mardi 4 juin 2013

ECA 60 ans

Roland Monet, un polytechnicien à l'ECA en 1953

« 1951. Polytechnique.org : Roland Monet nous raconte : l'X et moi » (extrait)

« Il se trouve que cette année-là (1953), l'armée de l'air proposait une place de commissaire de l'air, sur titres.
Jusque-là l'administration de l'armée de l'air était assurée par les Intendants de l'armée de terre. Il venait d'être décidé de créer un corps de commissaires de l'air, et une école du commissariat de l'air devait être inaugurée à la rentrée de 1953 sur le modèle de la marine. Je fis plusieurs « feuilles de bottes », en livrai une apparemment au hasard, et j'eus la surprise de me retrouver dans l'armée de l'air.
Le cycle des études de l'école du commissariat était de deux ans. Je fis partie de la première promotion de cette école, en compagnie de huit juristes recrutés au concours parmi les licenciés en droit. Ils étaient incorporés avec le grade de soldats de deuxième classe, alors que, comme chacun s'en souvient, nous sortions de l'école Polytechnique avec les épaulettes de sous-lieutenant, une solde et le droit au salut militaire du personnel non officier ! Mes condisciples étaient en fait tous agrégés de droit public (1), âgés de 26 à 30 ans (2), et il était illusoire que je puisse suivre les cours de droit administratif qu'ils allaient ingurgiter. Je fus donc immédiatement marginalisé, c'est-à-dire dispensé des cours. Et j'entendais profiter de la vie, après avoir été bouclé pensionnaire pendant onze ans.


L'école était installée dans les murs de l'école de l'air à Salon-de-Provence. Mes condisciples étaient tenus de faire leurs classes, et se trouvaient murés à l'école. Pour ma part, étant officier, je devais loger en ville, avec le statut envié « d'externe ».
Je me retrouvai donc avec tous les « cocons »(3) faisant à Salon leur service militaire dans l'armée de l'air.

Le premier jour j'allai à l'école à pied. Elle se trouve à un kilomètre environ de la sortie sud de Salon, au-delà du vallon de la Touloubre. Mauvais marcheur, au bout de deux jours, je trouvai la distance un peu longuette et j'achetai un superbe vélo. Au bout d'une semaine, il se trouve que le mistral se leva, un mistral déjà hivernal, qui balaye la plaine d'un souffle puissant et glacé, comme le découvrent avec étonnement les pauvres gens du nord que le sort amène en Provence en hiver. Debout sur les pédales, il me fut impossible de remonter la petite pente qui ramène à Salon. Je fus donc conduit à faire l'acquisition d'un Lambretta, excellent scooter italien, 125cm3, avec lequel je parcourus dans l'année plus de cinquante mille kilomètres sur les routes de Provence et de Côte d'Azur.

Comme je l'ai dit je fus dispensé des cours de mes condisciples. En contrepartie, je m'inscrivis à titre individuel à l'Institut d'Etudes Internationales de la Faculté de Droit d'Aix-en-Provence. J'y acquis un vernis de droit commercial, administratif et constitutionnel, qui transforma ma vision de la société. Je passai des heures à essayer de comprendre les mécanismes de l'Union Française et ses rouages, et ses multiples avatars. Mais surtout je compris comment le droit commercial permettait de gérer les affaires.

La seconde année fut délicieuse. Nous suivions tous les neuf les cours à l'ancienne faculté de droit d'Aix-en-Provence. Nous habitions la Cité universitaire en étage élevé, et de ma fenêtre, je voyais la Sainte Victoire changer de couleur selon la saison, l'heure, la position du soleil, la couverture nuageuse, et sans doute aussi, ma propre humeur.
Chaque matin, je montais de la Cité U vers la cathédrale, passant la fontaine des quatre dauphins, traversant le cours Mirabeau, montant par la rue Aude dont les maisons aux pierres ocres s'éclairaient dans le soleil matinal.
J'atteignais la place de la Poste, semi déserte, et j'arrivais aux anciennes facultés, où se donnaient les cours. J'avais des amis étudiants étrangers, et des petites amies de la bonne société d'Aix, dont les mères craignaient le pire pour leur progéniture.
L'année passa. »
(1) les connaissances juridiques des élèves de la première promotion devaient être suffisamment éblouissantes pour qu’on les prenne pour des agrégés de droit (NDLR)
(2) leur look "d'agrégé" explique sans doute ce vieillissement prématuré (NDLR).
(3) élèves polytechniciens

Le commissaire Monet fut affecté à la Direction du Commissariat de l'air des Forces Françaises en Allemagne, à Lahr, puis au Commissariat des Bases de Constantine et enfin au commandement suprême des forces alliées en Europe (SHAPE) à Louveciennes, avant de démissionner en 1958 et d'entreprendre une carrière dans l'industrie.

remerciements à Roland Monet