Par le commissaire général (2S) Jean-Louis Barbaroux
Dans le prolongement de l’article du commissaire Dupuy, qui a tracé les grandes lignes des avatars du service chargé de la réalisation des matériels du Commissariat, je m’attarderai volontiers sur le SETAMCA, que j’ai eu la chance de diriger pendant trois ans, de 1983 à 1986.
A cette époque, l’Armée de l’Air était à son apogée, avec une mission bien définie, une organisation bien rôdée (grands commandements opérationnels, bases aériennes nombreuses, structurées intelligemment, dotées de l’autonomie nécessaire (budget de fonctionnement, commissaire de base, -eh oui, on ne se refusait rien !-), des matériels aériens de qualité, un personnel et un budget semblant certes insuffisants, mais pas encore atteints de déflationite chronique…
Le matériel Commissariat, je connaissais : commissaire de base, deux passages à la sous-direction des matériels de la DCCA, comme adjoint puis comme sous-directeur, une affectation comme conseiller technique aux FAS et au CAFDA, histoire de mieux cerner les besoins et les attentes des Forces, et me voilà nommé à ma plus belle affectation : à la tête du SETAMCA, en novembre 1983, succédant au commissaire de Broca, avec qui j’avais travaillé étroitement -et fraternellement !- comme sous-directeur Matériels, gage de continuité si indispensable dans un domaine où la réalisation des matériels prend du temps, où il est nécessaire d’acquérir un bonne connaissance du secteur industriel de nos fournisseurs… ainsi que du mode d’emploi des structures administratives de passation de nos marchés.
Les procédures des marchés publics
On me permettra d’ouvrir à ce sujet une petite parenthèse. Les marchés du SETAMCA, compte tenu de leur montant, devaient être pour la plupart soumis à la Commission Spécialisée des Marchés (CSM), présidée par un haut magistrat, assisté par un rapporteur, généralement un contrôleur des armées, et des représentants des ministères, et en premier lieu des Finances.
C’est ainsi que le directeur du SETAMCA, soutenu par la présence amicale du sous-directeur Matériels de la DCCA et d’un représentant de l’Etat-Major, se retrouvait devoir plancher devant un aéropage d’une trentaine de personnes, dans la position peu enviable du candidat à l’oral de l’ENA ! Dieu merci, avec un peu d’habitude, on s’habituait au psychodrame, qui se déroulait en général de la même façon : démoli ab initio, le projet de marché retrouvait, avec un peu d’habileté, des couleurs plus riantes, jusqu’à l’avis favorable enfin donné, parfois avec réserves, mais cela n’était pas grave !
Il fallait souvent mettre en opposition les représentants des Finances et ceux de l’Industrie, qui avaient des conceptions divergentes sur l’admission de fournisseurs étrangers ! Un jour, agacé par des interventions me reprochant d’avoir proposé d’accorder à un fournisseur italien un lot d’essai (modeste) de chaussures officier, je déclarai avec autorité à l’aréopage (pur bluff, mais la moitié des chaussures vendues en France venaient d’Italie): « mais, mesdames, messieurs, je vois devant moi, sous les tables, vos chaussures, qui me semblent pour beaucoup italiennes… Serait-ce donc, pour ce qui vous concerne, un bon choix ? » Et les pieds de se réfugier subrepticement sous les chaises ! Le croiriez-vous, ce marché a été approuvé sans réserve !
Les fournisseurs
Quant à la connaissance du contexte industriel de nos fournisseurs, il fallait du temps pour l’acquérir, cerner les difficultés des secteurs textile, confection, cuir, en pleine mutation, pour ne pas dire en crise. Il fallait aussi assurer la sûreté de nos approvisionnements.
Un exemple ne sera pas inutile : nous avions un important programme de constitution de stocks d’effets NBC en particulier des gants, étanches à l’Ypérite, de fabrication très dangereuse (le solvant utilisé étant le toluène, composant bien connu du …TNT !) ; un seul fournisseur, américain, et une seule usine en Europe (à Berlin, avec des ouvriers turcs !).
Un industriel français nous a proposé de construire une usine, à condition de recevoir l’assurance d’une commande importante et régulière : cela a demandé du temps et des efforts, pour définir les besoins : nous avons incorporé ceux du Service de santé et nous avons réussi à être autorisés à lancer un marché pluri-annuel, formule que n’appréciait guère le ministère des Finances ! Deux ans plus tard, une usine était sortie de terre, du côté de nulle part, dans la région de Port-en-Bessin, et nous avons pu répondre aux besoins, notamment lors de l’opération Daguet, dans la Guerre du Golfe …
Des personnels hautement compétents
Visite de l'ECA |
Le personnel du SETAMCA ne restait pas cantonné à Brétigny. Non seulement les experts (sous-officiers et civils) qui contrôlaient en usine l’exécution des marchés, mais les officiers et certains membres de la Division des marchés visitaient les entreprises, titulaires de marchés ou candidates. Ce contact avec l’industrie permettait de mieux appréhender les problèmes, de découvrir l’innovation, en un mot, d’être efficace et réaliste.
Il était aussi indispensable que tout le personnel du service soit informé des attentes et des besoins de l’Armée de l’Air, et ne se retranche pas dans sa technicité… Pour cela, ont été créées les Missions d’évaluation des matériels en service, petites équipes de 3 ou 4 sous-officiers et parfois d’un officier, envoyées sur les bases pour quelques jours au plus près des utilisateurs, afin de recueillir leurs appréciations, leurs critiques, leurs suggestions. Beaucoup ont permis au SETAMCA de faire évoluer les matériels, prenant la place de l’ex Bureau Technique de la DCCA.
De même, dès le stade de la présérie, les effets d’habillement et d’équipement ont été testés par les officiers du SETAMCA au cours de « raids » de 48 heures (par exemple : la traversée du Vercors): outre l’effet « bol d’air », sportif et de cohésion, cette pratique a permis de découvrir (parfois dans la souffrance, n’est-ce pas, madame le commissaire général C. ?) certains défauts de conception ou de réalisation, afin d’y remédier. C’est ainsi qu’ont été définis et essayés, par exemple, les divers prototypes de « brodequins 2000 » destinés à fournir aux appelés une chaussure beaucoup moins chère que les rangers, plus immédiatement confortable et jetable à la fin du service, les tentes individuelles commandos, les équipements de protection contre la pluie, etc …
Cet « ancrage » très étroit dans l’Armée de l’Air n’empêchait pas la répartition interarmées des compétences, la collaboration avec les services analogues des autres armées, de la DGA et même de la Gendarmerie, dont nous avons utilisé l’expérience par exemple pour nos gilets pare-balles spécifiques.
**
Bien sûr, les temps ont changé, l’autonomie qu’avait le SETAMCA, au sein de l’Armée de l’Air, n’est plus possible aujourd’hui avec le format resserré de nos armées. Il n’en demeure pas moins qu’il faudra bien mettre au point un système aussi efficace de collaboration entre un Service très central et les forces, dans leur diversité.