Nous poursuivons notre série sur les personnels civils qui ont marqué de leur empreinte le service du commissariat de l’air. Rencontre avec Corinne Micelli, sous forme d'une interview menée par le commissaire général Aubry. L’intéressée, actuellement chef de la section « gestion administrative de l’agent » à la direction des ressources humaines de l’armée de l’air (DRHAA), a passé plus de dix ans au service du commissariat de l'air mais est aussi l’auteur d'un ouvrage remarqué sur l'as des as de la première guerre mondiale, René Fonck.
Vous venez de fêter votre quarantième année de service, dont une grande partie consacrée au commissariat de l'air (en deux postes successifs) où j'ai pu apprécier vos qualités professionnelles et humaines. Votre carrière débute en 1976 comme personnel civil (sténodactylo) à la direction régionale de Metz dans la fameuse FATAC-1ère RA.
Par soif d’indépendance, j’avais abandonné mes études au seuil du baccalauréat littéraire pour entrer rapidement dans la vie active. Et c’est dans ce milieu que j’ai fait mes premières armes dès ma réussite au concours mis en place par la base aérienne de Metz. J’y ai découvert des personnes formidables et si attachantes que je me rappelle encore aujourd’hui leurs noms et visages. C’est à regret et à reculons que j’ai dû quitter Metz en 1980 pour suivre un conjoint mécanicien militaire affecté en Allemagne.
Après des affectations aux FFA puis au LCBA/CERMA à Paris, je vous retrouve en 1995 au SACA, boulevard Victor, où vous êtes adjoint administratif et responsable des marchés "exotiques" du commissariat de l'air, puis des marchés à caractère aéronautique (affrètements, transports de personnel et restauration à bord) pour l'ensemble de la Défense.
Les aléas de la vie et les premières restructurations des armées ont fait que je suis revenue au commissariat de l’air en 1993, affectée à la division « fonds » du SACA pour gérer les titres III et V. Provenant du monde des commissaires, j’y retournais bien volontiers, m’y sentant très à l’aise au point d’apprendre et de parler « le langage commissaire ». J’ai été sollicitée pour rejoindre le service des marchés, malgré un grade inapproprié, en raison de mes antécédents en la matière. J’ai fini par accepter de les prendre en charge, le directeur du SACA m’ayant donné carte blanche. Je me suis lancée à corps perdu dans ce défi.
Quels souvenirs gardez-vous de votre passage dans le commissariat de l'air?
Ces années de commissariat sont restées gravées dans ma mémoire comme l’on conserve l’image de ses premières amours. Avec le recul, je pense qu’elles m’ont permis de m’affirmer et ont été un tremplin formidable pour le reste de ma carrière. Je ne puis que remercier tous mes chefs successifs de m’avoir accordé leur totale confiance, leur bienveillance voire leur protection.
Nommée secrétaire administratif en 2000, vous quittez définitivement le commissariat de l'air pour un nouveau métier qui va vous entraîner vers le journalisme.
J’avais atteint mes objectifs au SACA. J’ai sollicité ma mutation pour le SIRPA Air qui recherchait un ou une journaliste d’une quarantaine d’années pour encadrer l’équipe de jeunes sergents rédacteurs. J’ai toujours eu une passion pour la langue française et l’histoire. J’ai fourni quelques documents rédigés au chef du SIRPAA, qui l’ont convaincu. Chaque mois, je partais en reportage dans les escadrons et j’ai remarqué que chacune des bases aériennes portait un nom de parrain.
Ça a été le déclic ! Je me suis immédiatement intéressée à la vie de ces pilotes héroïques qui me fascinaient. C’est ainsi que j’ai commencé à collationner tous les documents les concernant. Entre deux reportages, je rédigeais à titre personnel des biographies ou des « marbres » (dans le langage journalistique, les marbres sont des articles intemporels que l’on stocke en vue de combler un vide dans un magazine). Un jour qu’il manquait de la matière pour compléter les 64 pages du magazine, j’ai proposé mes articles et soumis l’idée de créer une rubrique historique mensuelle, ce qui m’a été accordé immédiatement. En plus de mes déplacements, je me rendais donc au service historique de l’armée de l’air au château de Vincennes pour puiser mes sources et ramener des photos. Les lecteurs ont apprécié cette nouvelle rubrique et je recevais dès lors de nombreux courriers.
Comment arrivez-vous ensuite au Service Historique de l'Armée de l'air, encore autonome à cette époque?
Au bout de quatre années à sillonner les cieux de France et d’outre-mer, j’ai demandé à être affectée au SHAA pour assouvir ma soif de connaissance de l’histoire de l’armée de l’air. La salle d’archives se trouvait sous mes pieds et j’avais l’autorisation d’y accéder sans réserve. J’étais comblée. Six mois plus tard, le service était rationalisé sous l’appellation « service historique de la défense », auquel étaient rattachés les départements des différentes armées. Les postes redondants ont été supprimés. J’étais la petite dernière arrivée en date ; je m’attendais donc à être la première virée. Comme je travaillais exclusivement au profit de l’armée de l’air, le directeur est venu me voir pour m’annoncer, triomphal : « Vous Corinne, on a décidé de vous garder ! »
L’affectation au SIRPA Air vous donne l'occasion de participer à la communication en cellule de crise. Que pensez-vous de l'éternel conflit entre la presse et les militaires en opérations ?
Après un an et demi au SHAA, le SIRPA Air auquel je fournissais toujours les articles de la rubrique historique m’a proposé le poste de secrétaire de rédaction qui était vacant. J’y suis donc retournée.
Pour ma part, je pense donc que le conflit entre la presse et les militaires en OPEX se règle par une bonne et cordiale communication entre deux interlocuteurs qui non seulement se respectent mais respectent également le métier et les obligations qui en découlent. C’est une question de comportement et de tempérament. Lors des exercices à la DICOD, je tenais le rôle d’un journaliste d’une grande chaîne de télévision genre BFMTV cherchant à tout prix à obtenir des infos sur les événements. Mais en tant que formatrice des officiers de presse à la DICOD, je maîtrisais parfaitement ces éléments.
Vous avez écrit un livre qui fait autorité mais qui vous a valu des ennuis judiciaires. Il faudrait une autre interview uniquement consacrée à votre "Fonck". Cette aventure peut-elle être résumée en quelques mots ?
portrait dédicacé par le
sculpteur/peintre de l'air C. Mabillon
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Cela a démarré comme ça. J’ai passé des nuits blanches à rechercher des informations, à fouiller les archives, à contacter les réseaux de résistance et interroger le Net. Des réponses me sont parvenues via les forums des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, du Canada, de Suisse et de Belgique, etc. Des personnes férues d’histoire de l’aéronautique ont proposé leurs services pour enquêter sur place et me rapporter des preuves indiscutables.
C’était presque obsessionnel ! Fonck est à l’origine même de ma demande de mutation pour le SHAA où j’ai eu l’immense chance d’avoir pour directeur le général Roland Le Bourdonnec, intéressé depuis longtemps par le sujet et déçu qu’aucun chercheur patenté ne se soit lancé dans une biographie. Il a immédiatement souscrit à mon idée et s’est attaché à obtenir l’accord du CEMAA pour faire paraître un article dans Air Actualités. Le rédacteur-en-chef m’a octroyé exceptionnellement un seize pages et l’article intitulé « L’éclipse d’un astre » a obtenu un succès retentissant auprès des lecteurs. Fort de ce résultat inattendu, le directeur m’a missionnée officiellement pour écrire une biographie complète sur l’as des as.
Accompagnée de l’adjudant-chef Bernard Palmieri, grand manitou de la symbolique armée de l’air, je me suis rendue à Saulcy-sur-Meurthe dans les Vosges pour y recueillir divers témoignages de contemporains de Fonck. Nous avons été reçus comme des princes par la ville et l’association « Mémoire de René Fonck » qui nous avait concocté un emploi du temps de ministre. Nous sommes devenus depuis « citoyens d’honneur » de la commune.
Pendant cinq ans, j’ai vécu 24 heures sur 24 aux côtés de René Fonck, tentant de retracer jour après jour ses faits et gestes, le temps que la biographie prenne forme sous la houlette du professeur émérite Coutau-Bégarie, hélas disparu aujourd’hui. Cet ouvrage, sorti en mille exemplaires à titre d’essai des presses d’Economica, s’est trouvé en rupture de stock six semaines après sa diffusion. Le bouche à oreille ayant fonctionné à merveille, j’avais reçu, entre le bon à tirer et la sortie du livre, des témoignages importants et des informations capitales sur l’action de Fonck en faveur de la Résistance. Bernard Palmieri et moi avons donc décidé de ne pas réimprimer l’ouvrage et d’éditer une seconde version enrichie. J’ai même été contactée par le réalisateur Daniel Costelle et interviewée par la radio RFI.
Entre temps, la famille Fonck nous a intenté un procès en diffamation (liens d’amitié avec Goering) qu’elle a perdu même en appel. La biographie ayant été commandée par le service historique, nous avions obtenu la protection juridique de la direction des affaires juridiques.
Le livre est devenu introuvable, y aura-t-il une réédition ?
J’ai travaillé sur une seconde version qui n’en finit pas d’être achevée. Son édition papier n’est pas à l’ordre du jour car il est vrai que l’affaire Fonck & consort a particulièrement refroidi notre ardeur (réclamation de 140 000 euros en dommages et intérêts) à renouveler l’expérience. Une fois terminée, cette version sera toutefois accessible et gratuite sous format pdf*.
Permettez-moi une dernière question : si on se fie à votre loi des séries, la prochaine césure dans votre parcours est pour 2020. Que souhaitez-vous faire à cet horizon ?
Après une carrière de 42 années au service du ministère de la défense, je souhaite, à l’image du Candide de Voltaire, consacrer le temps qu’il me reste à « cultiver mon jardin » dans une maisonnette achetée en Anjou : l’écriture, la lecture, le bricolage, les animaux, etc.
*Pour en savoir plus sur Fonck, consulter le site www.renefonck.free.fr , en attendant l'e-book