Nous avons déjà présenté en septembre 2014 l’article de notre camarade Marc Del Fabbro (ECA 72 Madon), à l'époque commissaire commandant, sur son expérience d'adjoint commissariat au commandant des éléments français au Tchad, le colonel Pissochet, d’avril à septembre 1986, arrivé sur place seulement deux mois après le déclenchement de l’opération Épervier.
Nous publions un extrait de cet article, portant sur les difficultés de ravitaillement des denrées pour le mess. La description est factuelle, sans langue de bois, mais non dénuée d’humour.
Nos jeunes camarades qui, depuis, ont tenu des postes équivalents dans des opérations extérieures, le plus souvent sous mandat de l'ONU et en coopération internationale, pourront juger des progrès réalisés en matière de restauration en OPEX par le commissariat de l’air puis par le service du commissariat des armées.
L’achat et la conservation des denrées
« Le problème immédiat qui se posait avec le plus d'acuité était celui de la restauration et de la conservation des denrées. Il fallait servir chaque jour un millier de petits déjeuners, de déjeuners et de dîners. En outre, compte tenu des horaires de travail, un casse-croûte devait être distribué à une très grande partie du personnel. Enfin quatre à cinq mille bouteilles d'eau devaient être distribuées chaque jour compte tenu de la chaleur (les militaires du génie de l'air consommaient au minimum six bouteilles par jour et par personne...). Le pain était fabriqué sur place par un boulanger tchadien qui avait construit un four en terre. Le pain, très bon, était cuit sur des tôles ondulées et il fallait fournir un minimum de 400 kg de farine/jour.
La matière première arrivait par plusieurs circuits :
- des achats locaux aux producteurs Tchadiens : achats en petites quantités et de qualité très inégale (viande de bœuf à bosse, poulets (dits poulets bicyclettes), salades... Achats indispensables, plus pour faire tourner l'économie locale que par véritable nécessité, compte tenu des faibles quantités ;
- des achats en France, amenés par bateau à Douala puis par camion à travers le Cameroun (1700 km de mauvaises routes et de pistes inondables six mois sur douze) Délai entre commande et arrivée : environ 6 semaines. Concernait surtout le boîtage, la farine, l'épicerie, l'eau ;
- des achats au Cameroun, à un fournisseur devenu traditionnel lors des opérations précédentes, pour les légumes et fruits, pris sur place à Ngaoundere par rotation d'un Transall. Qualité très insuffisante, beaucoup de déchets, prix élevés. Délai entre commande et arrivée sur place : 10 jours ;
- des achats aux commerçants libanais établis au Tchad, rapides mais à des prix stratosphériques.
Marché de poissons à Douala |
Le circuit de ravitaillement par bateau/camion à travers le Cameroun fut bien entendu maintenu, devint régulier et planifié. Ce circuit économique en prix permettait de ravitailler les grosses quantités d'eau, de farine, tout le boîtage et l'épicerie.
Début mai, R. et F. me firent constater que le fournisseur de Ngaounderé, un exploitant agricole français expatrié qui, à chaque opération française au Tchad, se fabriquait des génitoires en métal précieux et avait tendance à considérer l'armée française comme une vache à lait, passait les bornes : sa livraison était d'une qualité inadmissible : légumes flétris, fruits tachés... bref, la moitié à fiche en l'air.
Mission en Transall |
Le meilleur restait à venir. La veille de son départ, [mon prédécesseur] avait pu signer avec Air Afrique le contrat qu'il avait négocié. Cela nous garantissait, chaque semaine, un minimum de 10 tonnes sur un DC8 cargo à un prix intéressant (de l'ordre de 15 F/kg s'il m'en souvient bien). Mais avant de mettre en œuvre ce contrat, il nous fallait une capacité et froid positif et négatif bien supérieure à celle que nous possédions. Le commissariat nous avait envoyé deux frigoristes. Ces sous-officiers se mirent au travail et tout le vieux matériel Manta (1) demeuré sur place fut progressivement remis en état. Un atelier de préparation froide fut créé grâce à un groupe de réfrigération et nous eûmes, en quelques semaines, une capacité froide dont nous n'aurions pas osé rêver à mon arrivée.
Création d'un self |
Le contrat passé avec Air Afrique était, il faut le dire, une idée de génie de mon prédécesseur. Elle contribua de manière déterminante à la normalisation de la situation du service de restauration. Le succès de cette initiative fit taire les critiques attendues, cependant, son caractère novateur suscita bien des réticences.
Le mess |
Inspection du CEMAA, général Capillon |
Si je n'avais eu conscience qu'il n'était pas possible de violer impunément davantage les idées admises depuis des lustres, j'aurais volontiers affrété la totalité de l'avion et fait transporter par la compagnie civile non seulement les denrées alimentaires, mais aussi tout le matériel et l'habillement... Cela nous aurait considérablement facilité les choses... et serait revenu infiniment moins cher au contribuable que le transport par Transall. Mais enfin, c'était déjà très bien comme cela. »
Illustrations noir et blanc : SIRPA Air , couleur : auteur
Lire l’intégralité de l’article sur internet : « Les débuts d'Épervier - Histoires d'aviateurs » (aviateurs.e-monsite.com/pages/1946-et-annees-suivantes/les-debuts-d-epervier.html)
(1) Opération précédente en 1983-84