lundi 10 mars 2014

Bivouac alsacien

Transis, mais contents (ou Transis mécontents)
par Eric Minnegheer (ECA 75)
(BLCA juin 1982)

Longue fut notre hésitation à publier le remarquable reportage photographique réalisé à l'occasion du bivouac des 23 et 24 février 1982. Ne risquait-on pas, en effet, d'entretenir la trop fameuse réputation de Drachenbronn, qui veut qu'une mutation sur la Base aérienne 901 apparaisse plus extraordinaire qu'une affectation aux Antilles.


Après mûres réflexions, nous avons quand même décidé de donner toute la publicité que méritaient ces deux fantastiques journées. Au risque d'ailleurs d'entendre fredonner sur certaines lèvres ces vers mélancoliques tirés des "châtiments" de Victor Hugo : "Il neigeait, il neigeait toujours! La froide bise soufflait; sur le verglas, dans les lieux inconnus on n'avait pas de pain, on allait pieds nus. Ce n'était plus des cœurs vivants, des gens de guerre, c'était un rêve errant dans la brume, un mystère".

Vous dites ? ..... La retraite de Russie !

A mais non, pas du tout ! Abstraction faite du soleil, ça ressemblait plutôt à Austerlitz.

Ce matin là du 23 février, 160 cadres et militaires du rang partaient le cœur vaillant à la conquête du grand froid alsacien. Et contrairement à l'intendance de 1812, le Commissariat de l'air de 1982 suivait. Rien ne manquait : nos soldats vêtus chaudement pour un climat tempéré quittaient leur cantonnement avec matériels de campement et nourriture à base de rations de combat Mle T ("tempéré").
Tout alla pour le mieux jusqu'au soir, où autour de quelques feux de bois, nos troupes plantèrent leurs demi-toiles de tente sur la neige, le cœur toujours joyeux mais les pieds glacés.

Ah ! spectacle féérique que ces soldats dont on ne distinguait plus à travers les vêtements que les yeux et qui attendaient avec impatience le produit de la cuisine roulante Mle 16/36 modifiée 38.
Le repas fut servi en self de campagne. Une tente Saga 3 avait été aménagée à cet effet. Après ce réconfort, la nuit et le froid engourdirent le cœur de nos combattants ..

Le lendemain matin, quelques uns se plaignirent de la mauvaise isolation des demi-toiles de tente. J'ai toujours apprécié l'humour militaire. Tous entreprirent quelques mouvements de gymnastique destinés à détendre leurs muscles figés. Il fut plus difficile de dégeler les chaussures et les habits. Pourtant la séance d'habillement ne dura qu'une heure et, après un solide petit déjeuner, le corps expéditionnaire poursuivit sa mission.

C'est vers le milieu de l'après-midi que les troupes franchirent à nouveau et fièrement la barrière d'entrée de la Base. Heureux d'avoir souffert ensemble, chacun pensait à ce qu'il dirait plus tard à ses petits enfants : "J'y étais".

Mais en attendant cet avenir lointain, une seule préoccupation : se réchauffer et tous se ruèrent vers le foyer où un chocolat chaud les attendait.
Et bien non, figurez-vous, contrairement à ce que vous pensez, le gérant du foyer ne s'appelait pas Pouchkine.