samedi 3 novembre 2012

Décès du commissaire général (2s) François Kernéis (promo 1954)


"La mort du général François Kerneis ne peut laisser indifférent aucun des commissaires qui l’ont connu. Mais pour un de ses camarades de promotion de l’école du commissariat de l’air qui, de plus, a servi en faisant équipe avec lui, ce départ est ressenti particulièrement douloureusement."
Cre gal (2s) Jean Bajard (promo 1954)

Texte du Cre Gal Bajard lu à l’église de Daoulas par le Cre Gal Jourdren le 7 novembre 2012 et par le Cre Gal Bajard à l’église Saint Nicolas de Maisons Lafitte le 8 novembre 2012

Le Commissaire Général François Kerneis est entré à l’école du commissariat de l’air le 28 septembre 1954. Il faisait partie de la seconde promotion de cette école créée en 1953 au sein de l’école de l’air et – à ce titre – était membre de la promotion « Commandant Heliot » de l’école de l’air qui regroupe les élèves pilotes, mécaniciens, spécialistes des télécommunications, officiers des Bases et commissaires.
A sa sortie de l’école, François a rejoint la 4ème Escadre de Chasse à Bremgarten comme responsable de l’administration de cette unité. Après ce passage de deux années en unité  « volante » qui lui a permis de mettre en pratique sa formation administrative militaire et de se familiariser avec les éléments opérationnels de l’armée de l’air, il a rejoint le 15 Septembre 1958, pour peu de temps, Paris et le cabinet du délégué du Ministre pour l’administration de l’armée de l’Air où il a notamment plongé dans le lourd dossier du logement des militaires. Moins de quatre mois plus tard, il partait comme responsable du service « production » à l’établissement du commissariat de l’air (ECA) n° 785 à Hussein Dey (Algérie).  C’était le 9 janvier 1959.  Le 1er octobre de la même année il a reçu ses galons de commissaire capitaine.
Le 13 août 1960, il a été nommé adjoint du chef de service du commissariat des bases de l’air (CBA) à Versailles où il a activement participé à la surveillance administrative et comptable des unités de l’armée de l’air basées autour de la capitale, mais aussi à tout ce qui se rapportait à la fourniture des matériels pour assurer la vie des hommes dans ces unités. J’ai moi-même été affecté comme chef de ce service un peu plus d’un an après son passage et j’ai pu me rendre compte de la marque de son passage par l’évocation que ses subordonnés ou les personnels des bases de la circonscription faisaient de son action.
Affecté 13 juin 1962 comme adjoint du Directeur du Commissariat de l’Air de la Zone d’Outre-mer n° 1 à Dakar, il a été nommé commissaire commandant le 1er Janvier 1963.
Le 27 mai 1965, le commissaire commandant Kerneis a été appelé à la Direction Centrale du Commissariat de l’Air où, pendant plus de quatre ans, il a eu en charge le Bureau « personnels », un poste de confiance, avec la responsabilité de la préparation de toutes les décisions concernant le recrutement, le suivi de carrière et les affectations des officiers du corps des commissaires de l’air. Les anciens du service parlent de sa façon humaine, mais très discrète et efficace, qu’il avait d’assumer ce poste qui l’a mis en contact avec les diverses générations de commissaires.
Nommé commissaire lieutenant-colonel le 1er avril 1966, il a rejoint le 15 septembre 1969 le Centre d’Enseignement Supérieur Aérien (CESA) comme stagiaire à l’Ecole Supérieure de Guerre Aérienne (ESGA) et, après ce temps d’études, a été nommé chef du commissariat des bases de l’Air n° 765 au Bourget, responsabilité qu’il a exercée du  30 janvier 1971 au 30 juin 1972.
Le 1er Juillet 1972, il a été affecté à Apt comme commissaire de base du 1er Groupement de missiles stratégiques et c’est à ce poste qu’il a reçu ses galons de commissaire colonel le 1er juillet 1974. Quittant Apt, il n’a pas pour autant quitté les forces aériennes stratégiques puisque le 6 septembre 1976 il a rejoint le Commandement des Forces Aériennes Stratégiques à Taverny comme commissaire conseiller.
Il a quitté Taverny le 5 juillet 1978 pour prendre les fonctions d’adjoint du Commissaire Général, Directeur Régional du Commissariat de l’Air de la 2ème Région Aérienne à Villacoublay. Après un peu plus de trois années dans ce poste, il a  été nommé le 21 septembre 1981 adjoint du Commissaire Général Inspecteur du commissariat de l’Air et de l’Administration de l’Armée de l’Air à Paris.
Nommé commissaire général de brigade aérienne le 1er Mars 1985, il rejoint alors la Direction Centrale du Commissariat de l’Air comme adjoint du Directeur Central poste qu’il a occupé jusqu’à son départ du service actif le 27 mars 1987.
Chevalier de la Légion d’honneur, officier de l’Ordre National du Mérite, le commissaire général Kerneis était un officier exemplaire qui laisse aux jeunes promotions des commissaires des armées un exemple de grand administrateur des forces opérationnelles de l’armée française.

*
Il y a donc eu 58 ans que François Kerneis et moi avons fait connaissance. Il avait été reçu juste devant moi au concours. L’initiation à la vie militaire au sein d’une grande école comme l’école de l’air n’était pas évidente pour de jeunes diplômés des facultés de droit plongés au milieu de camarades un peu plus jeunes, souvent bien mieux préparés que nous l’étions à intégrer ce milieu. François était, parmi les onze élèves-commissaires qui formions la 10ème brigade de la promotion 1954 de l’école de l’air, un des rares dont le père était ou avait été militaire d’active. Son père était marin. Il était l’un des trois bretons de notre groupe et revendiquait très haut cette appartenance à une population attachée à ses traditions et plus particulièrement à sa ville de Daoulas.
Dans cette vie où 24 heures sur 24 nous vivions ensemble, nous avons vite appris à nous connaître. Dans l’équipe que nous formions, François était un homme solide, un peu taciturne, ne s’épanchant pas beaucoup mais pratiquant un humour de bon aloi. Il était toujours prêt à rendre service, sans bruit, discrètement.
Les mots qui viennent spontanément à l’esprit quand on évoque cet ami sont : discrétion, compétence, travail, austérité, droiture, solidarité. A deux reprises nous avons fait équipe dans des postes de direction. Il ne parlait pas beaucoup mais avait une qualité d’écoute exceptionnelle. Il pouvait dérouter un peu ses interlocuteurs par le léger sourire qui s’esquissait discrètement sur son visage lorsqu’il écoutait. On comprenait très vite qu’il ne s’agissait pas du tout du signe d’un quelconque sentiment de supériorité, bienveillante ou malveillante, mais du signe de l’attention qu’il portait à ce qu’on lui disait. Il posait peu de questions mais elles portaient toujours sur des points essentiels. De plus, il avait une très grande capacité de travail, ce qui lui donnait une compétence exceptionnelle. Porté vers l’analyse des situations, ses observations étaient toujours fondées et se révélaient particulièrement pertinentes.
Lorsqu’une décision était prise après une étude et un échange des divers points de vue, dans lequel non seulement François apportait ses compétences qui mettaient à l’abri des erreurs possibles mais aussi donnait un point de vue marqué par la sagesse de ses jugements, il veillait au respect rigoureux de la décision arrêtée, à sa mise en forme adéquate, à sa formulation claire. Pour celui qui devait signer, c’était une aide précieuse, une assurance comme j’en ai peu connu dans ma carrière.
Une de nos dernières rencontres a eu lieu à l’hôpital. Il y était en traitement d’assez longue durée et j’arrivais pour une intervention qui nécessitait trois ou quatre jours d’hospitalisation. Nous avons bavardé brièvement dans le hall de l’hôpital. Le lendemain, il est venu me voir dans ma chambre et nous avons vécu un grand moment d’amitié et de partage de souvenirs communs.
Les circonstances, les contraintes dues à l’âge, aux devoirs familiaux me tiennent éloignés de Daoulas ce matin. Je suis cependant présent par la pensée et la prière fervente en union avec sa famille et ses amis militaires ou civils. Parmi ces amis de l’armée présents dans cette église, il y a des commissaires, il y a aussi des officiers des autres corps de l’armée de l’air, des pilotes ou mécaniciens ou officiers des Bases de la promotion 1954 "commandant Héliot" de l’école de l’air. Le délégué de notre promotion, l’ami Louis Maître, colonel pilote, a écrit en apprenant le décès de François Kerneis :
« Lors de la rédaction du livre promo, en 2004, 2005, 2006, François a fait partie de l’équipe. Il fut non seulement un auteur apprécié mais aussi un lecteur-correcteur particulièrement compétent et actif.  Ses avis étaient toujours pertinents et, généralement, pris en considération. Ses connaissances étendues, son expérience professionnelle ont considérablement enrichi le livre. C’est à cette occasion que je l’ai le plus connu. […]Il avait ensuite connu de sérieux problèmes de santé. Il ne se plaignait jamais, se livrait assez peu. Bien sincèrement, l’équipe du livre aurait voulu garder le contact avec lui, mais il était difficilement joignable. […] François a été un excellent camarade, un ami avec lequel nous aurions aimé communiquer davantage. Ce soir nous le pleurons
J’ai reçu ce témoignage alors que j’achevais d’écrire cette intervention. Je suis frappé de constater combien ceux qui ont approché François ont perçu derrière son austérité apparente, peut-être déroutante parfois, la richesse de sa personnalité. Oui nous pleurons l’ami qui nous a quittés.
Par François j’ai connu pour la première fois la Bretagne, si éloignée de mon pays natal. Avec lui j’ai commencé à apprécier ses compatriotes. François était à mes côtés le jour de mon mariage en terre bretonne. Ce matin, je suis par la pensée à ses côtés en attendant de le rejoindre au banquet du Seigneur lorsque le jour sera venu. J’aime cette pensée sur la mort : « La mort n’est pas l’extinction de la lumière, c’est le simple fait d’éteindre la  lampe parce que l’aube est apparue ».
      Commissaire général (2S) Jean Bajard – Promotion 1954 

"François Kerneis était un homme discret, d’un abord un peu rigide. C’est bien ainsi que je l’ai perçu à la fin du mois de septembre 1954 en arrivant dans la 10ème Brigade de la promotion de l’école de l’air, la brigade des élèves commissaires. A l’époque nous formions une brigade homogène, objet de curiosité pour divers officiers d’encadrement mais aussi pour nos camarades élèves-pilotes, mécaniciens, télec, officiers des Bases avec qui nous partagions le programme de formation générale. Ce n’était que la deuxième année de l’insertion d’élèves-commissaires dans l’école de l’air. Nous nous partagions en deux chambrées communicantes par les lavabos et sanitaires communs. Il n’y a pas de meilleur moyen pour faire connaissance.

Très vite, François s’est révélé un homme qui ne manquait pas d’humour, un humour d’autant plus appréciable qu’il émanait d’un homme dont le comportement était naturellement sérieux. Très vite aussi, François s’est révélé comme un « bûcheur ». Dans notre petite salle d’études dont la surface correspondait tout juste à notre effectif – onze – il occupait le bureau juste devant moi. Lorsqu’il apprenait ses cours, il lisait et relisait en silence ses notes mais en se balançant d’avant en arrière sur sa chaise. « Arrête, tu me donnes le mal de mer ! ». Je ne sais pas si ce fils de marin de la "Royale" avait jamais eu le mal de mer…
Serviable, sans jamais d’ostentation, il pouvait garder le silence très longtemps, au point de paraître taciturne, mais quand il se "lâchait" ce n’était pas triste… Je me souviens de soirées mémorables à Ancelle pendant le stage de ski et sans doute les survivants de notre promotion s’en souviennent eux-aussi.
Plus tard, il a exercé la responsabilité de chef du bureau Personnel de la direction centrale du commissariat. C’est sans doute dans ce poste que les commissaires plus jeunes l’ont le plus fréquemment rencontré, généralement pour exprimer un souhait, avoir une information sur un projet de mutation. Il écoutait attentivement, enregistrait avec soin, mais ne laissait rien paraître quant aux décisions qui étaient en préparation.
A la fin de ma carrière, pendant les deux dernières années de mon temps de Directeur central, il a fait équipe avec moi. De cette expérience, je dirai seulement, pour être bref, que je ne peux que souhaiter à tous les occupants de postes de responsabilité d’avoir autour d’eux des hommes de la qualité du commissaire général François Kerneis. Ses conseils étaient précieux et ses connaissances approfondies dans tous les domaines de la compétence du service étaient particulièrement utiles. Le soin qu’il apportait dans le filtrage des documents soumis au Directeur faisait que je pouvais être certain que tout ce qui avait été discuté, étudié en commun et finalement décidé, était correctement traduit dans les  documents soumis à la signature.
Peu expansif, peu démonstratif, François avait la solidité du granit de Daoulas, la patrie à laquelle il a toujours voué une fidélité sans faille. Il ne fallait surtout pas lui dire ou lui laisser entendre qu’il était de Plougastel-Daoulas, ce qui pour un lyonnais n’était pas forcément très différent de Daoulas… C’est lui qui le premier m’a fait connaître, aimer, "ce pays du bout de la terre". Et quand je passerai par là, ce qui m’arrive depuis que j’ai adopté le Finistère, j’irai me recueillir sur sa tombe et me retremper dans le souvenir d’une amitié aussi profonde que discrète, car on ne se sépare pas d’un compagnon comme lui."
Cre gal (2s) Jean Bajard