dimanche 3 novembre 2024

Les tribulations en planeur d’un élève-commissaire

Par le commissaire général (2S) Jacques François (ECA 83)

Nous retrouvons notre élève-commissaire à Salon-de-Provence en 1984, avec la suite de ses aventures vélivoles (1).

Le capitaine Couture, du centre de vol à voile de Romorantin (CVA), profite du desserrement hivernal d’une partie de son unité dans les Alpes du sud pour passer à Vinon lors du stage de la SIVEA et me fait faire un vol, histoire de vérifier s’il est bien prudent de me confier un planeur. Il va faire mieux, en me laissant un ASW20F à Vinon quelques semaines pour mieux m’entraîner pour la compétition à Bailleau en août. Je serai remorqué par le club, où je vole déjà au sein de la section air de vol à voile de la BA 701.

Les week-ends suivants, je fais donc plusieurs vols sur ce planeur, entre 200 et 350 kilomètres. Je suis un pur pilote de plaine, n’ayant comme expérience de vol en montagne que mes deux stages d’instructeur à Saint-Auban. C’est bien plus difficile mais je progresse et commence à me sentir à l’aise. Il est bien connu que c’est là que les ennuis arrivent et effectivement ça ne va pas louper.

La peur de ma vie

J’ai prévu un aller-retour de 316 kms, avec virage au nord du Glacier blanc. Je commence par rejoindre le « parcours du combattant », alignement de crêtes et de sommets, des gorges du Verdon à Briançon, et cheminement classique pour aller des Alpes du sud à celles du Nord. Je compte le rejoindre au niveau du massif des Trois Evêchés (2) et fonce au-dessus d’une ligne de crête en visant un cumulus en formation laissant présager une ascendance aussi puissante que celle que je viens de quitter. Ça chute à 2/3 mètres par seconde, c’est normal, mais la « dégueulante  » (pardon, le courant descendant ) s’aggrave à  -6, -8 mètres par seconde. J’insiste quelques secondes de trop et la crête se rapproche dangereusement. 

Des deux côtés, d’étroites vallées en V. Je dégage dans celle de droite mais le planeur descend plus vite que le talweg. Je suis sous les crêtes et passe quelques obstacles à saute-mouton. Ça ne pourra pas durer longtemps… Mais le variomètre commence à faire timidement « bipbip » : une ascendance, très faible, mais c’est ma dernière chance. Impossible de spiraler, mais je parviens à faire des 8 serrés, pas trop lentement pour éviter l’autorotation, pas trop vite pour rester dans l’ascendance. J’arrive à me maintenir, puis à monter et enfin repasser au-dessus des crêtes au bout d’un temps qui me parait infini (trois minutes tout au plus). J’enroule la pompe qui devient puissante et m’amène vite à la base des nuages. Après une courte hésitation, je poursuis mon circuit que je boucle en 5 heures. Point positif : je n’y croyais plus guère mais je suis resté calme et j’ai pu saisir ma chance. Point négatif : j’ai « oublié », sans doute par amour-propre mal placé, de signaler ma situation pour d’éventuels secours. Je n’en parlerai d’ailleurs guère par la suite, mais depuis, quand il m’arrive de me plaindre de mon sort, il me revient souvent à l’esprit que je fais du rab…

Premier concours sur un planeur à cocarde

Fin juillet 1984, la promo 83 (la mienne, donc) termine son tour de France des bases aériennes avec Noratlas, Cap10 et autres Jodel D140. Le commandant de promotion (Jean Michel, EA 68 - promo Bigand) nous réunit dans le hangar de la SIVEA pour un ultime rapport avant le départ en vacances le soir même. Nul ne peut ignorer, cinq mètres derrière lui, la remorque à planeur profilée avec une belle sérigraphie « Armée de l’air ». A côté, sur un tableau d’école le message : « Bonjour François. Voilà ton planeur pour Bailleau. Il vient de faire une très bonne place au championnat de France. Bons vols ». C’est signé d’un adjudant-chef dont je ferai la connaissance plus tard. Dès le rompez-les-rangs, je file chercher ma voiture et y attelle la remorque avant que le hangar ne soit fermé. Commandant de promotion et brigadiers discutent au coin du hangar. Je passe au ralenti et les salue respectueusement. Car, ici, le roi n’est pas mon cousin !

Après 800 kilomètres d’autoroute lors d’un week-end de grand départ avec un attelage de 15 mètres, me voici à Bailleau, près de Chartres. La météo sera fort médiocre durant les dix jours de compétition. C’est frustrant d’avoir un beau planeur pour soi tout seul et de regarder la pluie tomber. Mais si seules trois épreuves sont validées, l’une a un caractère exceptionnel. Le briefing du matin est avancé, alors que la pluie vient à peine de s’arrêter. Le directeur de la compétition nous annonce un décollage à 10h30 avec un circuit de 514 km pour la classe standard (15 mètres d’envergure) et un triangle équilatéral quasi parfait pour la classe course (15 mètres d’envergure, mais avec volets de courbure), la mienne : Bailleau-Châtellerault-Nevers, 608 km. Des distances rarissimes en concours à l’époque. On croit à une plaisanterie, même si l’excellent ingénieur météo, M. Trideau (bien sûr surnommé « Trop d’eau ! »), nous a promis un beau ciel de traîne. On se prépare, les nuages se déchirent, puis disparaissent et nous décollons alors que les premiers cumulus, donc les premières ascendances potentielles, apparaissent. Un vol de rêve, des pompes faciles, bien balisées par les cumulus, des varios joufflus, un plafond autour de 2 000 mètres, une navigation aisée grâce aux centrales nucléaires de la Loire. Je boucle les 600 bornes à 94 km/h, le premier à 108, le dernier arrivé à 74. Un malheureux hollandais n’a fait que 42 km. 19 pilotes, surtout des étrangers venant de pays à l’aérologie moins propice que la nôtre, homologuent leur vol de plus 500 km, nécessaire à l’obtention du prestigieux brevet de performance F, attribué par la Fédération aéronautique internationale.  Des records nationaux de vitesse sont établis. C’est l’euphorie, même si le front nuageux et pluvieux arrive au moment où l’on range les planeurs. Au classement général, je termine à la 10ème place sur 21, résultat honorable vu le niveau des pilotes engagés. 

Retour à Vinon-sur-Verdon

En seconde année, je vole à la SIVEA de façon plus épisodique -  les commissaires étant souvent en stages - mais souvent au club de Vinon-sur-Verdon.

En avril 1985, nouveau stage sur ce terrain. Le premier avril, ça ne s’invente pas, les responsables du club viennent faire part d’un problème aux chefs. La fédération française de vol à voile a décidé que la sélection pour les championnats de France se ferait désormais via des concours régionaux. C’est Vinon qui organise le premier, il faut 10 participants minimum et suite à un désistement, il leur en manque un. L’Armée de l’air ne pourrait-elle pas sauver la patrie, peut-être grâce à ce jeune pilote barbu et à l’ASW19 à cocarde qu’on aperçoit là-bas ? 

Voler en montagne début avril, quand les ascendances dépassent rarement les sommets, ce n’est déjà pas facile, mais en compétition et alors que l’on s’est fait peur il y a peu… Mais difficile de me défiler. Et comme ça, je serai sûr d’avoir un planeur tous les jours. Je ne connais pas bien l’ASW19, mais ce n’est qu’une sorte d’ASW20 sans volets de courbure. Trois heures après, je décolle derrière le remorqueur pour la première épreuve : l’aller-retour de 316 km qui a failli m’être fatal il y a un an ! Je boucle le circuit sans problème, dans un environnement enneigé magnifique. C’est lors de ce type de vol que l’on réalise le caractère magique de ce sport. Le soir, lors du repas dans la Fillod, mon fan-club est en liesse. La suite sera moins glorieuse : quatre épreuves, trois atterrissages sur des terrains et une vraie vache (atterrissage en campagne). Je suis loin d’être le seul, mais moi au moins, je n’ai pas à payer les dépannages par air ! Je n’ai pas souvenir d’avoir été sélectionnable pour le championnat de France cette fois-ci…

Nous arrivons à convaincre la hiérarchie de laisser à Vinon un biplace et des monoplaces le week-end suivant le stage. C’est donc sous ma responsabilité que volent quelques camarades récemment lâchés. Nous resterons très discrets sur le fait que Nicolas Masquilier, dit Bajoue (EA 83 - promo Fleischel) réussit à se vacher à quelques kilomètres du terrain alors qu’il était tenu à un strict vol « dans le bocal », c’est-à-dire d'être toujours en mesure de regagner le terrain de départ. Mais il le fait avec brio, sans une égratignure pour le planeur.

Rencontres lors du concours 85 de Bailleau

En août 1985, c’est avec Bajoue que je retourne faire le concours de Bailleau. Il a accepté d’être mon équipier-dépanneur. Il ne sera pas venu pour rien. Six épreuves sont validées, dont un beau circuit de 400 kms. Mais plusieurs connaissent un taux de retour des planeurs particulièrement faible, les conditions étant vraiment médiocres. Je me pose en campagne à quatre reprises. Trois fois tout près du but, ce qui aurait suffi pour un bon classement, si la quatrième vache ne s’était pas produite presque au départ, me faisant perdre pas mal de places.

Lors d’un de ces vols, je tombe sur les trois militaires qui concourent en classe standard et qui, comme moi, espèrent pouvoir parcourir les 25 km restants pour nous poser à Bailleau. Mais déjà que c’est juste, il commence à bruiner, ce qui n’améliore pas la finesse des machines. Nous sommes à la queue leu leu, je suis le dernier et le plus bas. Heureusement, en Beauce, les champs sont plus grands que les aérodromes et sont tous moissonnés en août. A dix kilomètres du but et à cent mètres sol, le squadron leader break à gauche et se met en très courte finale, les suivants l’imitant toutes les 3 secondes. Nous nous posons à cinquante mètres d’intervalle les uns des autres et nous arrêtons, bien alignés, à une quinzaine de mètres d’une petite route. Celle qu’emprunteront les dépanneurs pour nous et pour les 50 autres pilotes, posés plus au sud. Ça les confortera dans l’idée que les vélivoles militaires volent souvent en équipe.

Lors de ce concours, je sympathise aussi avec un pilote de mon âge dont le planeur est aligné à côté du mien avant les décollages. Il me questionne sur les possibilités de faire son service, qui se profile, dans une section de vol à voile. Je lui dis qu’il peut toujours postuler mais que, n’étant ni instructeur ni pilote remorqueur, ses chances étaient minces. Il a quand même bon espoir et va en parler à son père, qui est major. Je pense in petto qu’il se fait un peu des illusions quant à l’influence des majors dans l’Armée de l’air. Je réalise un an plus tard que je ne l’ai pas bien compris, lors de la nomination d’un nouveau CEMAA, jusque-là major général. Ce nom me dit quelque chose… J’en déduis que mon ancien concurrent va passer un service militaire sympathique. Encore plus tard, je retomberai sur lui au club de Vinon-sur-Verdon, où je revole, étant en poste sur la BA 114 d’Aix-les-Milles. Il est en tenue d’aspirant et n’est pas là pour voler, mais pour encadrer le bivouac du centre d’instruction militaire où il est affecté. Son père, et c’est bien sûr tout à son honneur, n’a pas souhaité le pistonner. Je lui donne quelques conseils et, probablement sans que j’y sois pour grand-chose, il arrivera quand même à faire l’International Air organisé à Romorantin où je le retrouverai.

Septembre 1985 : Finies l’école et ses 265 heures de vol ! Maintenant, au travail, celui de commissaire de l’air. Travail qui ne m’empêchera pas de continuer mes activités vélivoles sous les cocardes, en tout cas pendant quelques années.

(1) « Au Piège, ça planait pour moi » (1er mars 2024)

(2)   C’est dans les contreforts de ce massif, emblématique du « Parcours » et connu de beaucoup de vélivoles européens, notamment allemands, que le copilote de Germanwings fera chuter volontairement son Airbus A320 en 2014.