vendredi 1 décembre 2017

L’éphémère ministère de l’air et le site de Balard

CRC1 Pascal Dupont (ECA 85)

Retour historique sur les appellations de « ministère de l’air » et de « cité de l’air » couramment employées par des générations de commissaires de l’air affectés à la direction centrale du commissariat de l’air à Balard. Pour l’information des jeunes commissaires des armées, quel que soit leur milieu, puisque la DCSCA est implantée aujourd’hui au sein de cette « Cité de l’air ».

L’idée de regrouper les administrations centrales civiles et militaires propres à l’aéronautique est en vogue dans  l’entre-deux guerres. Le Royaume-Uni se dote d’un Air Ministry dès 1918 qui restera actif jusqu’en 1964 et la France d’un ministère de l’air en 1928. Il en va de même en Allemagne et en Italie mais les structures adoptées se confondent avec les régimes nazi et fasciste et disparaissent avec eux.
Le modèle adopté en France devient un gage d’efficacité pour les pouvoirs publics. Il a permis  de coordonner deux activités régaliennes en plein essor - l’aéronautique militaire et l’aviation civile - et d’entériner la création de l’armée de l’air.
Toutefois, si ce modèle ne survit pas au second conflit mondial, le site de Balard sur lequel le ministère de l’air de la 3ème Républiques s’était implanté continuera d’abriter l’administration centrale de l’armée de l’air avant de céder la place au ministère des armées en 2015.


Une tentative historique de regrouper l’aéronautique civile et militaire naissante.

C’est à partir de 1919 qu’un début d’organisation de l’aviation civile prend forme en France. L’année suivante, sous l’impulsion principale de Pierre-Etienne Flandin, de nombreux textes sont adoptés dans le domaine de l’immatriculation des aéronefs, la délivrance du certificat de navigabilité, la réglementation de la navigation aérienne et aussi la délivrance des brevets et licences du personnel navigant, tandis que les constructeurs se multiplient et que le transport aérien de passagers et de courrier se développe.

Laurent-Eynac
Toutefois, les compétences en matière d’aviation civile demeurent englobées au sein de divers ministères. En 1920, l’aviation civile est rattachée à un sous-secrétariat d’Etat de l’air qui dépend du ministre de la Guerre puis de celui du Commerce, des Travaux Publics et de la Marine Marchande. Le premier ministère de l’Air qui apparaît en 1928 est tout d’abord dirigé par Victor Laurent-Eynac, qui exerce son autorité sur toutes les branches de l’aéronautique civile et militaire.
 
Supprimé entre février 1932 et juin 1933, il est rétabli pour être confié à
Pierre Cot
Pierre Cot à deux reprises (janvier 1933-février 1934 ; juin 1936- janvier 1938). Titulaire du brevet de pilote comme ces deux prédécesseurs, il est le principal artisan de la  loi du 2 juillet 1934 qui est la charte fondatrice de l’armée de l’air. Il réorganise ensuite l'aéronautique civile autour de la compagnie nationale Air France et se consacre à  la nationalisation des industries aéronautiques.
général Denain
Mais le record de longévité à ce poste emblématique est détenu par le général Victor Denain qui devient  chef d’état-major général de l’armée de l’air en 1933 puis ministre de l’air entre 1934 et 1936 tout en cumulant les deux fonctions.

général Valin
Le régime de Vichy et le gouvernement provisoire de la République française se dotent chacun de structures inspirées du modèle de la 3ème République,  mais c’est le nom du général Martial Valin que l’histoire retiendra  pour son rôle de commandant des forces françaises aérienne libres entre  1941-1944. A partir de la fin 1945, les attributions « civiles » du ministère de l’air sont reprises par le ministère des Travaux publics et des Transports pour être confiées ensuite à un Secrétariat Général à l’Aviation Civile et Commerciale, qui devient en 1960 le Secrétariat Général à l’Aviation Civile (SGAC) avant que le décret du 30 mars 1976 ne retienne l’appellation de Direction générale de l’Aviation civile (DGAC), qui est conservée depuis lors.

Une implantation unique : du Val de Seine, berceau de l’aviation, à la Cité de l’Air 


1938 (SHD)
Le regroupement en 1934 de l’administration centrale et des services de l’aéronautique civile et militaire au 24-26 boulevard Victor est l’occasion de réunir en un lieu unique les services qui étaient auparavant répartis sur 14 installations distinctes. Une Cité de l’air, qui dispose de tous les aménagements les plus modernes de l’époque (dont un restaurant administratif unique et une crèche), est érigée en bordure du terrain d’Issy-Les-Moulineaux, implanté depuis 1905 sur un champ de manœuvres de l’autre côté des anciennes fortifications ceinturant Paris (1).
musée de l'air
Les bâtiments sont réalisés à partir de 1934 et Paris est alors l’une des cinq régions aériennes. La Base aérienne 117 est inaugurée en 1936. Le 117e Bataillon de l'Air y est affecté et le site intègre également l’Ecole Nationale Supérieure des Techniques Aéronautique (ENSTA) et le musée de l’air (1936-1940).

mur des fusillés
Pendant l’Occupation, le stand de tir de la base est utilisé par les Allemands pour y fusiller plus d’une centaine de résistants (le chiffre exact est très certainement supérieur) : c’est la page la plus tragique de l’histoire de la Cité de l’air.

 Début septembre 1944, le général Valin, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’Air, réinvestit la Cité de l’air avec son état-major (2). Au même moment, la direction centrale de l’intendance et de l’administration de l’armée de l’air (3) (qui deviendra direction centrale du commissariat de l’air en 1947), dirigée par le commissaire général Perret, quitte Alger pour rejoindre sa nouvelle implantation parisienne.

tour F (SHD)










En 1962, le boulevard périphérique et ses accès rompent l’unité du site et la piste du terrain d’Issy-les-Moulineaux disparaît sous les travaux du Paris d’après-guerre. D’autres constructions sont aménagées, dont la tour F dans les années 70, puis celle de la DGA dix ans plus tard, conférant un aspect hétéroclite à ce lieu qui résume bien les évolutions de l’architecture administrative du 20ème siècle, qui utilise ici les matériaux les plus divers (brique, béton, verre, acier et préfabriqué), tout en conjuguant plans horizontaux et verticalité.
 
Le 25 juin 2015, la cérémonie de dissolution de la cité de l’air et base aérienne (CABA) 117 «Capitaine Guynemer », créée en 1964 a entériné la disparition d’une unité de l’armée de l’air au profit du commandement militaire de l’Ilot Balard (COMILI) autour de l’hexagone qui rassemble, dans la même logique que celle qui a présidé à la création du ministère de l’air huit décennies auparavant, l’administration centrale, les états-majors des trois armées, les directions et services du Ministère des armées. .

Héliport et DGAC
Pour autant, l’unité de lieu du symbole de la réunion de l’aéronautique civile et militaire n’a pas disparu. L’héliport de Paris qui date de 1956 dépend d’Aéroports de Paris et jouxte les nouveaux locaux de la DGAC depuis son transfert du Boulevard de Montparnasse, tandis que l’état-major de l’armée de l’air et les directions qui lui étaient rattachées ont migré des bâtiments historiques des 24-26 Boulevard Victor vers l’hexagone. D’un siècle à l’autre, la vocation aéronautique du Val de Seine est donc préservée ! Quant au regretté ministère de l’air, la logique de regroupement qui était la sienne entre les deux guerres mondiales s’est à présent étendue au nouveau « ministère des armées »…

 
CRC1 Pascal Dupont

(1) cf. l’histoire du terrain d’aviation d’Issy-les-Moulineaux sur le site historim.fr (association « histoire et recherche d’Issy-les-Moulineaux »)
(2) cf. livre « Balard » (éd Taillandier- ministère de la défense- 2015)
(3) officialisée par l'ordonnance du 28 octobre 1944. L'organisation du service est fixée par l'instruction 946-D  du 10 novembre 1944 indiquant "la répartition des circonscriptions administratives de chaque direction de l'intendance de l'air" en région (nota : les intendances de l'air en Grande Bretagne, au Moyen Orient et dans les colonies ne sont pas touchées par ce texte).


Mémoire du 26 boulevard Victor
Par Jacques Primault (ECA 75)

Je saisis l’opportunité que me donne l’article du CRC1 Pascal Dupont sur la Cité de l’air pour évoquer les lieux où était installée la DCCA de 1944 à 2009, au 26 boulevard Victor, dans ce beau bâtiment des années 30 aux parures de briques.

L’arrivée dans le premier poste d’affectation reste, pour chacun d’entre nous, un souvenir marquant, singulièrement quand il s’agit de rejoindre la direction centrale, donc le cœur atomique du service !

Hier comme aujourd’hui, dans un état-major ou une direction, qu’elle soit civile ou militaire, la géographie des lieux fait que l’on côtoie, croise, rencontre quotidiennement le-la directeur-trice et les sous-directeurs-trices*, toutes autorités que nos collègues sur le terrain n’ont pas l’occasion de rencontrer autrement qu’en réunion ou visite officielle. Il faut donc savoir raison garder et éviter de tomber dans une sorte de syndrome d’Hubris.

Car au 2è étage du 26, l’organisation des lieux fait que le directeur – et cela va de soi - est au centre de la direction et que l’on a toute chance de le croiser à un moment ou à un autre de la journée.


En 1978, dans cet immeuble en T, les sous-directions étaient ainsi réparties : côté boulevard, la SD Appro (cre col Monjoin puis Barbaroux), puis de chaque côté du couloir central, le directeur (cre gal Louet) et son adjoint (cre gal Collobert), et la SD Personnel (cre col Rolland puis Auvieux). Dans la barre du T, à gauche, la SD Finances (cre col Burdin puis Jourdren), à droite la SD Organisation (cre col Grout de Beaufort) et le pool des dactylos. Car en 1978, l’informatique individuelle est absente et toute la force de frappe est rassemblée dans ce grand secrétariat commun à l’ensemble des sous-directions. Ce qui explique les allers et retours entre les rédacteurs et les dactylos, celles-ci faisant de leur mieux avec le papier pelure et le rouge correcteur. Ce lieu de rencontre et d’échange a aujourd’hui disparu, remplacé par la zone de « convivialité » près du distributeur de café.

Dans le couloir central, combien de camarades innocents, pris inopinément en tenaille entre le directeur et le sous-directeur Personnel, se sont vus proposer un départ précipité en OPEX, une affectation prometteuse sur une base refusée par d’autres, et beaucoup plus rarement une offre vers Dakar ou Djibouti.

Une sous-direction n’était pas à cet étage, la SD informatique (cre col Andrieux) installée, au pied du bâtiment, dans des constructions prévues, dans les années 50, pour être provisoires ! L’Inspecteur du commissariat et de l’administration de l’armée de l’air était installé à un niveau supérieur du 26.


La boucle est bouclée puisque la DCSCA s'est implantée au sein de la Cité de l'air, dans un bâtiment rénové proche du 26.

*L’auteur a pris la liberté de recourir au format de l’écriture inclusive, désormais recommandé