dimanche 26 décembre 2021

Une affaire d'insigne

Parmi ses nombreuses tâches, un intendant, un commissaire des guerres,  un commissaire de l’air ou de la marine se devait - et un commissaire des armées se doit toujours aujourd’hui - « d’exercer un contrôle des actes administratifs et de leurs effets à tous les échelons ». En voici une illustration rapportée par Fernand Grenier, commissaire à l'air au sein du GPRF d'avril à août 1944 (1) à propos de l’intendant général de l’air Perret, premier directeur de l’intendance de l’air puis du commissariat de l’air. 

« J'eus également à connaître d'une grave affaire de corruption découverte l'année  précédente  [1943] par l'intendant de l’air Perret, mon directeur des services d'administration et du budget (2), affaire demeurée sans suite. . . 

En juillet 1942, l'Union métallurgique africaine (U. M. A.) s'était constituée au capital de 500 000 frs et devait jouer un rôle de collaboration étroite avec le groupe Goering pour faciliter et développer la pénétration allemande dans plusieurs entreprises mécaniques nord-africaines. Le débarquement du 8 novembre avait empêché cette combinaison mais I'U. M.A. ne s'était pas dissoute pour autant. Elle avait à sa tête comme directeur général, l'ancien ingénieur principal de la Marine, Miller, sous-directeur, sous Vichy, de la Production Industrielle à Alger. . . 

A l'époque, le général Giraud avait décidé que, pour distinguer les troupes françaises équipées avec l'habillement américain, elles porteraient un insigne de nationalité constitué par un coq gaulois en laiton porté sur Ia coiffure de repos et sur le blouson ou la chemise (3). Or, l'U.M. A. était parvenue à bénéficier, en mal 1943, d’un marché du ministère de la Guerre pour la fourniture de 600 000 insignes au prix de 9 frs, la matière première étant constituée par les douilles d'obus de récupération fournies par les services de l’armée.

L'armée de l'Air avait été amenée pour sa part, un mois plus tard, à signer un marché pour 60 000 insignes, I'U. M. A. étant  seule dépositaire des échantillons types et des matrices de fabrication. Tout en signant le marché, l'intendant de l’air avait réservé une clause de sauvegarde concernant les prix. 

Ses services avaient enquêté auprès de petits industriels et découvert que l'insigne pouvait être facturé à ... 1 fr 50.  Alerté, l'intendant de la Guerre avait décidé, lui aussi, une expertise, ce  que voyant, l’U.M.A., craignant que ses activités ne soient mises à jour, avait décidé brusquement de ramener ses prix de 9 frs à 4 frs. L’enquête avait fait également découvrir que l'U.M. A. n'avait aucun moyen technique de fabriquer les insignes, que néanmoins elle prenait à son compte tous les marchés de l'Etat (pas seulement les insignes), qu'elle tenait sous sa coupe toute une série de sous-traitants à qui elle permettait ou non de travailler : elle contrôlait aussi les affectations spéciales des patrons et des ouvriers dans les entreprises. Bref, un Etat dans l'Etat. 

Le « pot aux roses» découvert,  l’honnêteté de l'intendant Perret avait fait gagner plus de six millions au budget Guerre et Air. Ce n'était pas suffisant. II fallait sanctionner. Tandis que F. Billoux (4) saisissait d'une plainte le ministère de la Justice, je déposais un rapport complet au Gouvernement demandant de placer l'U. M. A. sous séquestre, de faire examiner ses livres, de mener ensuite une action en justice contre ses dirigeants et notamment de déférer en conseil de guerre les officiers compromis, de confisquer tous les bénéfices réalisés et de rechercher les complicités de l'U.M. A. dans les administrations pour sanctionner impitoyablement les défaillances. Ces messieurs de l'U.M. A. furent cependant assez puissants pour faite traîner les choses en longueur - ils avaient des complices partout, y compris un général qui s'était fait leur démarcheur. Quand le gouvernement provisoire s'embarqua pour la France, l’U.M. A. n’avait pas encore été frappée durement comme elle le méritait... »

(1) « C'était ainsi (souvenirs)» (p 239-240) 

(2) Directeur de l’intendance et du budget de l’Armée de l’air-commandement de l'aviation d'Afrique, Alger de novembre 1942 à juin 1944, directeur de l’administration et du budget à l'intendance de l’air, Paris juin à octobre 1944 ; directeur de l’intendance et de l’administration de l’Armée de l’air au ministère de l’air, octobre 1944 à juin 1947 ; directeur du commissariat de l’Armée de l’air, juin 1947 à mars 1950 ; voir notre article : « Histoire du commissariat de l'air » (3/7)  (septembre 2013)

(3) Insigne représentant un " coq gaulois se détachant sur un soleil levant"

(4) Egalement commissaire d’Etat au sein du GPRF