mercredi 10 juillet 2013

Jérôme Lamy

Le commissariat de l’air, la Cour des comptes, la Comédie Française

Nommé directeur général de la Comédie-Française en novembre 2006‚ Jérôme Lamy était auparavant magistrat à la Cour des comptes où il participait aux activités de contrôle portant notamment sur le ministère des finances et l'exécution des lois de finances ; il a également été associé aux missions d'audit externe de l'ONU et de contrôle des sociétés gestionnaires des droits des artistes.

Il a commencé sa carrière dans l'Armée de l'air (promotion ECA 87) où il a exercé des responsabilités administratives‚ financières et logistiques à Paris‚ New York‚ Sarajevo et en Polynésie française.

Intervention devant l’école de Paris du management : Le "Français"‚ ce paquebot...(extraits)
mardi 16 février 2010
Remerciements à l’Association des Amis de l’École de Paris du Management, à Jérôme Lamy et à Sophie Jacolin, rédactrice du compte rendu

Jérôme Lamy : Mon parcours professionnel est pour le moins éloigné du théâtre. J’ai été officier dans l’Armée de l’air pendant une dizaine d’années puis magistrat à la Cour des comptes pendant sept ans, avant de devenir directeur général de la Comédie-Française. Ce fut l’occasion de découvrir un monde qui m’était inconnu. Du point de vue de la gestion, toutefois, la Comédie-Française s’apparente à une PME de main-d’oeuvre, avec il est vrai des particularités assez marquées, liées à sa mission et à ses métiers.

Une gouvernance orchestrée par les acteurs
En comparaison avec d’autres institutions ayant comme elle le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial, la Comédie-Française est organisée de façon assez atypique. Ce n’est qu’en 1995 qu’elle a été dotée, par décret, d’une existence juridique propre. C’était auparavant la Société des comédiens-français (c’est-à-dire l’ensemble des sociétaires) qui constituait sa personnalité juridique, signait les actes de gestion et engageait la responsabilité de l’institution. Le décret de 1995 reconnaît la spécificité de la troupe et le rôle des comédiens dans la gouvernance. Le conseil d’administration (appelé comité d’administration) est d’ailleurs composé uniquement de sociétaires. Contrairement à des membres de conseils d’administration plus classiques, ils ont une longue expérience de leur maison et maîtrisent bien les sujets sur lesquels ils ont à trancher. Ils doublent leur sensibilité d’artistes d’un regard de gestionnaires. La bonne gestion de la Comédie-Française leur importe d’autant plus qu’ils perçoivent une partie de l’excédent des recettes sur les dépenses.


Jérôme Lamy (gauche)- Muriel Mayette
Une mission et sa délicate traduction budgétaireSelon le décret de 1995, « la Comédie-Française a pour mission essentielle de représenter les pièces de son répertoire et d’en assurer le rayonnement national et international. »
L’administrateur général (Muriel Mayette) établit la programmation qui permet de faire entendre ce répertoire. Je dois ensuite faire en sorte que les services se mettent en ordre de marche pour assurer cette programmation : établissement des contrats avec les metteurs en scène, création des décors, des costumes, des accessoires, etc. Chaque spectacle est entièrement produit et réalisé par nos ateliers.
La Comédie-Française assume une mission de service public, largement subventionnée par l’État. Ce dernier fournit les deux tiers de nos ressources, et nous devons générer le tiers restant. Nos recettes propres proviennent essentiellement de la billetterie mais aussi de tournées, d’opérations audiovisuelles, de mécénat, de la location de salles à des entreprises ou de produits dérivés. Une bonne année à la Comédie-Française attire 250 000 spectateurs.
Nous ne pourrions guère aller au-delà : nous atteignons déjà un taux de remplissage de la salle Richelieu de 80 % à 85 % chaque année (en fréquentation payante), ce qui est très élevé pour un théâtre. En outre, nous sommes limités par la taille de la salle, qui ne contient que 860 places.

Élément de complexité, notre tutelle nous demande non seulement de développer nos ressources propres (ce qui impliquerait d’augmenter les tarifs), mais encore de remplir nos salles (ce qui nécessite de pratiquer des tarifs attractifs). Il faut donc trouver un juste équilibre. Contrairement à une idée reçue, la Comédie-Française n’est pas chère : les places vont de cinq à trente-sept euros, prix modéré pour une sortie culturelle de grande qualité à Paris. La mission d’intérêt général de la Comédie-Française, faire entendre les auteurs au plus grand nombre, implique de surcroît que les spectacles soient joués souvent, sur des périodes assez longues. Une création est donnée trente à cinquante fois, en alternance sur environ cinq mois, puis est reprise généralement la saison suivante. On touche ainsi un plus large public que si l’on jouait vingt ou trente représentations d’affilée comme le font la plupart des théâtres. Nos spectacles sont ensuite repris une ou deux saisons, voire davantage. On élargit ainsi encore l’audience, et on dégage aussi une marge plus importante. En outre, comme la quasi-totalité de nos charges sont fixes, plus nous jouons et plus nous sommes rentables. C’est la situation inverse des autres théâtres où les productions s’appuient sur du personnel principalement externe.[…]

Quand la seule marge d’ajustement est artistiqueLa subvention allouée par l’État à la Comédie-Française est en baisse alors que les missions qui lui sont demandées de remplir sont inchangées. Cette diminution des ressources impacte directement son activité, y compris dans sa dimension artistique. L’expansion des ressources propres étant limitée par la jauge et par la nécessité de maintenir un tarif attractif, nous devons trouver des astuces pour réduire nos dépenses. Or, si nous réduisions notre principal poste de dépenses, la masse salariale, et si par conséquent nous nous séparions de salariés, nous ne pourrions plus remplir notre mission convenablement. Nos marges de manoeuvre sont donc éminemment restreintes. En fait, notre seule variable d’ajustement est artistique. Pour suivre la baisse actuelle des subventions, il faudrait réduire le budget consacré aux créations ; à l’extrême, il ne faudrait plus programmer que des reprises.[…]

Faire cohabiter autogestion et droit du travailComme Muriel Mayette l’a évoqué, nous sommes confrontés à un problème de cohérence entre le dispositif de la troupe et le corpus de règles du droit du travail. Qui plus est, le code du travail devient de plus en plus restrictif.[…]
Avec des règles de gestion largement inadaptées à nos spécificités, c’est un défi pour nous que de trouver un fonctionnement optimal. »