samedi 30 juillet 2022

Premiers jours à l’école du commissariat de l’air

Lorsque de jeunes étudiants en droit, en sciences économiques ou issus de Sciences Po, ayant réussi le concours du commissariat de l’air, débarquent – du car ou du train - en septembre sur la base aérienne 701 de Salon-de-Provence, sous un doux soleil provençal accompagné d’un merveilleux concert de cigales, ils ne savent pas encore qu’ils pénètrent dans « un monde différent, à la logique particulière » comme l’a écrit l’une des élèves en 1983.

Ces étudiants (et étudiantes à partir de 1977) ont un profil un peu différent des Poussins de l’école de l’air, plus âgés en général (surtout les titulaires d’un DEA, aujourd’hui master 2), mariés parfois, ayant souvent pris du champ vis-à-vis de toute activité sportive et, d’une manière générale, de toute activité en groupe, à l’exception peut-être d’arrosages de succès universitaires.

Dans une promotion, les réactions aux intenses activités militaro-sportives des premiers jours à Salon sont donc très variées, selon les personnalités, les attentes ou parfois les déceptions de chacun(e). Les textes suivants décrivent ces premiers jours à différentes époques.

Promotion 1953 (1ère promo de recrutement direct)

« Quelques heures plus tard, nous pûmes constater que c'était effectivement dur. Encore revêtus de la tenue bourgeoise, nous parcourions la place d'armes en ordre serré et en cadence. La marche était une allure prohibée. Tout déplacement se faisait au pas de gymnastique et en groupe ; cela nous occasionnait des ampoules aux pieds. L'individu isolé était, par définition, coupable.

L’école avait une activité en apparence incohérente. Complètement déserte habituellement, elle s’animait brusquement de façon fébrile. Des brigades de poussins la traversaient avec frénésie, tantôt en tenue de campagne, tantôt en tenue d’outre-mer, tantôt en tenue de sortie. la tenue n’avait rien à voir avec les circonstances ; ainsi, nous étions en short par les nuits venteuses, ou revêtus du manteau au soleil de midi. Tout dépendait de l’ordre qu’il fallait exécuter. Cela faisait partie de notre instruction. C’était même la discipline fondamentale.[…]

Et pus, il y avait les bahutages. Couchés à 22h00, nous étions tirés de nos lits à 22h15. « Debout, poussins ! En tenue de marche : casque, bidon, musette, ceinturon ! » Et nous marchions une partie de la nuit. Rentrés à 3 ou 4h du matin, nous étions confrontés à de multiples surprises. Les chambres étaient dévastées par le typhon le plus violent et le plus pernicieux. Parfois, il ne restait plus un bouton à nos tenues, parfois tout était parti : armoires, portes, fenêtres, paquetages, matelas, couvertures. C’était le vide cathodique (ou catholique, je ne sais plus très bien). Selon un mot historique, la première chose à faire était de retrouver les affaires. Elles étaient disséminées sur les parkings, les pelouses où poussait une herbe sèche, les bosquets de cyprès peints réglementairement en vert. 

Et à 8h, nous étions au garde à vous pour présenter nos paquetages complets et bien astiqués. L’un d’entre nous ne put retrouver à temps son lit qui prenait un bain dans la Touloubre. Il dut rédiger un compte rendu : « J’ai l’honneur de vous rendre compte de ce que j’ai perdu mon lit dans la nuit du 25 au 26 octobre ». Perdre son lit en plein sommeil, c’est très grave, surtout pour un futur commissaire. On n’avait jamais vu çà. Il fut sévèrement puni.

Avec un tel régime, comment s’étonner qu’un élève se soit assoupi à l’amphithéâtre Marin la Meslée, sous le nez d’un célèbre et soporifique conférencier. Faisant face courageusement à cette épidémie de sommeil, le commandement (qui sait tout organiser) fulmina une note de service interdisant non seulement de s’endormir, mais encore de laisser s’endormir ses voisins. Par contagion et promiscuité, toute la promotion fut donc condamnée à écouter.

Ainsi formés aux rigoureuses et exaltantes disciplines militaires, aéronautiques et administratives, sept universitaires se muèrent en commissaires compétents, efficaces et opérationnels.

L’histoire l’a montré. L’élève de semaine » (commissaire général Thomas)

Promotion 1956

« Le programme annoncé était simple : pas de sortie avant la Toussaint, début de la formation militaire et technique, série de vaccinations le samedi, et, à titre de prime, bahutages  pour une durée indéterminée, principalement la nuit, au bon gré de la promo précédente (mais sous le contrôle discret et cependant attentif du commandement, excluant notamment toute brimade individuelle).

Le schéma le plus fréquent était le réveil en pleine nuit, pour une petite marche de 15/20 kms, (agrémentée de quelques grains de raisin grappillés dans les vignes : c’était la saison !) avec la joie de trouver au retour nos chambrées entièrement vidées de leur mobilier et de nos affaires, dispersés dans toute l’école. Une variante consistait à retrouver le paquetage complet de toute la promotion, y compris ce que nous avions sur le dos (nous étions entre hommes) mélangé en un tas monstrueux, dans le hall d’honneur… Bien entendu, il fallait que le lendemain, chacun ait retrouvé toutes ses affaires, et les ait rangées « au gabarit », bien sûr. Il est vrai que nous avions passé le premier dimanche consacré aux vaccinations à coudre, en papotant, notre matricule sur chacun des effets du paquetage, jusqu’à la dernière chaussette, grâce à la cousette (nécessaire de couture) fournie par l’Ecole dans un « sac de petite monture »,  terminologie ô combien originale  venant sans doute de la Cavalerie, via l’Intendance !

Quelques changements de tenue ultra rapides nous ont permis de nous familiariser avec le paquetage, tout en battant des records de vitesse, par la composition de tenues assez folkloriques : l’imagination des aspis bahuteurs n’avait pas de limites… « Affolez, poussins ! »      

Tout a une fin : c’est le « baptême dans le vent des hélices » qui célébrait la fin de près de trois semaines de bahutage. La promotion, agenouillée derrière une rangée de vieux SIPA, moteurs tournant, recevait quelques gouttes de champagne soufflées par les hélices, premier contact avec l’aéronautique, et grand soupir de soulagement. » (commissaire général Jean-Louis Barbaroux)(1)

Promotion 1963

« Lorsque le Il septembre 1963, les neuf élèves commissaires formant la 11° promotion de l'Ecole du commissariat de l'air sont arrivés, qui à la gare de Salon, qui au poste de police de la base, les étudiants qu'ils étaient encore la veille se sont demandé dans quel univers ils s'étaient fourvoyés ... 

Très rapidement les poussins commissaires, tondus de frais et de près, ont pu découvrir les charmes de la Provence éternelle, son ciel toujours bleu, son soleil, son accent, ses "Mireille(s)"mais aussi son mistral et ses moustiques qui fondaient impitoyablement sur eux pendant cette période inoubliable des bahutages où, au garde-à-vous sur la « P.O. » (place Pelletier d’Oisy), ils attendaient, sous l'oeil attendri des "aspis" (variété non venimeuse ) la distribution du courrier des "bobonnes" selon un cérémonial bizarre auquel présidaient un « Zef » et un « CoZef » débonnaires. 

Cette époque inoubliable était aussi celle des changements de tenues en des temps records, les tours de "cour CDP" (Commandement des promotions), les marches au fusil (sadiques), au raisin (juteuses), les chambres vidées de tout mobilier, les matins blêmes, où la gorge serrée, la peur au ventre, il fallait se harnacher en para, monter dans le "Dak" (DC3 Dakota), subir les odeurs caractéristiques, entendre résonner le klaxon, "GO" se lancer (enfin !) dans le vide, sentir le choc à l’ouverture, voir la corolle bien gonflée (quand les sangles torsadées n'avaient pas rabattu le casque lourd sur le menton !), descendre dans la douceur de l'aube, en silence, se récupérer au sol qui approchait trop vite tel le commando chevronné (hum!), malgré de nombreuses tractions inefficaces sur Lançon (2), subir des cours d'instruction militaire où hébétés, endormis, même l'eau tiède et javellisée absorbée goulûment au lavabo paraissait délicieuse, partir au stand de tir, parcourir en pleine chaleur le terrain poussiéreux de Campagnole (allons! en petite foulée ! ... ) jouer à la roulette, au stop-chute, se battre pour de vrai avec des grenades au plâtre et des cartouches à blanc … 

C'était, en un mot, la vie de château qui malheureusement ne devait pas durer. Tout cela était indispensable à notre formation avant d'être dignes de découvrir, au bout de très longues semaines, ce qu'était un commissaire de l'air, l'école du commissariat de l'air et son enseignement spécifique. » (commissaires généraux Bernard Guillemard et Daniel Colombani)

Promotion 1982

« Le lundi 6 septembre 1982, chaque lauréat, encore tout heureux de sa réussite, arrive à la base aérienne 701 et découvre avec stupéfaction, dès ses premiers pas, un monde différent, à la logique particulière. 

Désormais, le plus court chemin entre deux points ne semble plus être la ligne droite: traverser la fameuse « Pelletier d'Oisy» est un crime de lèse-majesté. Désormais, le pas cadencé et le pas de gymnastique rythment nos moindres déplacements (et croyez-nous, courir le premier jour avec des chaussures à talons hauts et le sac à main en bandoulière pouvait prêter à sourire !). 

Désormais, notre individualisme de juristes est mis à rude épreuve: chaque activité se pratique collectivement, et l'initiative n'a plus droit de cité. Désormais, notre conversation officielle est strictement réglementée: les « à gauche, gauche », les « promotion, à mon commandement », et les « garde-à-vous» fusent de toutes parts. 

Nous étions vraiment entrés dans un microcosme coupé du monde, aux coutumes, mœurs et langage particuliers. Ce brusque changement de vie suscita, lors de la première nuit, de nombreuses interrogations quant à notre avenir immédiat : allions-nous rester, ou retourner à notre paisible vie estudiantine? » (Commissaire Maguelonne Dupont)(3)

(1 ) Lire l’article complet : « La 10ème brigade de la promo 56 » (13 septembre 2016)

(2) Village situé en bout de piste

(2) Lire l’article complet dans la revue de l’AEA le Piège  du 2è trimestre 1983