dimanche 18 juillet 2021

Décès du professeur Pierre-André Lecocq

Nous apprenons le décès du professeur Lecocq le 17 juillet 2021 à l’âge de 83 ans, que de nombreuses promotions d’élèves de l’ECA (1973 à 1998) ont connu au moment du concours.

Né en 1938, professeur émérite des universités, avocat et agrégé des facultés de droit, professeur de droit public à l’université de Lille  durant 45 ans, ancien premier vice-président de l’université, ancien expert en administration publique pour l’Union européenne. Ancien directeur de l’institut de recherches du droit de la défense et de la sécurité. Auteur d’une centaine de publications (manuels, ouvrages articles communications de colloques). Directeur de plus de cinquante thèses. Ancien Président de la société des sciences et des arts de Lille. Membre de plus de soixante concours nationaux 

Commandant de compagnie de réserve honoraire, Chevalier de la légion d’Honneur, Chevalier de l’Ordre National du Mérite, Officier des Palmes Académiques, Officier du Mérite Maritime.

Message

"Le Professeur Pierre-André Lecocq est décédé le samedi 17 juillet au petit matin, entouré de l’affection de ses enfants, dans le calme, la paix et la sérénité.

Il avait été un membre presque indéboulonnable du jury du concours externe des élèves commissaires (on dit qu’il fut contraint de cesser sa présence au jury sous la pression du commissariat de l’armée de Terre… ce qui me permit de l’y remplacer de 1998 à 2005), d’abord du jury du concours Marine en compagnie d’un de ses maîtres en droit international, le Professeur Leroy ; puis du concours commun Marine-Air, puis enfin du concours commun Marine-Air-Terre, et ceci de 1973 à 1998. 

Il égailla de son humour, de son immense savoir, de son extrême maitrise des jurys de concours (il fallait ajuster les dates des concours externes des commissaires avec celles des inspecteurs des Affaires Maritimes car il siégeait dans les deux, ce qui lui valut d’être fait chevalier, puis officier du Mérite Maritime), mais aussi de sa très grande humanité, les longues journées des grands oraux du concours. 

A un candidat – qui ne fut pas reçu – à qui le commissaire général présidant le concours avait demandé : « A quoi passez-vous vos temps libres ? », le candidat - voulant impressionner le jury - répondit : « J’aime lire les Pères de l’Eglise ». Sans se démonter, le commissaire général répliqua : « Quel auteur en particulier ?», réponse : « Saint Augustin ». Alors, une voix dans le jury s’éleva, l’air de ne pas y toucher :  « Que signifie selon vous la formule : Dilige, et quod vis fac » ? Face à la méconnaissance du candidat, Pierre Lecocq, car c’était lui, répliqua, « Monsieur, c’est regrettable car c’est l’un des plus célèbres aphorismes de Saint Augustin qui signifie « Aime et fais ce que tu veux »  et suggère, dans une perspective éthique chrétienne, que si l’amour (l'agapé) pour l’autre est authentique, désintéressé et total, la volonté (humaine) fera nécessairement ce qu’il y a de meilleur (ce qui ne veut pas dire « sans erreur ») ». Tel était pris qui croyait prendre.

Pierre Lecocq était aussi un épicurien, qui ne concevait pas le travail scientifique et sérieux sans des moments de détente et de convivialité. C’est donc lui qui inaugura la tradition selon laquelle les membres « civils » du jury invitaient en fin de période du concours les membres « militaires » et leurs conjointes à un diner de clôture. Nous avons essayé de faire perdurer cette tradition, au moins jusqu’à mon départ du jury en 2005.

Je ne peux terminer ce trop bref hommage sans vous inviter, selon une formule qu’il affectionnait, à une dernière manifestation d’amitié à l’égard de Pierre, lequel n’aurait pas aimé qu’une réunion ne se sépare sans une note de bonne humeur et de joie. Alors pour reprendre une de ses formules favorites, permettez-moi de conclure par cette formule qu’il aimait emprunter à Horace : « Nunc est bibendum », et maintenant buvons à sa mémoire !"

Pr. Vincent Cattoir-Jonville, ancien directeur des études de l’IHEDN, directeur du master droit public, parcours "Droit et politiques de défense et de sécurité" de l’Université de Lille.

Avec le cre gal Patricia Costa, présidente de l'AMICAA

Présent au colloque de l’AMICAA à Lille en novembre 2018

Extrait de son rapport de synthèse

« C’est un honneur de m’exprimer devant cet aréopage aux multiples étoiles et personnalités compétentes. Qu’il me soit permis de saluer les anciens commissaires de l’Armée de l’air, les actuels et les futurs commissaires des armées présents à ce beau colloque. 

La richesse des débats a été telle que je serai tenté d’adopter l’attitude de Candide, consistant à affirmer que tout ayant été dit, le rapporteur de synthèse n’a rien à ajouter, et que nous pouvons nous quitter pour aller cultiver notre jardin. Mais il est de mon devoir d’extirper de la substance et de l’articulation des communications une synthèse limpide, si c’est possible, de propos aussi riches, aussi illustrés, aussi animés et aussi exhaustifs. J’y suis aidé par le fait que si je ne suis pas commissaire de l’Armée de l’air – je ne suis que commandant d’infanterie de réserve honoraire  – j’ai, en cumulant les jours de présence aux concours, passé plus de cinq cents jours au service du recrutement des commissaires des trois armées. J’ai donc connu de multiples directeurs centraux, inspecteurs généraux, et commissaires de base, notamment au sein du commissariat de l’Armée de l’air où j’ai noué des relations amicales et fructueuses avec les commissaires généraux FERLICOT, THUREL, LOUET, GUILLEMARD, ROLLAND, ARIN et ANDRIEUX,  en 27 années de participations aux épreuves écrites et orales des concours, de 1973 à 1998. 

Quelques enseignements au sein des trois écoles des commissariats - à l’époque - et la découverte des services centraux mais surtout des services régionaux et des bases, lors des remarquables voyages du jury organisés par les directions centrales, m’ont permis de mesurer la spécificité et la grande qualité du corps du commissariat de l’air. Fort de cette expérience, j’ai forgé dans mon esprit quelques éléments de synthèse que je vais vous livrer en cette courte symphonie inachevée, en deux mouvements, l’allegro et l’andante. »

« LA MULTIPLE SPLENDEUR DU COMMISSARIAT DE L’AIR

Si l’on fait une gerbe liée de l’ensemble des communications et discussions entendues, il en ressort de façon claire que le commissaire était formé à la multiplicité des missions et à leur polyvalence, non seulement au sein des structures centrales mais aussi au niveau crucial de la base aérienne où les missions étaient personnellement confiées au commissaire de base et à son équipe. Il était un personnage incontournable dans l’administration de l’armée de l’air. Gérant et garant, administrateur, juriste de terrain et conseil juridique, manager, financier, logisticien, expert, informaticien, directeur des ressources humaines, supérieur hiérarchique doté de pouvoirs de sanction, cuisinier et père nourricier, telles étaient les facettes de cet officier polyvalent. 

La quotidienneté de l’accomplissement de ces multiples tâches se faisait en liaison et en harmonie avec le commandant de base, et en lien avec les services régionaux et centraux, contribuant à l’unité et à l’harmonie du fonctionnement de l’ensemble du commissariat de l’air, et plus largement de l’Armée de l’air, et à la réalisation de leurs objectifs. […]

Pour être capable de revêtir cette multiple splendeur professionnelle, le commissaire de base est entré - jusqu’en 2012 date du dernier concours sous cette appellation -  dans le corps des commissaires de l’air après un concours de haut niveau, permettant heureusement d’accueillir - depuis 1977  - sans autres limitations que celle de leurs talents, les candidats au concours, alors que j’avais connu durant des années le caractère plus morne d’un recrutement purement masculin. Et j’ai connu 12 ans de concours « air-marine » avant l’élargissement du concours au commissariat de l’armée de terre en 1984, cette triple alliance n’ayant pas toujours été placée sous le sceau de l’entente cordiale car elle gommait en puissance les spécificités des commissaires de la marine et de l’air, prélude aux réformes actuelles ayant entrainé la  mort du commissariat de l’air es-qualités.»

« LA FORMATION A L’ECA

La formation était complète et variée. Le commissaire de l’air était initié à l’art de la gestion au sein des universités et des entreprises, outre l’essentiel de sa formation à l’école du commissariat de Salon-de-Provence, au contact de ses camarades aviateurs. Il devient l’antithèse de l’homme sans qualités , recevant une formation adaptant ses connaissances juridiques ou économiques à ses missions, et de multiples formations autres en vue de faire éclore sa réactivité de généraliste compétent, avant qu’au cours de la carrière, une partie se spécialise en dehors des bases, soit dans les services régionaux, soit dans les services centraux, soit dans des organismes extérieurs nationaux ou internationaux (ONU, OTAN, ambassades, entreprises) pour assurer tout à la fois le rayonnement du corps et de l’armée de l’air française. 

Le fonctionnement du système était un « panaché » de la déconcentration conforme au principe hiérarchique sacré chez les militaires, et de la décentralisation, en raison de l’autonomie d’action confiée au commissaire de base pour adapter ses missions aux réalités locales. Il s’agissait d’une méthode particulière d’administration qui donnait à l’action souplesse, réactivité et capacité d’évolution, de sorte que l’on pourrait dans ce cas du commissariat de l’air, enrichir la formule « specialia generalibus derogant et adjuvant ».

Jury 1995 (3ème à droite)

« CONCLUSION 

On a mesuré au cours des travaux de ce colloque combien les commissaires de l’air constituaient des cadres supérieurs d’un service public, exerçant judicieusement des fonctions de contrôle et de conseil, d’évaluation, apprises en école, en formation et surtout sur le terrain, ce qui permet  un passage harmonieux de l’évaluation à l’action, en évitant de faire du commissariat de l’air une vaste machine à fabriquer du corporatisme et de la rigidité. Il y a, me semble-t-il, dans l’institution et par l’institution  la recherche de l’idéal Kantien décrit dans la critique de la raison pratique, établissant un lien entre la maxime de l’action et la responsabilité morale dans l’exercice des missions. 

Toutefois, à l’issue de ces réflexions, une certaine angoisse m’étreint – le commissariat de l’air est mort ! De profondis clemavi ad te domine ! |…] 

Si, comme l’a brillement développé Vincent Cattoir-Jonville, l’administration du commissariat de l’air s’est intégrée comme une institution originale et structurellement spécifique au sein de l’armée de l’air, ses valeurs perdureront. »

(Extraits des Actes du colloque « L’administration militaire- l’exemple du commissariat de l’air 1942-2009 » ; université de Lille- novembre 2018 ;  encore disponibles auprès de l’AMICAA - amicaa.air@gmail.com)

Un dernier article inédit paraitra chez l'Harmatan fin 2021 sous le titre "Arma cedat togae - Mélanges en l'honneur du Professeur Jacques ABEN"  de Pierre Lecocq et portant sur le Pr Aben universitaire et commissaire des armées, réalisé sous la direction du Pr. Vincent CATTOIR-JONVILLE .