Heureusement, une « Grande Voix » va éteindre ce brutal incendie, dans une langue délicate, que les étrangers nous envient, en abordant clairement tous les éléments de la question (et leur contraire). Une réponse d’anthologie, que certains commissaires affichèrent dans leur bureau, à côté d’une reproduction de la page 1 du rapport Bouchard et, pour les plus modernes, d’une reproduction de l’article de l’instruction n°1257 décrivant les fonctions du commissaire de base. Toute une époque !
Une fois la question traitée et les foules apaisées, le BLCA s’en fit l’écho, dans son numéro 40 de mars 1996, sous les plumes déliées de JIHEL et de Maurice DRUON, excusez du peu !
L'audacieux qui se risquerait à poser une telle question à un commissaire de l'air s'attirerait immédiatement une réponse cinglante "administrateur évidemment".
Pourtant, la différence entre administration et gestion n'est pas aussi évidente qu'il y paraît. Si, dans le langage courant, ces deux mots sont habituellement considérés comme synonymes, il n'en va pas de même dans le langage administratif où, souvent employés ensemble d'ailleurs, ils ont apparemment chacun une signification particulière: ne parle-t-on pas en effet de services chargés de l'administration et de la gestion du personnel ?
Or, il apparaît que, suivant les ministères, voire suivant les services au sein d'un même ministère, ces deux substantifs ont une acception différente.
Ainsi, pour certains, l'administration concernera-t-elle des tâches de direction alors que la gestion consistera à traiter les affaires courantes ; on opposera alors l'administrateur au "simple" gestionnaire.
Pour d'autres, au contraire, c'est à la gestion qu'on attribuera un sens "noble" alors que l'administration sera réservée aux tâches d'exécution.
Les différents dictionnaires consultés n'apportent malheureusement pas de réponse en expliquant quasi systématiquement un terme par l'autre. On y trouve même l'expression « d’administrateur – gestionnaire ».
Cette situation présente un inconvénient certain dans la rédaction de textes réglementaires qui (on peut toujours rêver) devraient être exempts de toute ambiguïté.
C'est pourquoi, directement concerné en raison des fonctions qu'il occupe au ministère de la défense, l'un de nos fidèles lecteurs a soumis ce problème au Secrétaire perpétuel de l'Académie française.
C'est bien volontiers que nous publions la réponse dans nos colonnes où n'avait encore jamais figuré probablement une signature aussi prestigieuse, en invitant tous ceux qui le souhaiteraient à exprimer, dans les prochains numéros, leur opinion personnelle sur le sujet. "
JIHEL*
ACADÉMIE FRANCAISE
Le Secrétaire perpétuel
Mon Colonel,
Votre lettre, qui a retenu toute mon attention, et dont j'ai donné connaissance à notre Commission du Dictionnaire, pose un problème des plus délicats, un problème de nuance, comme il s'en présente souvent dans notre langue, et qui est tout sauf aisé à résoudre.
Dans l'usage aujourd'hui courant, les deux mots sont quasiment synonymes, et il arrive qu'on les emploie indistinctement pour éviter une répétition fâcheuse.
Je comprends que votre consultation des dictionnaires vous ait laissé perplexe. Nous mêmes, dans notre dernière édition, 1992, définissons administration par : « gestion d'un bien public ou privé. »
Tantôt l'administration est regardée comme supérieure à la gestion, et tantôt il en va du contraire.
Une grande entreprise nommera un administrateur délégué qui aura sous ses ordres des gestionnaires. Mais c'est à cet administrateur que l'on confie la gestion de l'ensemble.
Qui gère l'Etat, qui gère les affaires publiques ? Le gouvernement. Mais c'est l'Administration, prise absolument, qui assure les actes de cette gestion.
Gestion peut donc s'appliquer, selon les cas, à la stratégie générale ou à l'exécution tactique.
Je reconnais ne guère vous éclairer. Mais puisque votre souci est celui de la rédaction des textes réglementaires, nous inclinons à penser que ce sont les termes d'administration ou d'administrateur qui doivent prévaloir, ceux de gestion, et surtout de gestionnaire, étant réservés soit aux aspects
financiers, soit aux intérêts privés. La distinction est aussi nette entre administrer et gérer. Ainsi, l'agent de l'administration sera-t-il chargé de contrôler la gestion d'une association ; ou
encore le maire, qui administre la commune, en gère les finances.
Je vous prie d'agréer, mon Colonel, l'assurance de ma considération très distinguée.
Maurice DRUON
* commissaire général (2S) Jean Lysimaque (ECA 69 )