant découler, en effet, d'un relâchement quelconque dans cette partie du service doivent, bien ou contraire, inciter notre personnel navigant à surveiller et à vérifier avec minutie ce qui, en définitive, n'est pas appelé à faire vivre, mais survivre.

Il faut donc y penser et agir avant qu'il ne soit trop tard, en s'imposant deux disciplines :
- surveiller les lots : la vérification,
- combattre l'ennemi : la corrosion.

Commissaire lieutenant-colonel Castaing