samedi 9 mai 2015

Les budgets de fonctionnement (1)

par le commissaire général (2S) Henri Louet














Nous diffusons, en 3 volets, des extraits d’un article du commissaire général Henri Louet* (alors colonel et en poste au cabinet du ministre) diffusé en septembre 1974 dans la revue RCB (Rationalisation des choix budgétaires), dont les problématiques posées et les pistes de réflexion envisagées paraissent toujours actuelles, même si les mots et les sigles peuvent avoir changé.

A la suite des travaux, au cours de l'année 1970, de la commission d'étude des structures du ministère chargé de la Défense Nationale**, présidée par Monsieur Tricot, Conseiller d'État, le ministre décide la mise en place de budgets de fonctionnement dans les forces et de budgets autonomes, dits « budgets de gestion »,  dans les services.

Michel Debré
Ainsi, par décision du 13 novembre 1970, il prescrit de procéder en 1971 à des expérimentations de budgets de fonctionnement dans les trois armées et la gendarmerie.

Cette expérience, lancée le 1"' janvier 1971 fait aujourd'hui (1974) l'objet d'une quasi-généralisation dans les armées de terre, de l'air et la gendarmerie et d'une extension modérée dans la Marine, par suite des problèmes posés par les unités à la mer. […]






1er Volet : Le contexte de la mise en oeuvre

L'expérience des budgets de fonctionnement a connu un développement rapide dans l'Armée de l'air. Mais il faut souligner d'emblée qu'au sein de celle-ci, l'accent a été surtout mis sur le fonctionnement courant.
Mystère IV de la 8 à Cazaux
En 1971, la base de Cazaux, de 2 500 hommes, expérimentait un premier budget d'un montant modeste de 3 MF. En 1972, les expérimentations ont concerné la 3ème Région aérienne en tant que commandement territorial et six bases de cette région. En outre, une expérimentation a été effectuée au Commandement Air des Forces de Défense aérienne (CAFDA). Les effectifs concernés s'élevaient à 15.000 hommes et les crédits correspondants à 30 MF.

En 1973, les expérimentations ont été étendues à toutes les régions aériennes, à tous les commandements spécialisés et à 43 bases aériennes. Les effectifs concernés s'élevaient à 75.000 hommes et les crédits correspondants à 170 MF.

En 1974, tous les commandements et toutes les bases aériennes sont dotés de budgets de fonctionnement. Les effectifs concernés s'élèvent à 100.000 hommes et les crédits à plus de 310 MF, ce qui représente 8,5 % du titre III de la section air du budget des armées.

Les caractéristiques de cette expérimentation peuvent se regrouper autour de quelques idées essentielles : (1) l'Armée de l'air s'est largement servie du système des « masses »*** pour assurer le support du budget de fonctionnement qui regroupe les dépenses de fonctionnement courant dans leur quasi-totalité, (2) ensuite l'expérimentation du budget de fonctionnement s'est faite au moment où une décision importante intervenait concernant le rôle du Commissariat de l'air vis-à-vis de l'administration, (3) enfin le régime mis en place amorce un authentique système de contrôle de gestion.

1-Les masses et les autres dépenses de fonctionnement 
Dans sa directive du 23 avril 1971, le Ministre d'État chargé de la Défense Nationale évoquait le décret à paraître sur les masses, comme susceptible d'apporter un moyen pratique de réaliser l'expérimentation: ce décret est paru le 29 avril 1971 et a entraîné une refonte complète de l'instruction du Commissariat de l'air sur le régime des masses dès le 30 décembre 1971, de manière à ce que cette nouvelle instruction s'applique aux bases qui allaient, dès 1972, compléter la première expérimentation faite sur la base de Cazaux en 1971.

Si le régime des masses a été étendu, il faut surtout retenir qu'il a été modifié dans le sens d'une disparition aussi poussée que possible de la spécialité à l'intérieur de celles-ci. […]
Avec le budget de fonctionnement, la gestion se fait à partir de budgets prévisionnels élaborés par les bases aériennes. En principe le montant du budget prévisionnel d'une base aérienne est fixé pour l'année.

Quelques atténuations à ce principe demeurent néanmoins possibles. Le commandant de base répartit ses ressources en fonction des objectifs ou des catégories de dépenses confiées à chacun de ses subordonnés. Par ailleurs, toute latitude est laissée au commandant de base pour répartir à sa convenance ses ressources dans le cadre du budget de fonctionnement. Il peut en conséquence décider à tout moment de virer les avoirs affectés à une catégorie de dépense sur une autre catégorie, sous réserve de modifier en conséquence son budget prévisionnel, et d'en tenir compte dans la présentation des propositions éventuelles de révision et dans celle du bilan annuel.

L'Armée de l'air a mis également en place des budgets de fonctionnement dans les régions aériennes. Ces budgets comprennent l'ensemble des budgets de fonctionnement des bases de la région et certains crédits propres à l'échelon régional.

2-La mise en place de commissaires de l'air sur les bases
Mirage III à Dijon
Au moment où le ministre décidait le lancement de l'expérimentation des budgets de fonctionnement, il approuvait une importante réforme du Commissariat de l'air, faite à la demande du Chef d'Etat-Major, qui allait, par le fait de cette coïncidence, donner un caractère propre à l'évolution de l'Armée de l'air dans le domaine administratif.

La décision avait un double aspect : d'une part, elle plaçait des commissaires sur les principales bases aériennes, d'autre part, elle supprimait les Commissariats des Bases de l'Air (CBA), organismes territoriaux du service chargés de la vérification des comptes et de la surveillance administrative de plusieurs bases aériennes. Ainsi, au moment même où était lancée l'expérimentation d'un système, dont l'une des caractéristiques réside dans la liberté dont jouit le commandant de base, responsable du budget de fonctionnement, les structures qui assuraient traditionnellement la vérification et la surveillance étaient profondément remaniées dans le sens d'une promotion de la surveillance intérieure, exercée au nom du commandant de base et d'une transformation de la surveillance administrative. Celle-ci était confiée aux directions régionales du Commissariat mieux placées auprès des commandants 'de région aérienne pour participer aux décisions de mise en place des budgets à la suite des consultations relatives aux objectifs retenus et aux moyens nécessaires.
Placés sous l'autorité des commandants de base aérienne, les commissaires de base assurent, quant à eux, la direction administrative et financière de la base, ce qui a pour effet de faciliter grandement la déconcentration voulue par le ministre en donnant aux responsables locaux les moyens d'assumer réellement leurs responsabilités.

3-La mise en place d'un authentique contrôle de gestion 
Le système de budget de fonctionnement de l'Armée de l'air doit permettre l'exercice d'un véritable contrôle de gestion. Actuellement (1974), il existe un contrôle financier, qui consiste à suivre en permanence la consommation des crédits par rapport aux prévisions et à expliquer les écarts éventuels. Il s'agit là de ce que l'on nomme généralement le « contrôle budgétaire ». Il existe également une appréciation générale de la gestion portant sur le respect des objectifs préalablement définis et quantifiés, sur le contenu et l'opportunité de la dépense, sur la qualité des services rendus ou des matériels achetés.

Cette appréciation porte essentiellement sur des résultats concrets définis en quantité et rapportés aux objectifs sans pour autant négliger l'aspect qualitatif. Il importe de souligner qu'il s'agit là d'appréciations permanentes et qu'elles sont d'abord et essentiellement le fait du commandant de base, autorité responsable, et non pas d'autorités extérieures et supérieures qui, néanmoins, régulièrement informées, sont en mesure d'apprécier la gestion des chefs de centre de décision et de responsabilité.

C'est le commissaire de base qui met en œuvre le contrôle de gestion pour le compte du commandant de base responsable. Il peut disposer sur la base de toutes les données comptables et extra-comptables. Le contrôle financier incombe à la Région aérienne et est exercé au nom du commandant de Région par le directeur régional du Commissariat de l'air. Mais la Région aérienne procède égaIement a posteriori à une évaluation des résultats, sur pièces par un bilan annuel de gestion, sur place par une commission constituée de représentants •de l'état-major régional et des directions régionales de services. Cet organisme contrôle a posteriori que les décisions prises correspondent à une recherche du meilleur emploi des crédits, et apprécie les actions du responsable d'un budget dans la réalisation de ses objectifs.

(à suivre)

*DCCA 1978-1981

**« Etude des conditions d'une réforme de l'administration des Armées : déconcentration des pouvoirs, rationalisation des choix budgétaires et amélioration de la gestion par une meilleure saisie des coûts, notamment en rendant plus efficace le système dit « 3 PB », (planification, programmation, préparation du budget) instrument d'information, d'aide à la décision et à la gestion

***Les masses sont des fonds d'abonnement mis à la disposition de la base aérienne pour subvenir forfaitairement aux besoins des différents services nécessaires à son fonctionnement. Quatre masses ont été constituées en vue de faire participer les formations à la gestion des ressources mises à leur disposition : la masse d'entretien des personnels et des dépenses diverses, la masse de chauffage, d'éclairage, d'eau et de force motrice, la masse de casernement et la masse d'entretien courant du matériel et de fonctionnement technique. Ne comprennent pas les dépenses liées à l'activité opérationnelle (carburant aéronautique), qui restent fixées au niveau central de l'état- major.