vendredi 16 novembre 2012

1970 : Le devenir du commissariat de l'air
par le Commissaire Général DAUME (in revue Forces Aériennes Françaises - décembre 1970)

Grand débat au début des années 70 : faut-il passer du commissariat des bases de l’air (CBA) au « major commissaire » (on ne parlait pas encore de commissaire de base) ? Le commissaire général Daume, futur DCCA (1971-1975), prend position.

PEUT-ON CONFIER AUX OFFICIERS DU COMMISSARIAT DE L'AIR LE POSTE DE MAJOR SUR LES BASES AERIENNES ?

Qui peut le plus peut le moins ! Compte tenu de leur culture de base (1), de leurs deux années passées à l'école du commissariat et de leur stage pratique d'un an sur une base aérienne, c'est un truisme d'affirmer que les commissaires de l'air peuvent tenir - et avec bonheur - l'emploi de major sur les bases aériennes.


 


Cette solution serait d'autant plus opportune que l'intervention de l'informatique dans de nombreux domaines (effectifs - solde - habillement - matériels) apparaîtra d'autant moins ésotérique que les responsables des bases aériennes seront plus compétents dans ce domaine. Or, un effort particulier dans ce sens a été fait dans l'instruction des jeunes commissaires.
Ils sont d'ailleurs, en général, loin d'être opposés à cette formule dans laquelle ils trouveraient une motivation nouvelle et dynamique de leur carrière (2).
Compte tenu du « potentiel » qu'ils représentent et si l'on veut aussi aller au-delà de ce simple remplacement d'un indice de spécialité par un autre et envisager une véritable réforme de structure du service du commissariat au sein de l'Armée de l'Air, les attributions actuelles du major pourraient et devraient être élargies :
- à la surveillance interne de toute l'administration et de toute la comptabilité tenue sur les bases aériennes,
- à la gestion de l'ensemble des crédits dont elles disposent,
- à la direction du service des subsistances, qui constitue, avec ses divers organismes nourriciers, une partie administrative très importante des bases aériennes.
Cette extension entraînerait évidemment l'adaptation des dispositions sur l'organisation des bases aériennes, qui font d'ailleurs l'objet de simples instructions.
Elle irait en faveur d'une plus grande autonomie administrative des bases aériennes en donnant à leurs commandants les moyens de jouer pleinement leur rôle, à un moment où la complexité de la chose  administrative va s'accroissant et où la notion de comptabilité fonctionnelle s'affirme.
Et si ce projet prenait corps, il faut admettre que même en rendant plus légère la structure du service du commissariat au sein de l'Armée de l'Air - ce qui sera évoqué plus loin - l'effectif actuel des commissaires en officiers supérieurs n'y suffira pas et qu'un transfert de quelques postes supplémentaires sera nécessaire (dont on pourra aisément déterminer le nombre), l'opération s'effectuant à bilan nul sur le plan des effectifs globaux, et par conséquent, du budget. Pour terminer sur ce point de l'utilisation possible des commissaires, l'emploi des commissaires officiers subalternes sur les bases aux lieu et place d'officiers des bases administratifs, serait, du fait même du prix élevé de la formation des premiers, une solution particulièrement riche et onéreuse. Elle accroîtrait en outre très sensiblement les effectifs actuels. Par contre, et sur les bases très importantes, le major commissaire pourrait se voir adjoindre un commissaire lieutenant ou capitaine afin de l'aider dans sa tâche, bien sûr, mais encore afin de permettre à ce dernier de se familiariser totalement avec les problèmes pratiques des bases, ce qui rejoint le souci de l'Inspecteur général de l'Armée de l'Air.
Si, au départ, et tout naturellement, on appliquait cette formule aux bases aériennes les plus importantes (3) le but final - et logique - à atteindre serait de doter toutes les bases aériennes de l'Armée de l'Air d'un major commissaire, ce qui permettrait l'unicité dans l'organisation et éviterait une dualité fâcheuse dans les procédures, source de complexité et de difficultés.
Il est important de noter toutefois que le statut actuel des commissaires de l’air (décret « pris en Conseil d'Etat » du 6 septembre 1960) dispose d'une façon formelle en son article 1er que : « Les commissaires de l'air assurent la direction du service du commissariat de l'air. Ils exercent les attributions générales définies pour les fonctionnaires de l'Intendance par la loi du 16 mars 1882 sur l'administration de l'armée».
Lorsqu'on se souvient d'une mésaventure dont personne ne peut souhaiter qu'elle constitue un précédent et qui s'est traduite par l'annulation par le Conseil d'Etat le 2 octobre 1959 du précédent statut (en l'occurrence, un décret du 28 avril 1953), il serait particulièrement imprudent de ne pas envisager dès que la décision de principe sera prise, de modifier le décret de 1960 pour y inclure les attributions nouvelles qu'on veut confier aux commissaires.

LES INCIDENCES SUR LA STRUCTURE DU SERVICE DU COMMISSARIAT AU SEIN DE L'ARMEE DE L'AIR - LA SUPPRESSION DES COMMISSARIATS DES BASES.
La mise en place sur les bases aériennes de commissaires ayant des responsabilités administratives, notamment en matière de surveillance interne, entraînera inéluctablement un allègement de la surveillance externe effectuée maintenant par le commissaire des bases au premier degré, par le Directeur régional au second degré, au nom du général commandant la région aérienne (4). La Marine nous donne un bon exemple à ce sujet.
Du fait de la mise en place d'officiers du commissariat avec des compétences élargies, et si l’on considère que surveillant et surveillé appartiendront au même corps, on voit mal dans la pratique comment la pression de la surveillance administrative ne pourrait pas s'atténuer. C'est d'ailleurs ce que souhaite le commandement.
Et cette atténuation peut conduire tout naturellement à envisager la suppression de cette surveillance, au moins celle qui est effectuée au premier degré par le commissaire des bases. Et l'on est non moins naturellement amené à penser que le commissaire local - et son service - n'auront plus leur raison d'être. Ce serait une vue un peu simpliste des choses, car le commissariat des bases (CBA) a bien d'autres missions et attributions dans l'organisation actuelle.
Quelles sont-elles ?
- tout d'abord, ce rôle de conseiller et de surveillant qui vient d'être évoqué,
- ensuite, une mission de vérification (sur pièces et sur place) de tous les comptes de la base aérienne,
- également, le remboursement de toutes les dépenses effectuées par la base (mission d'ordonnancement),
- enfin, d'autres attributions spéciales, qui, pour être secondaires, doivent être malgré tout assurées : direction des centres administratifs territoriaux Air (CATA) ou des établissements régionaux du commissariat de l'Air (ERCA) - liaison avec l'Intendance ou le Commissariat de la marine – attributions particulières en matière de procès-verbaux, de déplacements et de transport - réception authentique des actes d'engagement, de rengagement, de commissions.
Le premier rôle peut, comme il est dit plus haut, être confié au major s'il est commissaire, et la surveillance administrative par délégation du général commandant la région aérienne pourra et devra être exercée en son nom par le directeur régional ou ses adjoints.
Mais le nombre des bases aériennes dans une région et la distance qui sépare celles-ci du lieu d'implantation de la région aérienne imposeront, par la force des choses, une diminution sensible des visites du Directeur.
Restent les autres attributions, et notamment celle de la vérification des comptes. Les procédures actuelles imposent l'envoi de tous les comptes finances et matières et ceux de tous les organismes nourriciers à la vérification sur les pièces au CBA - cette vérification - d'ailleurs légale (5) - ne peut être confiée à la base elle-même, qui serait alors juge et partie.
Dans l'état de volume que représente la masse des comptabilités, il serait inconcevable que ces dernières soient mouvementées chaque mois, chaque trimestre ou chaque semestre sur la région aérienne - la direction régionale prenant le relais du CBA - pour être réexpédiées ensuite sur les bases.
La nécessité de les retourner sans délai prohibitif imposerait un nombre de personnels incompatible a priori avec les restrictions actuelles d'effectifs.
Seule solution possible : allègement sensible de cette vérification qui pourrait avoir lieu par sondage, à l'échelon régional, dont le mode et la cadence pourraient être laissés à l'initiative du Directeur régional en fonction de situations de fait dues à la confiance qu'on peut accorder aux exécutants locaux, ou être codifiés par l'administration centrale.
L'ordonnancement (6), autre rôle capital, pourrait très opportunément être confié au commissaire sur la base. Mais, là encore, on peut penser qu'il y a incompatibilité entre la fonction de major, qui certifie les factures, et celle de l'ordonnateur qui paie.
Force est donc d'adopter l'organisation du commissariat de la marine, qui laisse au commissaire général directeur le soin de signer tous les mandats.
Les autres attributions spéciales pourraient sans grande difficulté semble-t-il - car, d'ores et déjà, on peut les confier à des « suppléants » - être données au commissaire major, à I'exception des CATA et ERCA, qui demeureraient une responsabilité du directeur régional (ou de ses adjoints).

POUR UNE NOUVELLE STRUCTURE DU SERVICE DU COMMISSARIAT AU SEIN DE L'ARMEE DE L'AIR.

Le renforcement de l'autonomie administrative des bases aériennes, rendu possible par la mise en place d'un véritable directeur administratif et financier, va dans le sens d'un souci de décentralisation manifesté actuellement de toutes parts.
Mais s'il autorise la suppression d'un échelon du service du commissariat - le C.B.A. - suppression génératrice d'économies, en personnels surtout, il impose une augmentation sensible des charges des directions régionales, dans le domaine de l'ordonnancement et dans celui de la vérification des comptes.
Cette augmentation de charges et, surtout, la multiplication de certaines tâches répétitives permettront une organisation très rationnelle des directions, dans le sens vertical et l'on peut dès maintenant les imaginer constituées :
- d'une division : organisation – personnels, administration générale,
- d'une division finances (crédits - fonds. ordonnancement - vérification des comptes deniers),
- d'une division matériels (7) (réalisation - mise en place - vérification des comptes matières),
- d'une division (7) juridique et contentieuse (conseil juridique pour les personnels - règlement des dommages causés à ou par l'Armée de l'Air).
Le chef de la division finances et celui de la division matériels - commissaires lieutenants-colonels - assureraient également la direction du CATA régional et celle de I'ERCA, par délégation ou en vertu de pouvoirs propres.
L'étude analytique de la nouvelle mission des directions régionales du commissariat donnera la mesure des moyens en personnels nécessaires. D'ores et déjà, on peut affirmer que le bilan sera largement positif ; raisonnable quant au gain en commissaires (8), il sera plus substantiel sur le plan des officiers des bases (15 actuellement dans le CBA), des sous-officiers (223) et des hommes du rang (50) (9).
Mais I'état de l'infrastructure des directions régionales va poser un problème difficile à résoudre, du fait de l'exiguïté des locaux actuels qui ne pourront pas absorber le personnel supplémentaire nécessaire. C'est là un écueil possible qu'il serait vain de passer sous silence ou de minimiser.

CONCLUSION.
Cette réforme très importante devrait s'analyser en définitive en une décentralisation administrative plus poussée en faveur des bases aériennes, qu'accompagnerait une concentration de certaines tâches matérielles à l'échelon régional.
C'est une optique moderne qui devrait favoriser l'autonomie des bases aériennes, en améliorant, grâce à une organisation très poussée des directions régionales, le rendement de celles-ci dans l'exécution de travaux répétitifs actuellement effectués par plusieurs CBA.
On peut encore noter des liaisons plus rapides avec les bases du fait de la suppression d'un échelon intermédiaire, un raccourcissement des circuits et une possibilité de participation plus efficace du général commandant la région aérienne responsable, mieux informé qu'il sera par sa direction régionale.
Mais il s'agit là d'une oeuvre de longue haleine ; des études préalables poussées, dont le thème vient d'être esquissé, devraient être conduites dès maintenant et une expérience en vraie grandeur pourrait être tentée dès à présent dans une région aérienne.
Dans le même temps devront être menées à leur terme la concentration des CATA (en un CATA régional unique) (10) et celle des ERCA (un établissement mixte par région aérienne, à vocation ministérielle et régionale), déjà très amorcées à l'initiative conjointe de l’EMAA et de la Direction centrale du commissariat.
Nouvelle - mais peut-on dire ultime ? - adaptation du commissariat à la structure de l'Armée de l'Air qui serait ainsi dotée d'une organisation rationnelle, économique et moderne en matière de soutien logistique de ses personnels.
On peut d'ailleurs rappeler que le Commissariat avait adopté cette organisation de la direction régionale ayant vocation également de commissariat des bases, dans les zones d'outre-mer, avec la difficulté supplémentaire de l'éloignement considérable des bases aériennes. Mais le système a toujours bien fonctionné.
Commissaire général DAUME

Le projet présenté par le général Daume trouvera sa concrétisation dans le décret du 28 avril 1972. Le premier commissaire sera mis en place en 1971 sur la base de Cazaux, à titre expérimental. En 1973, 25 commissaires seront affectés sur les bases les plus importantes, en tant que commissaire de base et chef des moyens administratifs. La formule sera progressivement étendue à l’ensemble des bases aériennes.


(1) Au minimum, licencié en droit au en sciences économiques, ou sortant de Polytechnique, d'HEC, ou de Centrale.
(2) Mais il faut mettre l’accent sur la nécessité de leur confier sur les bases de véritables responsabilités administratives et de ne pas simplement déplacer de l'extérieur l'intérieur, leur rôle de surveillant administratif
(3) 38 bases aériennes ont actuellement un effectif supérieur à 1500 hommes
(4) Cette surveillance administrative résulte d’une disposition législative, ne l’oublions pas. Elle a pour but de garantir la responsabilité du ministre et celle du général commandant la région. Elle s’impose quelle que soit la qualité du Major, d’autant plus que le commandant de base demeurera responsable de l’administration.
(5) Article 23 de In loi du 16 mars 1882.
(6) En rappelant que le système de l’armée de l’air est celui de l’ordonnateur unique, pour toutes les dépenses des bases aériennes, système particulièrement efficace et économique
(7) Ces deux divisions  sont déjà concentrées  à l’échelon régional, les CBA n’intervenant  que peu ou pas du tout.
 (8) Qui se traduira en insuffisance globale si l’on compte les commissaires mis en place sur les bases  et le renforcement indispensable des directions régionales. Il est rappelé que les CBA occupent actuellement 22 commissaires officiers supérieurs, 14 commissaires capitaines
(9) Une évaluation très approximative permet d’avancer  le pourcentage de 50%
(10) C’est déjà fait pour 2 régions aériennes