jeudi 4 juillet 2019

Mémoires d’un aviateur dans un French squadron du Bomber command

Le soutien des combattants dans la RAF pendant la guerre

Contrairement aux Poilus de la Grande Guerre, qui ont toujours abordé dans leurs mémoires leurs terribles conditions de vie, le ravitaillement, le courrier, etc.., plus rares sont les combattants de la seconde guerre mondiale qui ont évoqué dans leurs écrits la vie quotidienne et toutes les questions relatives au « soutien de l’homme », selon l’expression en usage aujourd’hui. Dans le livre « Les foudres du ciel* », cet aspect des choses est abordé, par petites touches, par le général Marcel Noirot (1904-1984), ce qui ne peut manquer d’intéresser les membres de l’AMICAA.

Ancien chasseur passé navigateur dans le bombardement par désir de continuer la lutte après l’armistice, non pas dans les FAFL mais dans les rangs du Bomber Command de la RAF, le général Noirot décrit les spécificités du soutien assuré par les britanniques – souvent en comparaison de celui de l’Armée de l’air qu’il a connu avant-guerre – mais évoque aussi certains aspects plus franco-français (solde, avancement) où il égratigne l’intendant de l’air en poste à Londres et laisse entrevoir les tensions existant entre l’état-major londonien (surnommé le « ghetto ») et les aviateurs combattant dans les « French squadrons », notamment les groupes Guyenne et Tunisie sur quadrimoteurs Halifax basés à Elvington.


L’équipe d’un Halifax (coll. Noirot)
Voici quelques courts extraits de ce livre, écrit d’une plume alerte et non sans humour, dont la lecture est recommandée cet été (ouvrage encore disponible sur les sites de vente de livres).


La nourriture
« Les heures s'écoulaient lentement à West-Kirby, où nous partagions notre temps entre les randonnées à vélo, les cinémas de Liverpool et les repas au restaurant, pour nous changer du mess dont les menus étaient invariablement composés de « spam » (sorte de pâté de soja), de viande bouillie puis rôtie et, alternativement, de « cabbages and potatoes », « mashed potatoes » ou « green peas » (pommes aux choux, purée de patates ou petits pois). La cuisine anglaise nous décevait par sa monotonie et sa fadeur car la préparation des aliments n'obéit pas à des règles gastronomiques mais essentiellement diététiques; les denrées sont pourtant excellentes et la viande de première qualité mais, une fois cuites, elles n'ont plus de goût et il faut force sauces pour arriver à leur donner de la saveur; en gros, l'art (?) culinaire britannique consiste à rendre immangeable ce qui est bon naturellement; les Anglais le reconnaissent d'ailleurs volontiers si on en juge par un de leurs dictons : « Dieu fournit la viande et le Diable la fait cuire ». C'est dire combien nous souffrions, nous autres Français, habitués aux bons petits plats mijotés. Les meilleurs repas étaient le breakfast où nous avions des œufs au bacon et des poissons aux frites qui étaient acceptables, ainsi que le tea of five o'clock avec son assortiment de gâteaux et de cakes dont les Anglais raffolent, avec raison d'ailleurs car leur pâtisserie est excellente. »
Les cuisiniers Gonzales et Segura  (Ducaphil et blog halifax346et347)
Les « bureaucrates »
« Nous évitions par contre les bureaucrates, presque tous des réservistes qui étaient venus opportunément et occasionnellement dans l'aviation pour s'y planquer dès leur arrivée en Grande-Bretagne, en sachant qu'ils étaient inaptes au personnel navigant et qu'ils ne seraient pas versés d'office dans une autre arme, où la sélection du personnel était moins difficile et où ils auraient par conséquent couru des risques plus grands que les quelques éclaboussures de bombardements qui constituaient le lot quotidien de tous ceux résidant à Londres, qu'ils soient civils ou militaires. Ils faisaient un peu la mouche du coche par leur excès de zèle dans leur prosélytisme excessif et ils ne cessaient de nous baratiner pour nous inciter à rallier les F.A.F.L.; certains exagéraient nettement, tel celui qui était venu faire du racolage jusque « chez nous » à West-Kirby, presque aussitôt après notre débarquement; bien que jeune et apparemment sain et apte à voler, il n'avait pas la moindre idée de ce qu'était une mission. [..]
Loin de nous convaincre, ses arguments nous ont plutôt écœurés et nous ne le lui avons pas envoyé dire, avec d'autant plus de vigueur que ses contacts étaient toujours personnels et discrets. Certains d'entre nous n'ont pas mâché leurs mots et il nous en a voulu; il s'en est même vengé car il devait, malgré son jeune âge et son petit grade, avoir quelque influence au « ghetto », si on en juge par les tracasseries administratives et financières dont nous avons été l'objet aussitôt après sa visite et qui en ont mis plus d'un dans l'embarras. »

La solde
Identity card (coll. Noirot)
« Nous avions pourtant de multiples raisons d'accepter ses propositions génératrices d'une prime de fidélité, ne serait-ce que pour améliorer notre situation matérielle qui n'était pas fameuse, surtout pour ceux qui étaient mariés et qui avaient souscrit, pour leur famille, d'importantes délégations de solde qui réduisaient sensiblement le reliquat de leurs mensualités. Or, en Angleterre, nous étions payés dans les mêmes conditions que nos camarades britanniques dont le grade était analogue au nôtre; toutefois, pour eux, la solde de guerre était calculée uniquement sur le grade, qu'ils soient mariés ou célibataires, et les familles percevaient de leur côté les allocations correspondant à leurs charges; la R.A.F. ne faisait pas de régime particulier pour nous et elle nous payait au taux général des célibataires, mais notre intendance opérait quand même les retenues pour délégation de solde.

Ces anomalies ne nous sont toutefois pas apparues immédiatement alors que nous avons été mis en état de « mendicité » dès notre arrivée par une faute incompréhensible de notre intendance, dont « notre » propagandiste éconduit devait vraisemblablement être un « gros bonnet ». Notre première solde perçue à West-Kirby a en effet été amputée du prélèvement familial, contrairement à ce qui nous avait été annoncé avant notre départ d'Alger, lorsque nous avions été invités à souscrire nos délégations de solde; nous avons évidemment protesté mais, loin de nous donner satisfaction, l'intendance a entrepris de poursuivre impitoyablement la régularisation des arriérés, si bien que, fin décembre 1943, ceux qui s'étaient un peu trop privés pour leur famille, ne perçurent pratiquement rien et ils durent emprunter aux célibataires qui vivaient dans l'aisance, pour payer les extras obligatoires du mess. Le commandant Charles fut immédiatement mis au courant par mes soins de cette situation invraisemblable et il alerta le général Valin, chef des F.A.F.L., qui, non seulement fit éponger le passé, mais fit rétablir pour l'avenir nos droits tels que les prévoyait la R.A.F. : à égalité de grade, égalité de solde.

L'intendance s'inclina car, si elle prévoit rarement, elle suit toujours, mais elle refusa d'aller plus loin dans les concessions et elle s'opposa à étendre aux officiers français les facilités employées pour payer les cadres anglais. »

Déroulement de carrière des personnels d’active dans les French squadrons

« Nous subissions un préjudice considérable et durable pour le déroulement normal de notre carrière car nous étions sortis de notre milieu précédent (en Afrique du Nord) sans pour autant être admis dans le suivant; nos anciens chefs nous avaient perdus et ils ne nous connaissaient plus, mais les nouveaux (à Londres) nous ignoraient et ils ne nous avaient pas encore acceptés; ils nous traitaient toujours comme des « attentistes » et ils nous faisaient faire antichambre avant de nous intégrer dans leurs rangs. Nous étions « assis entre deux chaises » et notre avancement a pâti de cette situation équivoque dont, par corrélation, ont profité nos concurrents maintenus en Afrique où ils continuaient à bénéficier d'un régime privilégié que rien ne justifiait. »

Les services à vocation administrative

« S'ajoutaient évidemment tous ceux à vocation administrative et à caractère opérationnel qui avaient, eux aussi, une importance vitale, puisque ils concernent tout ce qui est indispensable pour que le personnel combattant puisse remplir sa mission dans les meilleures conditions. Ces services comprenaient tant l'administration et la gestion de tout le personnel vivant sur la station que son alimentation, son logement, son équipement, son transport, sa santé physique et morale, ainsi que la protection des installations et tout ce qui a trait directement aux opérations proprement dites.[..]

Nous n'étions pas intégrés, et encore moins inféodés, mais seulement amalgamés à la R.A.F.; cette situation avait un caractère organique et provisoire, mais non individuel et définitif; nous nous refusions à être des mercenaires et nous nous efforcions de maintenir un semblant d'autonomie pour réserver l'avenir, en vue de notre retour ultérieur au sein des F.A.F. dont nous n'étions que détachés et dont nous relevions statutairement. »

Avant le départ en mission
Le préavis (appel au tannoy ou réveil par planton) déclenchait aussitôt toute une série de mesures parfaitement orchestrées et minutées, dont la mise au point avait fait l'objet d'une très longue expérimentation. Vingt minutes après le « top » de départ, le station commander devait se trouver avec ses adjoints tactiques et techniques, au P.C. opérationnel pour y attendre les ordres; les cuisiniers rejoignaient immédiatement leurs fourneaux au sergeant's mess pour y préparer les repas du personnel volant et rampant concerné par la mission; la NAAFI (cantine ambulante) prévoyait de son côté les lots de récipients isolants et de vivres spéciaux que nous emportions à bord;

Halifax en montée vers le niveau de vol (coll Noirot)
Chaque lot était individuel, voire personnel tout au moins pour la partie qui renfermait nos fameuses photos d'identité prises à « battle school », et il contenait tout ce qui nous serait nécessaire en cas de parachutage chez l'ennemi, pour vivre isolé pendant une bonne quinzaine de jours sans avoir besoin de l’assistance de qui que ce soit, à savoir des vivres et de l'argent ; la trousse d'évasion (escape box) comprenait sous un volume extrêmement réduit, aux dimensions d’un livre de poche, d'abord des vivres concentrés à raison d'un comprimé de la grosseur d'un morceau de sucre pour un repas complet (énergétiquement parlant évidemment car la valeur gastronomique laissait plutôt à désirer), des bonbons, du chewing gum pour calmer la faim et maintenir la forme tout en provoquant la salivation indispensable à la digestion des repas artificiels, des cartes routières imprimées sur soie et faisant aussi office de serviettes de toilette, une boussole miniaturisée sous l'aspect d'un bouton de culotte ou d'un fume-cigarettes, un nécessaire à raser complet pour que le fugitif ne paraisse pas avoir l’air d’un vagabond, du fil et des aiguilles pour réparer un accroc à un vêtement, du papier hygiénique, des pansements, du savon. Une autre pochette (special pocket) contenait, outre nos photos d'identité limitées en la circonstance à celles qui nous serviraient dans les pays que nous aurions à survoler, de l'argent représentant une centaine de mille francs pour chacun de ces mêmes pays où nous aurions à les utiliser et répartis en petites coupures de différentes valeurs pour nous permettre de faire l'appoint sans avoir à attendre la monnaie. »

 Les équipements spéciaux pour le vol


Prêt à partir (coll. Noirot)
« Les équipages vont s'habiller au vestiaire opérationnel et, malgré sa banalité, c'est une affaire qui a son importance; nous sommes en effet très frileux notamment en hiver car, quand il fait -7° à - 8° dehors au sol, la température en vol descend jusqu'à - 30° ou - 40° et parfois même davantage, comme les 15-16 janvier 1945 sur Magdebourg où il faisait - 57° à 25000 pieds; nous apprécions donc particulièrement les sous-vêtements spéciaux dont nous sommes dotés et que nous appelons nos « Serge Lifar », tellement ils nous collent à la peau et nous donnent l'aspect de danseurs de ballets; nous n'avons toutefois pas l'intention d'aller nous exhiber à l'Opéra, surtout quand nous avons complété notre accoutrement par les cuissards en grosse laine bien chaude que nous recouvrons de nos bottes de vol, dont la tige détachable peut être facilement décousue au moyen d'un canif qui y est incorporé et qui sont ainsi transformées en chaussures basses pour pouvoir passer inaperçues en cas de besoin. Tels que nous sommes, engoncés dans des battle-dress de taille appropriée pour pouvoir tenir tous nos « dessous », avec nos gants doubles de moufle en laine, nos cagoules en soie, nos serre-tête équipés d'écouteurs, notre collerette chaude, le masque inhalateur à oxygène, dont le groin est prolongé par le micro qui en fait partie, sanglés dans nos harnais de parachutes, nos « mae-wests » (gilets flottants), nous ne sommes certes pas élégants, mais notre silhouette de « gros nounours » nous rassure quant aux intempéries que nous devrons supporter.
  …
Les Kings Regulations étaient intransigeantes pour les pertes de matériels, qui causent souvent plus de tracas que les pertes en hommes. C'est ainsi que le lieutenant Viès (descendu par la suite sur Bochum le 4 novembre 1944), qui avait oublié son parachute dans son avion en rentrant d'un vol de nuit et qui n'a pas pu le retrouver pour le rendre au magasin, a dû le payer de ses deniers; nous nous sommes évidemment cotisés pour l'y aider, sinon sa maigre solde y aurait passé entièrement pendant au moins trois mois; de même, le sous-lieutenant Clairefond, dont l'antenne pendante s'était rompue et détachée de l'appareil au cours d'un corkscrew**, a dû la payer aussi malgré tous ses arguments, explications et justifications. Dans les deux cas, le second surtout, l'effect officer (officier du matériel) a parfaitement admis des excuses mais, administrativement parlant, il demeurait implacable, car toute perte non provoquée par l'intervention de l'ennemi devait être imputée à son responsable; il était vraiment « sorry » et, sincèrement, il aurait aimé arranger l'affaire mais il n'y pouvait rien, sinon encaisser le prix selon le barème établi. Ce n'était heureusement pas très cher et, pour nous qui étions habitués à la réglementation française qui exige des « bons de perte » en multiples exemplaires, dont le coût des paperasses et du travail dépasse parfois largement le montant de la perte subie, nous trouvions ce procédé rigoureux mais simple et pratique en soi.

En revanche, tout matériel perdu en opération et sauvé ou rapporté appartient à son détenteur qui peut le garder en toute propriété ou le rendre contre remboursement du montant à sa valeur du catalogue. C'est ce qui est arrivé au sergent-chef Soury-Lavergne; seul rescapé de son équipage descendu sur Düsseldorf dans la nuit du 2 au 3 novembre 1944, il était de retour à son escadrille le 13, sans avoir, au cours de ses onze jours de pérégrinations en Allemagne, rencontré de difficultés majeures, même pour franchir la ligne Siegfried et traverser la Meuse. Il avait gardé sa montre qu'il a rapportée et elle lui a été payée cash. »

*Éd France-Empire 1972, 420 pages













Sur le même sujet : Louis Germain  "Mémoires d'un incendiaire" (Julliard), Jules Roy, notamment « Retour de l’enfer » (Gallimard)
**Effet de tire-bouchon : Flux d’air généré par les hélices, suite à une remise de gaz brutale, impactant la dérive et causant une rotation de l’avion vers la gauche
(Les intertitres sont de la rédaction)