mardi 15 mars 2022

Deux ans au service de formation des jeunes en Algérie

Par le commissaire colonel (CR) François Couant (ECA 54)

Fin juin 1960, je découvre ma nouvelle affectation, le service de formation des jeunes en Algérie. C’est un poste « hors cadre » à la délégation du ministère de l’Algérie à Alger. Je quitte le commissariat des bases de Creil où j'étais adjoint au chef de service et chef des bureaux.

Je suis volontaire. Depuis mon premier séjour à la sortie de l’E.C.A., de septembre 1956 à novembre 1958, à Constantine au GALA n°1, groupe d’aviation légère d’appui sur T6 et ensuite à Bône au groupe de bombardement 1/91 Gascogne-B.26, je suis très intéressé par l’évolution de l’Algérie.

DR Frenchwings

A Alger, je retrouve beaucoup d’anciens de l’E.C.A. officiers des détails : Collobert, Teyssèdre, Grout de Beaufort et Duplessis -Kergomard ; et bien sûr mes collègues qui ont choisi les SAS et l’Algérie : Jourdren, Fropo, Abolivier.

Le service de formation des jeunes en Algérie (S.F.J.A.) fut créé en 1958 après l’action révolutionnaire du comité de salut public à Alger le 15 mai 1958, l’effacement du gouvernement à Paris et l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle.

Cette création du service résultait du constat que les opérations de maintien de l’ordre ne suffiraient pas à rétablir le calme et la paix. Il fallait aussi mener une action psychologique sur l’ensemble de la population algérienne par l’adoption d’une nouvelle politique. Dans ce cadre, il était nécessaire de s’intéresser à la jeunesse algérienne, de l’aider à grandir, de lui faire ressentir que la France était sa patrie, son avenir, et la détourner du « mirage de l’indépendance », comme il se disait à l’époque. Le S.F.J.A. allait donc prendre en charge les jeunes ayant dépassé l’âge de la scolarité obligatoire, et n’étant pas encore entrés dans la vie active.

Vaste programme ! C’étaient des milliers de jeunes qui étaient concernés…

Bien entendu, aucune administration civile n’était en mesure d’assumer cette énorme tâche. Seule l’armée pouvait agir. Un officier général fut nommé directeur du service : le général Gribius, en 1958-1959, et le général Dunoyer de Segonzac, en 1959-1961.

Le S.F.J.A. était rattaché directement au ministère de l’Algérie dont les services se situaient au G.G, l’immeuble de l’ancien « gouvernement général » sur la place rendue célèbre par le « Je vous ai compris ! » du général de Gaulle.

La direction du service de formation des jeunes en Algérie était installée dans une propriété dans les hauts d’Alger, la villa Oued El Kilaï. Celle-ci, dans un très beau parc, présente une magnifique villa mauresque et ses dépendances. 

Le personnel de la direction comprend des militaires des trois armes : officiers d’active, sous-officiers d’active, jeunes officiers affectés, et hommes du rang appelés. Parmi ces militaires appelés, on trouve beaucoup de sursitaires ayant effectué des études longues et de haut niveau, comme Sciences Po ou Normale supérieure.

Le service compte quelques civils contractuels venus de métropole : la secrétaire personnelle du directeur notamment, des spécialistes de l’enseignement ou des activités de jeunes (1); mais l’essentiel de l’effectif du personnel civil est constitué par une vingtaine d’employés recrutés sur place sous contrat. Ce sont des « algériens de souche » pour les trois-quarts, et des « pieds-noirs »(2) pour un quart. Ils occupent des emplois administratifs en tant que secrétaires, dactylographes ou comptables. Tous ces employés civils s’entendent apparemment très bien. Le directeur du personnel civil est un « pied-noir », ancien avocat.

L’organisation du service

A Alger, la direction du service : sous les ordres du général, directeur, un adjoint colonel ancien et chef d’état-major, un Bureau des personnels, un Bureau des études et programmes (rédaction des ouvrages d’enseignement et des programmes d’instruction, suivi des programmes, visite et inspection des centres de formation en Algérie et en métropole), une «Intendance » (un intendant, réserviste servant par contrats de 6 mois renouvelables, assisté par un officier d’intendance (commandant) chef d’un bureau administratif, et un commissaire de l’air moi-même.

Proche du bureau des études et programmes de la direction : l’école des cadres de Guyotville, dans la banlieue d’Alger, qui accueille les officiers appelés à leur affectation dans le service pour une formation adaptée.

Les bureaux départementaux : Dans chaque préfecture, le S.F.J.A. est présent par un bureau dirigé par un officier supérieur ou un capitaine ancien assisté d’une petite équipe administrative et de soutien (secrétaire, comptable, chauffeur) ;

Les centres de formation de jeunes (C.F.J) : ces centres de formation sont rattachés à des unités militaires qui assurent leur soutien et leur protection. Ils sont dirigés par un officier appelé, affecté dans le service, lui-même assisté par des moniteurs formés dans nos centres C.E.M.J.A.

Les activités consistent en l’étude du français et de métiers, dans la mesure où il a été possible de trouver des spécialistes compétents dans l’unité support. Les élèves de C.F.J. sont internes, logés, nourris et habillés.

Les foyers de jeunes et foyers sportifs : ils sont rattachés aux S.A.S. (sections administratives spécialisées (3). Ils regroupent les enfants, filles et garçons séparés. Dans la journée, un goûter très apprécié est servi aux enfants, et c’est sans doute souvent le seul repas pour nombre d’entre eux. A cet effet, une allocation est servie aux S.A.S. par les bureaux départementaux du Service, en fonction de la fréquentation des foyers concernés. Les foyers sont animés par des moniteurs et monitrices de notre service, mais aussi par des militaires appartenant à la S.A.S. et éventuellement aux unités militaires du secteur.

Dans ces foyers, on apprend le français, l’hygiène, la couture et les soins aux bébés pour les filles, ainsi que des rudiments de métiers. On y pratique aussi le sport.

Fin 1960, l’arrivée du commissaire colonel Cognault et l’évolution du service

L’intendant quitte le service car son contrat de 6 mois n’a pas été reconduit. Il est remplacé par le commissaire colonel Cognault qui tenait le poste de directeur du commissariat de la 4ème région aérienne à Aix-en-Provence (4).

Rapidement, le service se transforme : le commissaire Cognault devient le secrétaire général du S.F.J.A. photo

Je deviens l’adjoint au secrétaire général, et mes fonctions sont définies par un texte et s’élargissent : l’adjoint au secrétaire général a connaissance du courrier administratif du service ; il présente au secrétaire général les correspondances et les textes dont celui-ci s’est réservé la signature. Il assure la surveillance administrative des organismes du service, ce qui entraîne de nombreuses missions dans le bled. Il prépare le budget du service, et il est en charge du contentieux du service.

La réforme la plus importante est celle du renforcement du rôle des chefs de bureaux départementaux. Les crédits de fonctionnement de ces bureaux et des organismes du service présents sur leur territoire, leur sont délégués. Les dépenses locales sont désormais payées localement.

Cre col Cognault (à dr.)
Par ailleurs, le Secrétaire général n’hésite pas à quitter la villa Oued el Kilaï pour rencontrer les chefs de bureaux locaux, et visiter centres et foyers.

Le S.F.J.A. dispose désormais d’une meilleure administration, et le service a gagné en efficacité. L’année 1961 s’annonce donc bien.

1961 : les évènements impactent le service

Le 22 avril 1961, quatre généraux en deuxième section, en désaccord avec la politique concernant l’Algérie menée par le gouvernement, prennent le pouvoir à Alger. C’est le putsch d’Alger. Quelques jours après la fin de cette action, le général Dunoyer de Segonzac est relevé de ses fonctions de directeur du S.F.J.A. L’exécutif lui reproche sans doute d’avoir tardé à condamner l’action des insurgés.

Le S.F.J.A. sera sans chef pendant quelque temps. Le 1er octobre 1961, le général (2S) Ferhat Bouldjoua est nommé directeur du service. Pour la presse métropolitaine, c’est « un général musulman », le deuxième qui soit nommé. (Le premier était un colonel commandant un régiment de tirailleurs.) 

Dans cette période, il fallait un certain courage pour prendre le poste de directeur du S.F.J.A., surtout si l’on était musulman. Jusqu’à la fin du Service, le général Bouldjoua fera preuve d’une grande dignité.

Malgré tous ces événements, en 1961 le Service a fonctionné, et fonctionné plutôt mieux.

1962 : le service est dissout

L’année commence mal. C’est la bataille de l’O.A.S. La villa Oued el Kilaï poursuit sa tâche sans la présence d’une grande partie de son personnel civil. Le retour au calme et les retrouvailles des employés de toutes origines donneront lieu à des scènes réconfortantes d’unité et d’amitié.

Dans le même temps, en janvier et février, la saison de préparation du budget est arrivée. Le directeur des finances de la délégation à Alger du ministère de l’Algérie, nous le rappelle. Tous les services sont donc invités à présenter leur projet de budget pour l’année 1963 !!! 

Le S.F.J.A. ne manquera pas à l‘appel, ni les autres services. De nombreuses réunions se tiennent au G.G. Les « mesures nouvelles » sont présentées en nombre, convenablement chiffrées, et accompagnées de notes convaincantes… L’adjoint au secrétaire général fait son travail…

Après les accords d’Evian, le cessez-le-feu intervient le 19 mars 1962. Pour le Service, c’est le début de la fin : l’armée française effectue son retrait. L’unité militaire support, avant de dégager, dissout son centre de formation, et le S.A.S. abandonne son foyer de jeunes… Les pieds-noirs quittent en grand nombre l’Algérie avant l’indépendance.

Le 30 juin 1962, le général Bouldjoua signe l’acte de dissolution du Service.

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En fin 1960, le S.F.J.A. en chiffres :

        - 36 officiers supérieurs

        - 28 officiers subalternes

        - 400 sous-lieutenants du contingent,

        - 342 sous-officiers,

        - 2 856 militaires du rang,

        - 300 centres de formation de jeunes (C.F.J.)

        - 700 foyers de jeunes

        - 100 000 jeunes bénéficiaires de son action.

Il convient d’ajouter les employés civils recrutés sur place sous contrat, qui œuvrent à la direction du service et dans les bureaux départementaux. 

A noter aussi que les officiers et sous-officiers d’active étaient « hors cadre », rattachés au ministère de l’Algérie, et censés être volontaires.



(1) Formés en métropole dans des centres d’entrainement des moniteurs des jeunes en Algérie (C.E.M.J.A.) : à Issoire, Fontenay le Comte, Rivesaltes pour les garçons appelés et volontaires, à Nantes pour les jeunes filles contractuelles (photo);

(2) Désigne les Français d'ascendance européenne installés en Afrique française du Nord jusqu'à l'indépendance des 3 pays concernés ;

(3) Voir notre article du 10 février 2013 « Feuille d'acanthe et képi bleu » par le commissaire lcl (cr) Michel Fropo (promo 55) ;

(4) Voir notre article du 4 janvier 2017