vendredi 7 novembre 2014

Commissaire et écrivain

Julien Eche (ECA 2009) publie un premier roman, La nuit africaine.


Commissaire de 1ère classe, membre de l’Amicale et de l’association des Écrivains Combattants, Julien Eche publie ce mois-ci, aux éditions Harmattan, son premier roman "La nuit africaine". Le livre retrace les aventures d’une expédition en Côte d’Ivoire à la fin de la récente guerre civile.

Il sert actuellement à l’état-major de l’armée de l’air, au sein du bureau pilotage et management de l’information (BPIL-MI), après avoir été conseiller en droit des opérations au commandement de la défense et des opérations aériennes (CDAOA).
Il a participé aux opérations Licorne (2012) et Serval (2013).

Séquence interview ;


Comment passe-t-on de la rédaction de notes administratives à l'écriture d'un roman ?

Ces deux exercices sont complémentaires ! Vous abordez ce qui est, je crois, le cœur du travail de romancier : l’accomplissement de soi par l’écriture.
Les notes ou la correspondance administrative requièrent un style professionnel et normé qui laisse peu de place à l’expression de sa propre personnalité ou à l’imaginaire.

Aussi, la rédaction d’un premier roman est une occasion unique de se connaître soi-même dans ce que l’on a de plus intime : le rapport à la page blanche. A mesure de l’élaboration du livre, l’auteur découvre son propre style personnel, sa manière de structurer les dialogues, d’employer le discours indirect ou encore la description. Cet exercice demande un effort d’autant plus exigeant que l’auteur reste seul face à son carnet : seul maître et seul esclave d’une écriture qui va le révéler en tant qu’écrivain...Et exposer ses pensées et ses tourments au grand public.

Les habitudes liées à la rédaction administrative restent cependant déterminantes : elles apportent la rigueur, le ton et la concision nécessaire pour cadrer le travail d’imagination… Stendhal lisait une page du Code civil chaque matin avant de travailler à La Chartreuse de Parme.

Quel a été le facteur déclencheur ?

C'est en effet le facteur-clé : trouver un sujet d’inspiration. J’ai pu effectuer un séjour de sept mois en Côte d’Ivoire dans le cadre de l’opération Licorne où j’ai recueilli, à l’occasion de nombreuses missions dans la brousse, des impressions et des anecdotes de voyage.
Le début de l’écriture du roman part d’un fait divers : dans une chapelle près d’Abidjan, une statue en bois de la Vierge pleure des larmes de sang. Cet évènement a eu d’importantes répercussions locales et la population y a vu un présage funeste. Les violences pouvaient reprendre à n’importe quel moment. En réalité, il ne s’est rien produit de particulier… sinon que ce fait divers m’a permis de commencer La nuit africaine !

C'est donc une histoire dans la Côte d'Ivoire d'aujourd'hui, mais pourquoi une couverture montrant des uniformes du 19ème siècle ?

Le thème de l’expédition dans la brousse, c’est un rêve de gosse qui lit Kessel, Verne ou Conrad. Le héros de La nuit africaine, le capitaine Pierre, part à la recherche d’une Afrique du 19ème siècle et découvre, à mesure de sa progression dans la brousse, une modernité à laquelle il ne s’attend pas et qui le désarçonne totalement au point de le tourner vers la foi.

Le thème de ce roman est en réalité très proche d’une œuvre aujourd’hui oubliée d’Ernest Psichari (1883 – 1914), petit-fils d’Ernest Renan et officier d’artillerie, "Le voyage du centurion" (éd. Le livre de poche Chrétien), qui raconte le voyage d’un jeune officier français dans le Sahara des années 1900. J’ai découvert ce livre par hasard, chez un bouquiniste des quais de Seine… Il est très émouvant de se découvrir une parenté littéraire aussi forte. C’est pour cela qu’un extrait de cet ouvrage est cité dans les premières pages de La nuit africaine.
C'est pour cela aussi que l’illustration de Daniel Schintone, peintre officiel de l’armée de Terre, s’adapte parfaitement au roman et réalise la synthèse entre les époques coloniale et contemporaine.

Enfin, je souhaitais traduire tout l’intérêt des valeurs militaires à notre époque, tout particulièrement le fait que l’armée est l’un des derniers refuges du collectif et de l’humain. Pour toucher le public, ces thèmes devaient figurer dans un roman d’aventures.

Le thème étant apparu lors de votre séjour, comment avez-vous rassemblé votre documentation par la suite ?

Le thème du roman s’inspire directement de journées passées dans la brousse. La force des anecdotes a été démultipliée par la fiction.
Il fallait ensuite, pour conforter la structure du roman, l’étayer par une argumentation robuste, sans non plus le lier complètement à l’actualité afin qu’il reste intemporel. Pour reprendre l’exemple de La Chartreuse de Parme, Stendhal ne s’est pas inspiré de l’histoire de Parme mais plutôt de ce qui se passait à Modène. De même, l’action de La nuit africaine se déroule en Côte d’Ivoire mais pourrait avoir lieu dans n’importe quel autre pays africain.

Sur place, les sources restent d’ailleurs rares : la Côte d’Ivoire est un pays sans bibliothèques et quelques éditeurs seulement, comme L’Harmattan, publient les auteurs locaux. J’ai donc étudié avec attention l’œuvre de Kourouma, l’écrivain de référence de la Côte d’Ivoire et son roman exceptionnel, En attendant le vote des bêtes sauvages (éd. du Seuil), qui raconte l’Afrique de la décolonisation, pour approfondir mon sujet. J’ai découvert Kourouma à l’occasion d’un passage à l’hôtel Mon Afrik à Bouaké, sur les conseils de lecture de la propriétaire de cet établissement.

Comment travaillez-vous ? À jours et heures fixes, durant vos congés ?

Le travail d’écriture se nourrit de périodes d’inspiration intenses mais brèves où l’auteur consigne les éléments de l’ossature du roman. J’ai connu ces périodes lors de mes missions dans la brousse, principalement de nuit, dans les différents endroits où nous avions installé le bivouac...Parfois même sur un simple lit Picot ! Ce sont des moments étranges : je me réveillais parfois au petit matin, une idée précise en tête qu’il fallait transcrire absolument de peur qu’elle ne disparaisse avec le jour. Et puis, quel autre atelier d’écriture que les immensités des paysages africains au lever du soleil ?


Une fois les grands axes du roman tracés, commence un travail laborieux de perfectionnement du texte: il s’agit de filtrer, alléger, corriger le premier coup de stylo. J’ai réalisé cet exercice en France au gré des rares permissions possibles : à peine rentré de Côte d’Ivoire, je participai en effet à l’opération Serval en tant que conseiller juridique du commandant des opérations aériennes au Mali. La finalisation du manuscrit a ainsi duré près d’une année.

Un roman illustré, c'est assez rare. Pourquoi cette formule ?


L’ossature du roman a été rédigée dans la brousse et, à vrai dire, si j’avais su dessiner, il est fort probable que j’aurais exécuté des croquis sur place. J’ai ainsi fait appel à Sandre Wambeke, dont l’atelier se trouve dans ce merveilleux endroit qu’est la Villa des Arts à Paris, pour réaliser les illustrations que le héros du roman aurait pu faire sur place avec les moyens du bord. A notre grande surprise, l’illustration représentant la Vierge pleurant des larmes de sang a rencontré un succès exceptionnel à tel point que l’artiste a pu commercialiser les reproductions grand format en couleur de cette œuvre.

Revenons justement aux deux artistes peintres associés à votre aventure, Daniel Schintone et Sandre Wambeke. A quel moment avez-vous pensé à les intégrer ?

Le travail d’illustration du roman a débuté après l’accord de l’éditeur.

Je connaissais le travail de Daniel Schintone par un numéro de "Manière de voir" de 2012 qui reproduisait certaines de ses œuvres. J’ai retrouvé l’artiste grâce à l’association des peintres des armées et j’ai pu lui rendre visite à Toulouse, dans son atelier – un atelier incroyable où des milliers de casques et coiffes militaires tapissent les murs – pour travailler sur l’adaptation de son œuvre en couverture de mon livre.

L’idée d’illustrer un chapitre entier du roman n’est intervenue que quelques jours avant la publication. Sandre Wambeke m’a proposé une série de dessins liés aux évènements majeurs du roman : les larmes de sang de la Vierge, la rencontre avec le préfet de Séguéla ou encore la visite de la basilique de Yamoussoukro. Il s’agissait de recréer l’atmosphère d’un carnet de voyage. Les originaux de ces œuvres sont présentés à chaque dédicace du livre et attirent un public nombreux.

Un autre livre en chantier ?

Un premier roman est un apprentissage de l’écriture. C’est un exercice imparfait puisque il sert d’étalon de mesure à l’auteur pour ses prochaines œuvres. Je travaille en effet sur un deuxième ouvrage. Il n’aura pas de lien avec l’Afrique et le monde militaire mais relatera l’histoire de deux personnes qui ne se sont pas revues depuis des années et qui doivent tenir une promesse faite du temps de leur jeunesse. Ce thème n’est pas sans rappeler un autre grand classique, Les braises, de Sandor Marai.

Je m’intéresse par ailleurs à l’œuvre de Daniel Schintone dans son ensemble. Il a réalisé de nombreuses gouaches sur des sujets militaires qu’il pourrait être judicieux de transformer en une sorte de manuel d’Histoire de France où chaque illustration serait complétée par une notice historique et une nouvelle. Ce travail trouverait toute sa pertinence dans le cadre des commémorations du Centenaire.


La nuit africaine, éditions L’Harmattan, oct.2014, 
150 pages, 14,5 euros, ISBN 9782336303185

L’auteur participera à la 67ème Journée des dédicaces de Sciences Po (27 rue Saint Guillaume à Paris) le 6 décembre 2014 à partir de 14h en compagnie de M. Alfred Gilder, secrétaire général de l’association des Ecrivains Combattants.

L’ouvrage est actuellement disponible à la librairie L’Harmattan,  au 16 rue des écoles ou sur le site Web des éditions Harmattan.
Les illustrations du livre sont disponibles à la vente sur grand format auprès de l’artiste Sandre Wambeke.
Vous pouvez contacter l’auteur ou les artistes en vous rendant sur le site Web du roman : www.lanuitafricaine.wordpress.com