lundi 21 mars 2016

Le commissariat de l’air 1970-2009

40 ans d’innovation au service du commandement et des personnels
Libre-propos de jacques Primault (ECA75)

Quelque temps est passé depuis la disparition du service du commissariat de l’air. On peut commencer à tirer quelques enseignements, à mettre en perspectives et à analyser les résultats et les « productions » de ce service sur le temps long, dans une démarche de type universitaire, factuelle et argumentée.

Ce (libre) propos se limitera toutefois à la période 1970-2009, celle dite de « plénitude », après une première période de « construction et de montée en puissance » (1942-1970), qui pourra également faire l’objet d’analyses ultérieures.

Mais comment juger de la « qualité d’un service » sans être taxé de défense pro domo ? Par chance, la recherche universitaire et la doctrine en sociologie de l’administration publique comme en sciences du management de la qualité du service ont su définir des « critères » sur ces sujets-là (1). Nous reprendrons ici les 5 critères les plus souvent cités, en les rapprochant de la pratique vécue de 1970 à 2009.
En complément à ces critères, le rédacteur a souhaité donner une vision à 360°, en confrontant son analyse à divers témoignages extérieurs, dans l’esprit des « retours clients » bien connus dans les systèmes de normalisation.



Critère 1 : une très bonne connaissance du milieu pour comprendre les problèmes rencontrés et les attentes du demandeur (commandement)  
Ce premier critère interroge sur la place du service du commissariat de l’air dans l’armée de l’air de l’époque. A l’examen, il apparaît que cette place découlait d’une double conjonction historique, d’ailleurs source de contradictions potentielles : un positionnement découlant du rapport Bouchard et de la loi de 1882, et une modernité marquée par la jeunesse de ce service (1942) au sein d’une armée de création encore récente (1934), à la différence de l’armée de terre et de la marine.

Sur le volet institutionnel, il n’est pas douteux que le commissariat de l’air aura été un bon élève dans l’application, sans a priori ni préjugé, des principes de la loi du 16 mars 1882 sur l’administration de l’armée, notamment l’autorité et la responsabilité du commandement, et la subordination de l’administration au commandement.

Bon élève, non pas par opportunisme mais grâce à la vision prospective des premiers directeurs centraux par rapport à l’intérêt supérieur de l’armée de l’air. Ces directeurs ont eu, en effet, le courage de s’exonérer, peu à peu, des pesanteurs d’organisation liées à la culture d’origine des premiers commissaires-ordonnateurs de l’air, issus de l’intendance.

Cette évolution a débuté dès les années 50 avec la pleine intégration des jeunes commissaires de recrutement direct auprès de l’école de l’air puis leur affectation, dès 1956, à des postes de responsabilité effective dans l’administration des escadres de chasse et des groupes de transport.
Cette immersion progressive du commissariat de l’air - et de chaque commissaire pris individuellement - dans l’ensemble constitué par l’armée de l’air s’est renforcée au tournant des années 70 avec l’affectation des commissaires sur les bases aériennes, sur l’impulsion modernisatrice du commissaire général Daume (2). L’expression « faire corps » trouvait parfaitement à s’appliquer vis-à-vis de l’armée de l’air.

« Parties intégrantes de notre grande famille, les commissaires de l’air ont été, en toutes circonstances, à nos côtés, sur nos bases aériennes ou sur les théâtres d’opérations, faisant preuve d’un professionnalisme qui n’est plus à démontrer. Ils ont occupé et occupent encore des responsabilités importantes, à tous les niveaux de la structure de commandement de l’armée de l’air. »(Général Denis Mercier, ancien CEMAA, avril 2013)

La modestie ajoutant au mérite , un commissaire de base (futur DCCA) écrivait en 1981 : « Les seuls mérites du commissaire de base, sous l’autorité du commandant de base, ont été d’obtenir, sans heurt, l’adhésion de chacun aux transformations envisagées afin d’assurer la mise en commun de toutes les ressources pour le bien de la collectivité ».

 « Une méconnaissance des besoins, des soucis, des motivations des personnels conduirait à une administration inhumaine détachée du réel. Aussi, pour faire face efficacement aux demandes incessantes et variées que suscitent les multiples missions d'une-base, il faut que le commissaire de base soit un homme de terrain efficace. » (Colonel Lacaze, ancien commandant de la base 705 de Tours, 1983)

Le commissariat de l’air a donc pleinement répondu à ce premier critère d’évaluation (expertise et connaissance du milieu), grâce à une organisation matricielle sur les deux axes suivants :
d’une part, une formation initiale de haut niveau à Salon (qui plus est ouverte sur l’université, notamment en comptabilité et en histoire militaire-sécurité-défense) ;
et, d’autre part, un maillage efficace sur le terrain, enregistrant en permanence les attentes des personnels de l’armée de l’air, au travers du réseau des commissaires de base (et des commissaires adjoints en 2004), des commissaires placés près des grands commandements et des chefs des établissements ravitailleurs.

Critère 2 : La compétence et l’expertise pour réaliser avec fiabilité, rapidité et sécurité le service/produit attendu 

 Le commissariat de l’air et ses membres (commissaires, officiers, sous-officiers de la « gestion 70 » et personnels civils) ont fait preuve, à maintes reprises et dans beaucoup de domaines, d’un haut niveau de professionnalisme. Limitons-nous à quatre zooms sur cette période 1970-2009 :

- La formidable expertise du service informatique, peu étoffé en effectifs mais  rassemblant des compétences et affichant une expertise reconnue aussi bien au sein du ministère que chez les prestataires. Durant les 40 ans de la période considérée, le service informatique a souvent anticipé et lancé de nombreuses modernisations, tout azimut : qu’il s’agisse de la solde (mais en toute sécurité, fiabilité et stabilité, compte tenu de l’impact sur le moral des personnels), du programme de ravitaillement des effets d’habillement, du recomplètement automatisé des stocks des bases aériennes, de la restauration ou de la micro-informatique. Le mouvement s’est accéléré dans les années 2000 avec, notamment, la simplification des tâches (SICASTAR) et, surtout, la création de nouvelles architectures permises par les réseaux et la dématérialisation  (réseau EDI - échange de données informatisées - puis création du SIDCA (système d’informations décisionnel du commissariat) dans le cadre plus général du projet de service @CANTIA (amélioration concertée de l’administration grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication dans l’armée de l’air);

- La réussite du soutien commissariat apporté dès les premières missions extérieures (Tchad, Sahara occidental) avant qu’elles ne deviennent plus standardisées (OPEX) à partir de la première guerre du Golfe. Les bases aériennes et les établissements ont toujours répondu aux besoins urgents en soutien commissariat exprimés par le commandement ;

- L’efficacité reconnue du commissariat (SACA) en matière de transports aériens, aussi bien en transport de fret (depuis les premières opérations au Tchad et au  Sénégal), affrètement d’assistance en escale et paiement de redevances aéroportuaires qu’en transport de personnes par voie aérienne civile. En 2004, le SACA a une nouvelle fois démontré son savoir-faire en développant avec succès pour le ministère l’important projet TACITE (transport aérien civil traité électroniquement);

- La formation dès les années 70 de commissaires spécialistes, dans des domaines très divers, permettant au service de disposer de commissaires-experts, aptes à conseiller les hauts responsables et à anticiper les mutations (juridique, audit, contrôle de gestion, organisation et méthodes/qualité, informatique, textile-cuir, restauration). Une telle préoccupation a trouvé une suite logique naturelle dans les années 2000 avec les pôles de compétences et les filières.

La confiance n’empêchant pas le contrôle (3), les vérifications des comptes et surveillances (interne et administrative), héritées de la loi du 16 mars 1882, ont toujours été exécutées dans l’esprit et la lettre de la réglementation, mais sans exclure la part de conseil et d’accompagnement requise par l’objectif opérationnel. Il n’est pas surprenant que les commissaires de l’air se soient  parfaitement coulés, à partir des années 90, dans les démarches innovantes de contrôle de gestion et d’audit.

Le commissariat de l’air a répondu sans faute à ce second critère d’évaluation, en respectant ses engagements à la satisfaction du commandement.

Critère 3 : La serviabilité, la disponibilité et la mobilisation
Un ancien directeur central avait coutume de dire que l’essentiel de la mission du commissariat de l’air était d’être « au service » des hommes et des femmes de l’armée de l’air.

Il est reconnu que le commissariat, particulièrement au moment du lancement de nouvelles mesures, a toujours eu le souci d’aider le « bénéficiaire », de l’accompagner et de lui apporter toute l’attention nécessaire. Parmi les nombreux exemples, on citera évidemment les domaines de la solde et des matériels (de campagne ou de restauration),  avec notamment les équipes mobiles créées au sein des établissements ravitailleurs apportant un soutien au plus près et au plus vite. On rappellera également l’accompagnement apporté par le SETAMCA (puis SELOCA) au sein des unités opérationnelles pour suivre l’expérimentation fine de nouveaux effets PN ou PNNS (notamment au moment de la création d’articles temps chaud, avec le développement des interventions extérieures).

« A chacun de mes postes de petites ou grandes responsabilités, l’un ou l’autre de ces commissaires a toujours été là pour m’épauler ou me conseiller et surtout s’attacher à faire tout son possible pour m’aider à réaliser dans les meilleures conditions matérielles la mission qui m’était confiée. Ils étaient alors des « aviateurs » au même titre que tous les autres spécialistes dont ils partageaient la vie intime au quotidien sur nos bases mais aussi sur les théâtres d’opérations. Ainsi immergés au cœur même des forces vives de notre armée de l’air, ils en percevaient les besoins en matière de conditions de vie et de travail, avant même qu’ils ne soient formellement exprimés, démontrant ainsi à la fois leur raison d’être et leur efficacité au service de la mission commune. » (Général Bourdilleau, ancien major général, 2013)

C’est tout naturellement que le commissariat a souhaité rationaliser cette pratique d’accompagnement, en diffusant en 2003 une charte de qualité du service, axée sur la satisfaction des usagers et l’amélioration continue des procédures.

 « La participation du commissaire de base à l'accomplissement des missions, en ayant « ce qu'il faut, juste ce qu'il faut et quand il faut », est essentielle et nécessite une connaissance parfaite des impératifs opérationnels et des besoins véritables. Les mises en place judicieuses de mobiliers, d'effets d'habillement et de fournitures diverses concourent à la réalisation d'une meilleure qualité de la vie. Il est fondamental pour le moral de « rendre la vie commode et les gens heureux ».(colonel Lacaze, ancien commandant de la base 705 de Tours, 1983)

Critère 4 : La créativité, l’innovation, la force de proposition 

Du fait même de sa création « tardive » (1942) par rapport à l’intendance et au commissariat de la marine, le commissariat de l’air a pu faire évoluer certaines pratiques et organisations administratives traditionnelles. Bénéficiant de toute la confiance du commandement, le commissariat a pu anticiper plus facilement de nombreuses évolutions techniques et managériales.

Les directeurs centraux, à partir des années 60, ont d’abord eu la perspicacité de placer au sein d’un « bureau organisation » de la direction centrale de jeunes commissaires de recrutement direct qui ont insufflé un nouvel état d’esprit, ouverts aux nouvelles pratiques du secteur privé voire s’inspirant de l’air du temps (main stream dirait-on aujourd’hui). Une telle posture était cohérente avec la modernité de l’armée de l’air.

Sur le sujet de la féminisation des effectifs, le commissariat de l’air aura été le premier – par rapport à l’intendance et au commissariat de la marine - à ouvrir ses rangs aux femmes, dès 1977.

Le premier domaine qui vient à l’esprit en terme d’innovation durant cette période est celui de la restauration. Au début des années 80, dans le cadre d’une politique d’ensemble voulue par le commandement et confiée au commissariat de l’air (donc volontairement non externalisée), celui-ci a restructuré de fond en comble ce domaine essentiel pour le soutien de l’homme, qu’il s’agisse des infrastructures, des processus ou des matériels (distribution en self-service puis en scramble, cuisson, liaison froide, nettoyage).

Cette réforme étalée sur 10 ans a produit les meilleurs résultats d’une part sur la qualité et la variété des repas (même si l’adhésion n’est jamais unanime en la matière) et, d’autre part, sur la maîtrise des coûts. Les réformes se sont poursuivies dans les années 90 et 2000 avec le développement des « mess mixtes » -  le commissariat ayant anticipé la suspension du service militaire en 2001 et la baisse des effectifs -, la démarche HACCP (4)  ou encore la création en 1997 du centre de production alimentaire de l’air à Bordeaux (certifié ISO 9001 en 2003).

Autre rupture culturelle, le commissariat n’a pas hésité à nouer des contacts avec de grands groupes de restauration (Jacques Borel notamment), en adaptant le meilleur de leurs méthodes et de leurs formations. En matière RH également, le commissariat de l’air a été force de proposition (voire de persuasion) en étant à l’origine, avec l’aide de la direction du personnel de l’armée de l’air, de la création d’un nouveau corps, jugé nécessaire pour les services de restauration, les aide- spécialistes engagés locaux (ASEL puis ASRL, aujourd’hui MTA).

En complément à la restauration, l’hébergement des cadres a également été profondément revu à partir des années 80, avec un plan de rénovation structuré, intégrant des aménagements et du mobilier fortement inspirés, là aussi, de l’hôtellerie privée (fonctionnalités, décoration, télévision dans les chambres,..)

En matière d’habillement, le commissariat de l’air a souvent  été en pointe par rapport aux autres armées et aux administrations civiles, avec notamment la rénovation complète en 1977-80 de la tenue de sortie et du battle dress (avec le nouveau tissu CLP 300 commun aux deux tenues), la modernisation des effets PN (meilleure sécurité anti-feu, tenues temps chaud), des effets mécaniciens (temps froid, temps chaud).

Le service a également été le premier à la fin des années 70 à casser les codes en usage sur le caractère nécessairement « spécifique » des effets militaires et à recourir aux effets du commerce, qu’il s’agisse des effets de sport ou de certains effets en cession. L’impact de l’image renvoyée par les personnels a été très positif, et a pu jouer à la marge sur le moral (image d’une armée jeune, dynamique, bien en phase avec la société).

L’habillement n’a pas cessé d’évoluer dans les années 90 avec la création de nouveaux articles (parka bleue, blouson bleu, chemises et chemisettes blanches, facilitant un rapide changement de tenue travail-sortie), jusqu’à l’évolution finale - révolutionnaire au regard de l’histoire - du pull-over remplaçant le blouson de battle dress. L’esprit de modernité opérationnelle continuait à souffler.

Même si l’innovation a parfois été contrainte par les évènements, le commissariat de l’air a toujours su tirer parti de ceux-ci. Ainsi, sur la problématique sensible régie/externalisation, le commissariat a su anticiper dès la fin des années 90 la disparition programmée des appelés en axant clairement sa politique sur l’externalisation et, au même moment, en montant en compétence sur les marchés publics, avec la création des Structures locales d’achats et de mandatement (SLAM), copiées plus tard par tout le ministère avec les plateformes d’achats (les fameuses PFAF).

Ces quelques exemples montrent aussi - en filigrane - que la créativité et l’innovation ont nécessité courage et volonté de la part des directeurs successifs et un pouvoir de conviction auprès du commandement, car toutes ces nouveautés remettaient en cause une certaine routine !

« J’ai aussi pu constater la réelle capacité d’innovation de certains commissaires dans la mise en place de nouvelles modalités de management, l’armée de l’air a ainsi pu être novatrice dans le domaine de la mise en place de son contrôle de gestion, méthode bien rôdée à présent et qui compte parmi les outils de « pilotage » des armées. »(Général Bourdilleau, ancien major général, 2013)

Critère 5 : Le meilleur prix, l’efficience

Si le commissariat de l’air a su faire preuve de créativité et répondre aux attentes de l’armée de l’air, il a également su gérer des budgets sous contrainte, en privilégiant l’efficience plutôt que le moindre coût systématique.

Les réformes évoquées précédemment (restauration, habillement) n’ont pu être lancées qu’après des analyses financières globales, portant à la fois sur l’investissement de départ et sur les économies attendues dans la durée. Cette pratique a été particulièrement marquée pour la restauration, où une bonne synergie avec la direction de l’infrastructure a permis de financer de nombreuses restructurations, parfois lourdes.

Dans le même esprit, l’informatisation des procédures de programmation des commandes d’habillement, de gestion des stocks d’habillement (interfacée entre les établissements et les bases) a permis de faire d’importantes économies d’échelle à partir des années 80.

Au tournant du siècle, le commissariat a évidemment été un élément moteur pour la mise en œuvre, dans son domaine, des directives gouvernementales de modernisation : les centres de responsabilité déconcentrés (CRD) avec l’ouverture aux comptabilités générale et analytique, ou encore la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), orientée vers la performance et les résultats, dans le prolongement logique des actions déjà menées au quotidien depuis 30 ans par le commissariat de l’air.

De même, en 2004, le commissariat a apporté sa contribution à l’implantation du progiciel budgétaire Accord, avec réussite, malgré les difficultés de démarrage propres à un système interministériel complexe.
Au début des années 2000, le commissariat s’est inscrit dans les développements interarmées, bien au-delà de la coordination des trois commissariats, avec des projets lourds tels que Louvois, l’établissement public d’approvisionnement des armées en denrées alimentaires ou encore les directions du commissariat d’outre-mer.

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Fin 2009, au moment de sa disparition, le commissariat de l’air avait prouvé à maintes reprises, en externe et en interne, qu’il avait joué un rôle moteur dans beaucoup de domaines. Il avait parfaitement « fait le job », grâce à l'engagement de tous.

(1)Parasuraman, Berry et Zeithaml (USA) : «Ten Determinants of service quality » 1985, puis « Five dimensions of service » 1991 ; Fitzgerald, Brignall, Johnston, Silvestro et Voss (GB) : douze facteurs de qualité de service (1990, repris en 1991) ; Venetis (1996) : cinq dimensions de qualité de service pour les services professionnels ;  C. Mellac (1997) échelle de mesure de la satisfaction des clients de services complexes, en six dimensions ; thèse de Véronique Malleret - Les systèmes de mesure de la qualité dans les entreprises de service
(2)« Le devenir du commissariat de l’air » (Forces Aériennes Françaises décembre 1970)
(3) Sosthène de la Rochefoucauld-Doudeauville 1861
(4) Hazard Analysis Critical Control Point

(nos lecteurs sont invités à réagir ou à compléter les propos de l'auteur, dans une démarche d'enrichissement de la réflexion collective)