Commençons d’abord par un court extrait du livre, qui concerne le monde des commissaires de l’air.
Un autre détail…
« Cette Armée de l'air, forte en gueule, familière et amicale, a survécu quelques années à l'arrivée de l'avion à réaction. Mais l'irruption du Mirage IV, le bombardier nucléaire, a tout modifié. Elle est devenue extrêmement sérieuse. […]
Un autre détail a contribué, de façon discrète mais décisive, au changement d'ambiance de l'Armée de l'air. C'est le self-service dans les mess. Dans l'Armée de l'air de mes débuts, le repas était une sorte de service. Comme le disait le brave Rabelais, il s'agissait plutôt d'un service du vin que d'un service divin. Mais c'était tout comme !
Certains vétérans de la guerre, se souvenant sans doute des horribles restrictions qu'ils avaient dû subir, y établissaient leurs postes de commandement.
Et l'ami Banban, ancien du « Normandie Niémen », y exerçait une sorte de royauté. Il installait sur une chaise quatre-vingt-dix kilos de muscles à peine enrobés, poussait son ventre contre la table, saisissait, tels des sceptres, son couteau et sa fourchette et il était prêt au combat. Il nous arriva un jour un jeune serveur, tout juste affecté au mess et qui n'avait sans doute pas été briefé sur les rites et les usages. Banban, qui venait de tomber en panne de carburant, lui commanda avec son abominable accent pied-noir: «Petit! Un rosé!». Le serveur, déférent, lui apporta un verre de rosé. On craignit un instant pour la santé de Banban. Il passa du rouge à la pâleur mortelle, puis il revint au rouge. Il haletait. Puis il explosa: « À Moa ! Me faire ça à Moa ! Un verre de rosé. Un tout petit verre de rosé ! Mais la carafe, petit, portes-moi la carafe ! La mort de tes ossss!»
Mais il faut quand même dire que le rosé n'était pas forcément du goût de tout le monde. Dans les régions du Nord-Est, il en est qui préféraient la bière. Je n'ai jamais connu les noms de ces deux capitaines, anciens FFI, qui officiaient au mess de Metz.
Il y avait un grand maigre et un petit gros. Dès qu'il les voyait arriver, alors même qu'ils passaient la porte, le serveur du bar leur faisait couler deux verres de bière.
C'était une bière tchèque, fabriquée dans un village nommé Plsn en tchèque, Pilsen en allemand, et Pils en français. Il y avait de la bière Pils et de la bière Oberpils (plus alcoolisée, aber ça veut dire « au-dessus »). C'étaient également les surnoms donnés à nos deux collègues. Le grand maigre s'appelait Oberpils, et le petit gros Pils tout court.
Les repas en commun n'étaient pas inutiles. C'est au cours de ces réunions quotidiennes que se réglaient la plupart des problèmes et que s'élaboraient les alchimies subtiles de l'esprit de corps. Puis on a créé les mess réservés aux personnels navigants. Plus d'alcool, donc moins d'ambiance. Et les heures réservées au repas sont allées diminuant. Et puis, coup fatal, on a instauré des self-services et il est même des mess où l'on mange debout. Ça, c'est la fin de tout ! »(2)
Un mot reçu du général Salini
« Bonne année 2020 à tous les commissaires. J'ai conservé d'eux le meilleur souvenir. L'administration de l'Armée de l'Air m'a toujours paru un modèle. Elle marchait tellement bien qu'on ne s'en rendait même pas compte. Je n'ai pleinement mesuré son efficacité que le jour où j'en ai été privé.
Pour la petite histoire, en mai 68 (3), les banques étaient fermées, la poste ne marchait plus, rien ne fonctionnait, l'administration de l'Armée de l'Air s'est débrouillée pour verser une avance de solde en liquide à tous ses membres et, pour ceux qui étaient en déplacement ou en opérations, elle a poussé le soin jusqu'à faire porter de l'argent à domicile aux bobonnes (4) abandonnées.
Pour ce qui est de mon livre, je croyais n'avoir écrit que des histoires drôles. Lorsque je l'ai eu terminé, je me suis aperçu que c'était aussi une histoire d'amour. Pour l'Armée de l'Air et pour les copains. »
Jean Paul Salini
(1) Les Folies de l’escadrille-Éditions JPO
(2) Précision sur l’installation des self-services : « En 1976, le chef d’état-major de l’armée de l’air, le général Saint Criq, décide, dans une directive qui marque le début de la restauration moderne dans l’armée de l’air, de ne plus consacrer d’appelés à des « tâches ancillaires ». L’objectif est – déjà – de recentrer les militaires sur leur cœur de métier : la protection et la défense des bases aériennes (la « PRODEF »), tout en assurant une meilleure performance économique. Il demande au commissariat de l’air de trouver des solutions imaginatives afin de faire accéder le plus rapidement possible l’armée de l’air à un système de restauration n'ayant rien à envier aux meilleures réalisations du secteur civil sur le plan de la rentabilité. Il faut également maintenir la tradition de qualité qui a toujours été celle des mess de l’armée de l’air.
Suite à la "directive Saint Criq", le « service des subsistances » des bases aériennes est placé sous l’autorité du commissaire de base. Sur chaque base aérienne est créé un organisme unique, le service de restauration et d’hôtellerie (SRH). Sur le plan des processus de distribution, le libre-service est systématisé. » (Commissaire en chef de 1ère classe (CR) Catherine Bournizien)
(3) Voir aussi nos articles de mai 2018 : « Mai 1968 : la solde en hélico » (cre gal Barbaroux) et « Mai 68 : le commissariat de l’air est opérationnel » (cre gal Jourdren)
(4) NDLR : Terme délicat (d’origine belge selon dicocitations.lemonde.fr : grand-mère, femme âgée, mémère), en usage en France au 20ème siècle chez certains militaires pour désigner leur épouse active et attentionnée (ne s’employait pas au masculin pour désigner le mari d’une femme militaire mais fut utilisé une fois par un chanteur belge : « J’vous ai apporté des bobons »)