dimanche 31 juillet 2016

Commissaire à l'IIDH San Remo

Par le CRC1 Xavier Périllat Piratoine  (ECA85)

J’occupe le poste de directeur adjoint au département militaire de l’Institut International de Droit Humanitaire (IIDH, ou IIHL International Institute of Humanitarian Law).

J’ai commencé à réfléchir et à écrire sur la question de l’influence du droit international (par exemple, sur les accords de Dayton) sur la conduite et le soutien des opérations à partir de mes expériences à Sarajevo (94) et Mostar (96). Nos carences dans le domaine juridico-opérationnel, clairement apparues avec les opérations en Bosnie puis au Kosovo ont conduit certains responsables de l’armée de l’air à faciliter mes efforts de formation, dont des stages à l’IIDH où l’on m’a proposé ensuite de conduire des cours en français, ce que ma mutation au Togo n’a pas permis à l’époque.


En 2007, étant chef « A8 » au Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), le besoin de conseil juridique opérationnel lié à l’évolution de nos missions aériennes en Afghanistan, à l’introduction de nouveaux armements etc.. a conduit le général commandant le CDAOA à me confier le poste de Legad, dont il avait obtenu la création. Ce poste s’est avéré essentiel pour la création d’un vivier de commissaires conseillers juridiques, spécialisés dans les opérations aériennes et dont l’expertise s’est ensuite rapidement étendue à l’ensemble du droit opérationnel.

C’est depuis Kaboul, où j’effectuais un deuxième séjour comme contrôleur financier et chef J8 de l’ISAF, que j’ai répondu à une prospection pour le poste de directeur adjoint du département militaire de l’IIDH qui venait d’être créé, à titre expérimental et pour un an.

l’IIHL/IIDH
La nature et les missions de l’IIDH sont connues mais évoquons-les rapidement.

Créé en 1970 à l’initiative de diplomates, militaires et juristes internationaux, l’IIHL/IIDH, (organisation à but non lucratif de droit italien) forme des civils et militaires en provenance du monde entier au droit humanitaire, au droits de l’homme, au droit des réfugiés, avec le concours du CICR, du HCR, et de nombreux gouvernements et organisations internationales (OTAN, OSCE, UE, OIF, Commonwealth).

Il est indépendant et impartial et constitue un forum inégalé sur les questions du droit applicable en opérations. Il bénéficie, pour les cours prodigués, du concours de juristes et d’officiers très expérimentés qui sont en mesure de confronter leurs vues dans un cadre ouvert (« règles de Chatham House »).

L’IIDH est dirigé par un président de chambre d’appel italien au tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Le département militaire compte désormais quatre officiers et il est fait appel à des universitaires et officiers accrédités pour les cours organisés par l’institut. Ce département, désormais dirigé par un colonel anglais de l’Army Legal Services, a remanié ses cours, accentué ses efforts de promotion, multiplié les actions délocalisées (j’ai ainsi enseigné en Egypte et en Arabie Saoudite) et rajeuni son corps d’enseignants internationaux.

La place de la France

La France est probablement insuffisamment connue ou reconnue sur la scène internationale comme un acteur essentiel de la mise en œuvre du droit humanitaire, en dépit de sa visibilité opérationnelle incontestable. En premier lieu, l’anglais est très évidemment dominant comme langue des opérations et du droit opérationnel associé, le français peinant à suivre l’évolution du lexique juridico-opérationnel.

Par ailleurs, les universitaires francophones ne bénéficient pas d’une visibilité comparable à celle de leurs collègues anglo-saxons ou publiant en anglais. Même s’ils ont travaillé sur les sujets d’intérêt opérationnel immédiat - par exemple la participation directe aux hostilités - leurs travaux sont restés confidentiels. Cependant, les dernières missions menées par la France ont fait naître une véritable curiosité s’agissant de leur dimension juridico-opérationnelle et des conditions dans lesquelles nous assurons le respect de nos engagements internationaux.

Dans ces conditions, la mise en place d’un commissaire en chef de première classe d’origine Air comme directeur adjoint confère une visibilité considérable  à nos vues et doctrines vis-à-vis non seulement des participants aux cours, qui viennent du monde entier, mais aussi des enseignants – praticiens, universitaires. Cela permet, le cas échéant, de faire valoir des perspectives distinctes/indépendantes des vues dominantes mais aussi de donner un certain crédit - s’il le fallait - à notre capacité à faire respecter le droit humanitaire.

Occuper ce poste permet également l’intégration régulière, comme enseignants aux cours de l’IIDH, d’officiers français dans un contexte marqué par une domination anglo-saxonne incontestable. Cela autorise la maturation des réflexions et, par la confrontation des points de vue, la formation d’un nombre significatif d’officiers juristes français appelés à participer à la conduite des opérations.

Les autres nations
L’intérêt de ce positionnement et cette analyse sont confirmés par les efforts développés par d’autres nations pour intégrer des officiers ou maintenir leurs positions. L’Army Legal Services (britannique) considère en premier lieu que le poste de directeur du département militaire est, parmi les postes à l’étranger détenus, le poste le plus important en termes stratégiques et celui dont le maintien s’impose au premier chef.
Les Pays-Bas (Cdt) comme les USA (Lcl) ont mis en place un JAG (judge advocate general) à l’IIDH en 2014. La Norvège l’envisage.

Au département militaire, l’IIDH apprécie l’équilibre obtenu entre un directeur anglais et un directeur adjoint français.

Fluent in english

Le poste occupé permet naturellement de contribuer à la formation des juristes opérationnels de langue française mais il suppose cependant un niveau élevé d’anglais. La capacité à participer à la formation en anglais est une condition sine qua non de crédibilité dans ce domaine. Les actions de formation confiées au directeur adjoint dans des domaines très pointus et d’intérêt opérationnel constant ces dernières années (directeur des cours « Targeting : Terrestrial, Cyber and Space » -création ex-nihilo du cours-, « Non International Armed Conflicts », organisation du cours -en français- à l’ECA etc.., création ex-nihilo du premier cours « Air and Space Operations Law Course ») supposent qu’il soit capable d’animer/conduire les cours et, en réalité, de maîtriser parfaitement l’anglais juridique.
Tout cela témoigne de l’intérêt opérationnel immédiat du poste. Les réflexions menées à l’IIDH en matière de ciblage ne pourront pas ne pas influencer les actions de conseil juridique futur et, plus généralement, la doctrine des pays dont les officiers, juristes ou opérationnels, sont formés à l’IIDH.

CRC1 (Air) X. Périllat Piratoine