Dès le 26 février 2022, NATO/SACEUR (Supreme Allied Commander Europe / Commandant suprême des forces alliées en Europe pour l’OTAN) a demandé le déploiement du Spearhead Battalion (SHBn) de la VJTF223 en Roumanie. Pour ce faire, le centre de planification et de conduite des opérations de l’état-major des armées (EMA/ CPCO) a ordonné la mise en œuvre des mesures nécessaires à ce déploiement.
Le service du commissariat des armées a participé à la conception, à la préparation et à la montée en puissance de cet engagement opérationnel dans l’urgence. Une très forte réactivité a permis des prises de décisions rapides, conduisant à l’activation de la cellule de crise de l’état-major opérationnel du SCA (EMO-SCA), la mise sous tension des organismes du SCA, et l’intensification de la préparation opérationnelle individuelle.
TÉMOIGNAGE
Le CRP Loïc L. (ancrage Air, 2014) revient sur la manœuvre d’ensemble qui a impliqué le GS ISP (Istres-Orange-Salon de Provence), et notamment la division « conduite du soutien » dont il a la responsabilité.
Quel a été le rôle du GS ISP au cours du déclenchement de la mission aigle ?
Le rôle du GSBdD ISP a été double. D’abord, l’aspect le plus visible est la contribution du GS au déploiement du bataillon d’alerte de la force de réaction rapide (NATO Response Force (NRF)) en Roumanie à partir de la zone de regroupement principal (ZRP) de Miramas. La ZRP permet, notamment par sa capacité en hébergement, le recueil de la force, la finalisation de sa préparation et enfin sa régulation vers le ou les sites identifiés de projection. En l’occurrence la base aérienne 125 d’Istres, puis la Roumanie. Dans le cadre de l’activation de la ZRP, le GS ISP a délivré le soutien Commissariat dans le domaine de la restauration, de la gestion de base-vie, de l’achat et du transport terrestre au profit des militaires déployés en Roumanie mais aussi du personnel concourant à l’activation de la ZRP (maintenance / protection / transport des matériels / priorisation des flux, etc.). Le soutien restauration a été délivré dans un premier temps à partir du mess permanent de Miramas (faible capacité) du pôle Istres-Miramas, puis à partir d’un ELC500 (élément lourd de cuisson pour 500 rationnaires) déployé pour l’occasion.Le soutien gestion de base vie a consisté à assurer la mise en place de bacs de déchets, la délivrance de carburants, la mise en place d’une laverie (unité de traitement du linge en campagne - UTLC) et la fourniture de couchages.
Le soutien transport terrestre a principalement consisté en la mise en place de cars et de poids lourds, avec les chauffeurs associés, afin de convoyer les militaires projetés jusqu’à la BA125 pour y être embarqués dans des aéronefs. Il a été aussi nécessaire de mettre en place un dispositif de transport souple et réactif pour ramener les nombreux pilotes de véhicules (VAB / AMX 10RC / Auverland / PPLog, etc.) en charge des rotations entre la ZRP et la BA125. En qualité de détachement de liaison SCA auprès du centre opération de la ZRP, le chef de pôle d’Istres-Miramas du GS ISP avait pour mission, outre le recueil des expressions de besoins au plus près, de suivre la ressource (containers) SCA en matériels de soutien de l’homme et vivres opérationnels transitant vers la ZRP.Ensuite, le soutien de la BA125 a dû être étoffé du fait de son engagement dans des missions de ravitaillement en vol au titre du renforcement de la posture dissuasive de l’OTAN sur le flanc oriental de l’Europe. Il faut souligner que les autres missions de la base aérienne 125 ont continué, notamment l’accueil des VAM départs et retours d’OPEX (la BA125 accueillant dorénavant le hub des armées), ou encore un exercice de dissuasion nucléaire, générant une importante activité de soutien. L’activité aérienne et ses contraintes ont parfois imposé des modifications de vols, avec un besoin associé de restauration de circonstance pour les passagers. En outre, il a été nécessaire de préparer un camp de toile pour l’accueil de potentiels renforts de protection.L’activation de la ZRP a été prononcée sans préavis et l’effet à obtenir en termes de soutien était quasi immédiat, sans que l’on connaisse précisément la date de fin. Une réunion des cadres de la division conduite du soutien (DCS) et du pôle Commissariat d’Istres a très rapidement permis de produire un plan de soutien validé par le chef du GS ISP au regard des quelques informations dont nous bénéficiions. Les nombreuses hypothèses de soutien associées aux évolutions fréquentes des plans de chargement des aéronefs modifiaient de manière régulière et immédiate le besoin de soutien. C’est dans un environnement particulièrement mouvant, lié au contexte d’urgence opérationnelle, qu’il a été nécessaire d’œuvrer.
Comment se sont articulés les rôles entre le GS, la ZRP et la BA 125 ?
Le GS ISP, en s’appuyant sur l’organisation NG (nouvelle génération) des GSBdD (1), a simplement dû répartir le rôle de chacun des acteurs du GS vis-à-vis des différents protagonistes (ZRP / BA125 / CIMCI / EMO-SCA).
Ainsi, le chef du GS était l’interlocuteur privilégié de l’EMO-SCA et du COMBdD ISP. Son adjoint représentait le GS au centre de crise de la BA 125. Et la DCS, notamment le bureau coordination production (BCP), était l’interlocuteur privilégié des centres interarmées du SCA.
Enfin, le Pôle Istres-Miramas délivrait le soutien sur les sites de Miramas et de la BA125. Il a été décidé de délocaliser le chef de pôle à Miramas et de lui confier la mission de détaché de liaison SCA (DL SCA) dans le centre opération de la ZRP. Au plus près du besoin de soutien et en contact permanent avec le centre opération, il a été un véritable atout. Son adjointe s’est focalisée sur le soutien de la BA125, elle aussi en pleine effervescence.Le GS ISP avait déjà éprouvé le nouveau modèle d’organisation lors des évacuations sanitaires de Wuhan en janvier 2020 à la suite du coronavirus. Ce modèle NG s’est à nouveau révélé particulièrement pertinent durant cette seconde crise liée à la guerre en Ukraine : il permet la convergence de toutes les activités de soutien du SCA.
Quel a été votre rôle en tant que chef de la division conduite du soutien ?
En qualité de chef de la DCS, mon rôle a tout d’abord consisté à préparer le déploiement. Ce travail de planification et d’anticipation des besoins en renforts RH et matériels, en lien avec le pôle, s’est avéré déterminant par la suite. J’ai ensuite piloté et coordonné les opérations de soutien, par exemple en ordonnant des bascules de moyens entre les trois pôles. Le chef de la DCS, au travers du Bureau Coordination Logistique, du Cercle et du Bureau Ressources, dispose des moyens pour soutenir ce déploiement d’ampleur et peut agir directement sur de nombreux leviers (logistique, transport, gestion de base vie, restauration-loisirs et finances). Les deux autres pôles du GS ISP, Salon de Provence et Orange, ont servi de réservoir de forces. Là encore, le modèle GS NG est une force et permet une excellente réactivité locale.
En quoi la supply chain du SCA a-t-elle été particulièrement réactive ?
À la suite de la mise en alerte le jeudi 24 février et alors même que nous ne disposions que de bribes d’informations, nous avons fait le choix de nous mettre en capacité de soutenir qualitativement un effectif important dans le domaine de la restauration et du transport. Nous avons ainsi exprimé très rapidement un besoin précis. L’EMO-SCA a validé notre besoin permettant ainsi au Centre interarmées du soutien métiers et contrôle interne (CIMCI) de donner les directives de préparation aux différents établissements logistiques du Commissariat des armées (ELoCA) et de désigner les GS devant fournir des renforts. Le matériel nécessaire au soutien de la ZRP (ELC500 – Élément Lourd de Cuisson pour 500 rationnaires-, KC20 –frigos) est arrivé le samedi 26 février au soir, permettant un montage rapide de l’ELC500 sans qui le soutien restauration n’aurait pas été possible à temps. Les renforts en personnels, validés par l’EMO-SCA, ont rejoint le site le lundi. L’ELC500 fut opérationnelle mardi 1er mars. Il a été nécessaire de fermer le mess officier implanté sur la BA701 et de transférer des effectifs vers le site de Miramas (ELC500).Au titre du transport terrestre, nous avons bénéficié d’un renfort immédiat de 19 chauffeurs et véhicules, dont certains étaient déjà présents au titre du soutien du hub des armées d’Istres.
La réactivité de l’ensemble de la supply chain est à souligner. De la même manière, l’Économat des armées (EdA) a ouvert un créneau de livraison supplémentaire et permis ainsi l’approvisionnement en urgence de l’ELC500.
Quels sont, selon vous, les facteurs clés contribuant à la réussite de la mission ?
L’anticipation et la réactivité, la connaissance des moyens et des process, l’implication du personnel et enfin le pragmatisme et le sens de l’adaptation :• Anticipation et réactivité : il s’agit du point de départ de la demande de matériel. Une demande décalée de matériel avec un délai complémentaire d’un ou deux jours aurait généré une mise en œuvre de l’EL500 trop tardive. Cela aurait fait reposer le soutien alimentaire sur une structure permanente sous-dimensionnée, dans l’incapacité de répondre à ce besoin.
• Connaissance des moyens et des process : elle permet de définir la solution de soutien la plus adaptée.
• Pragmatisme et adaptation : le manque ou le surcroît d’informations parfois contradictoires requièrent un pragmatisme certain. Il a donc été nécessaire d’adapter le dispositif de soutien en conduite. L’objectif recherché était de permettre l’accueil des militaires projetés dans de bonnes conditions tout en ayant à l’esprit la possible prolongation de cette activation dans le cadre du déploiement d’autres unités. Il fallait donc être aussi capable de « durer » et de préserver du potentiel. • Implication du personnel : le caractère opérationnel et l’urgence de cette mission ont rassemblé, une nouvelle fois, le personnel du GS ISP. Ainsi, des personnels militaires ont reporté d’eux-mêmes leurs permissions pour contribuer à l’effort général. Certains personnels civils ont démontré une très forte disponibilité pour répondre aux exigences de cette mission. Le personnel s’est conduit de manière remarquable dans une situation d’urgence opérationnelle.Texte et photos : SCA ; revue Soutenir n°22- juillet-septembre 2022
(1) Voir l’article du 23 juillet 2020 « Un GSBdD nouvelle génération pour 3 bases aériennes : Rochefort, Saintes et Cognac »