lundi 13 juin 2016

Un commissaire de milieu air en poste à l’ONU 2012-2015

Par le CRC2 Eudes Ramadier (ECA94)

Nous publions un large extrait d’un article sur les fonctions d’un commissaire des armées affecté comme conseiller militaire adjoint à la représentation permanente de la France auprès des Nations unies. 
L’article complet peut être obtenu par les membres de l’Amicale, sur demande à : amicaa@sfr.fr

Je caressais l’espoir depuis plusieurs années de pouvoir servir auprès de l’ONU et faire enfin fructifier ce niveau d’anglais tant important pour la carrière et dont le seul réel témoin avait été monsieur de La Tour d’Auvergne, notre auguste professeur de l’ECA dans les années 1990.



Je déposais donc mon dossier en 2010 auprès de la sous-chefferie RI de l’EMA, pour succéder en 2012 à un commissaire de milieu terre, lui-même successeur depuis 2009 d’un commissaire de milieu Marine en tant que conseiller militaire adjoint. Le poste était remis en compétition tous les trois ans dans le cadre de la campagne conduite par l’EMA destinée à pourvoir les postes d’attachés de défense. Je quittais à l’époque une affectation de deux ans au CDAOA pour rejoindre le CPCO J8 que je considérais comme le tremplin indispensable pour obtenir le poste que je convoitais.

Le calcul fut le bon. Au CPCO, je revendiquai le suivi des problématiques ONU et entretins des rapports étroits avec le conseiller adjoint en poste. Je profitais aussi de cette position stratégique pour consolider quelques appuis indispensables à la promotion de ma candidature auprès de la chaine des relations internationales de l’EMA.

A la fin juin 2011, au terme d’un processus de sélection des dossiers, j’appris avec un soulagement immense que j’étais sélectionné pour le poste. Je passais une année 2011-2012 euphorique, à préparer tant bien que mal, et lorsque le rythme du CPCO m’en laissait le temps, ma future affectation.

Landing in the USA


Le 31 juillet 2012, j’atterris à JFK pour une période de passation de consignes de 10 jours avec mon prédécesseur, au sein d’une mission de défense de 4 personnes installée au cœur de la représentation permanente de la France auprès des Nations unies. La mission de défense est dirigée par un général de l’armée de terre, conseiller militaire en titre et cinquième personnage de la Représentation dans l’ordre protocolaire, après le Représentant permanent, Ambassadeur de France, le Représentant permanent adjoint, le conseiller politique et le conseiller juridique.

Le chef de la mission de défense dispose de deux adjoints, un colonel, avec lequel il se partage la gestion du calendrier du Conseil de Sécurité, un commissaire en chef de deuxième classe à qui échoient les problématiques administratives, financières et de RH et d’un assistant, officier marinier, qui gère l’administration et le fonctionnement quotidien de la mission.

En décembre 2012, un colonel de gendarmerie viendra, à point nommé, compléter de manière permanente le dispositif et soulager le commissaire de la gestion des problématiques de police dans les opérations de maintien de la paix (OMP). En effet, le conseiller militaire adjoint, parmi ses attributions dont le périmètre est par nature le plus extensible, assurait traditionnellement les fonctions de conseiller « police », traitant avec la direction de la coopération internationale du ministère de l’intérieur, les problématiques liées aux missions de police et à leurs effectifs dans les OMP.

J’ai vécu trois années d’une immense richesse professionnelle et qui m’a apporté de profondes satisfactions. J’ai sans doute eu le privilège d’être aux premières loges d’une actualité internationale en ébullition permanente au sein de laquelle, une fois n’est pas coutume, la France a joué une réelle partition de leader, et de voir mon volume d’activité s’accroître à mesure des engagements de mon pays d’abord au Mali, puis en République centrafricaine.

J’ai vécu une hausse ininterrompue et inédite des engagements de l’Organisation dans les OMP déclenchant deux de ses plus importantes opérations en 2 ans (MINUSMA et MINUSCA) et incapable d’endiguer la hausse consécutive de son budget du maintien de la paix, passé de 7,4 Md$ sur l’exercice 2012/2013 à 8,4 Md$ sur 2014/2015.

           
Un univers complexe

 J’ai aussi découvert un univers complexe. L’adaptation à son organisation nécessite du temps et, plus qu’ailleurs, une bonne année est nécessaire pour la comprendre, identifier les réseaux qui l’animent, les acteurs qui construisent la position du Secrétariat des Nations unies et ceux qui prennent les décisions. Dans cet environnement, la qualité du travail repose d’abord sur la connaissance de la structure avec laquelle on va travailler au quotidien. Et le premier rôle de tout conseiller est de construire son réseau avec le Secrétariat des NU, intégrant autant que possible les traitants qui sauront en temps utile faire avancer des dossiers et apporter les réponses à ses questions.

Ce préalable est indispensable pour que le conseiller militaire adjoint puisse accomplir les trois principales missions qui lui incombent et que je propose au lecteur de parcourir en ma compagnie, dans mon bureau du 43ème étage du 1 Dag Hammarksjöld, à l’angle de la deuxième avenue et de la 47ème rue, avec sa vue panoramique sur l’East River, le quartier diplomatique du Tudor city, le sud de Manhattan, et, trônant à quelques blocs, sa toiture étincelante sous la lumière de la côte Est, le Chrysler Building.

La Skyline, vue de l’East river avec, au premier plan, le Secrétariat des Nations unies et à droite, plus sombre et sur l’arrière-plan, le 1 Dag Hammarksjöld qui héberge 19 Représentations permanentes.


Les trois volets de la fonction
1 - le suivi des remboursements
La première mission du conseiller militaire adjoint est la mise en œuvre du cadre contractuel et le suivi des remboursements par l’ONU à la France pour sa participation aux opérations de maintien de la paix. Pour bien mesurer l’importance de cette mission, il convient de rappeler une évidence : l’ONU ne dispose pas d’armée. La raison en est simple : la vocation de l’organisation est la promotion de la paix en évitant autant que possible le recours à l’emploi de la force. Le chapitre VI de la charte des Nations unies est à cet égard sans ambiguïté, privilégiant par principe un règlement pacifique des différends, le cas échéant sous l’égide des organes de l’organisation internationale.

Toutefois, lorsque ces moyens sont insuffisants, le chapitre VII, dans son article 42, ouvre la possibilité pour le Conseil de Sécurité, et après que ce dernier a estimé inefficaces ou inadéquates les solutions « n’impliquant pas l’emploi de la force armée », d’entreprendre « au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de sécurité internationale ». L’article 43 détaille les modalités de mise en œuvre de cette possibilité à travers le principe de contribution des états membres par la mise à disposition de capacités militaires.

Ainsi la mise à disposition de l’ONU d’un contingent détermine pour l’Etat contributeur trois types de remboursements : l’un pour les hommes (les troop costs), le second pour les équipements et matériels (le Major equipment) et le dernier pour la capacité du contingent à assurer son soutien de manière autonome (le self-sustainment).

Durant ma première année à New-York, j’ai eu à mener à bien l’actualisation du Memorandum Of Understanding FINUL entérinant la diminution du contingent français. A côté du cadre standardisé des MOU, un autre outil contractuel permet de cadrer la fourniture d’une capacité spécifique contre un montant négocié de remboursement : la lettre d’attribution (ou LOA : letter of assist). Dans ce cadre, l’Etat membre s’engage à fournir une capacité. Afin de déterminer un montant juste et raisonnable de remboursement, il justifie son prix d’acquisition, son coût de maintenance mensuel et sa durée d’amortissement. La France a ainsi signé six LOA depuis 2007.


2 - le suivi des militaires français insérés à l’ONU

La deuxième mission du conseiller militaire adjoint est tout aussi passionnante et occupe la majeure partie de son activité car elle se matérialise par l’échange quotidien avec le Secrétariat des NU d’un grand nombre d’informations plus ou moins formalisées sur le personnel français au service de l’Organisation. En effet, outre les contingents, les États sont invités à fournir des militaires en individuel, sous deux principaux statuts : les militaires détachés (les seconded officers) et les officiers d’état-major (staff officers) et observateurs.

Au bilan et en dépit de son caractère répétitif et fastidieux, cette mission s’avère gratifiante car menée au service immédiat de camarades projetés dans des opérations atypiques, la plupart sans structure nationale de soutien. Elle permet de les assister de la manière la plus concrète qui soit en dénouant les problèmes qu’ils rencontrent.

3 - la diplomatie économique

Dernière mission du conseiller militaire adjoint, la contribution aux efforts de diplomatie économique a connu une acuité particulière avec le déclenchement de la MINUSMA au Mali, puis, dans une moindre mesure de la MINUSCA en RCA, ceci dans un contexte où elle était par ailleurs un des axes primordiaux de la politique du ministre des affaires étrangères de 2012 à 2014.

Cette mission échoit au conseiller militaire adjoint pour sa capacité à appréhender les problématiques logistiques et financières des théâtres d’opération. Il travaille sur ce sujet en étroite collaboration avec le conseiller économique de la mission financière avec lequel il partage, outre le même couloir, la connaissance générale des principes d’achat public qui guident les actions de l’Organisation et qui ressemblent à s’y méprendre à ceux du code des marchés publics.

Conclusion :
Cette affectation a été pour moi une formidable expérience professionnelle que j’ai souhaitée, recherchée et vécue avec une véritable conscience de l’engagement pour mon pays et que j’aurais souhaité pouvoir prolonger et transformer. Je me suis pleinement investi dans une mission protéiforme et riche en succès et dont un des nombreux points d’orgue a été un footing avec notre chef d’Etat-major des armées à Central Park.

A quelques mois de la fin de mon affectation, en janvier 2015, France Expertise International (FEI), devenu entre-temps Expertise France (EF), m’a proposé d’œuvrer pour eux pendant un an supplémentaire, dans le cadre d’un détachement comme expert technique international. J’aurais tant aimé relever ce défi, prolonger et démultiplier l’expérience des LOA dans les OMP et -  pourquoi pas ? - aller chercher des financements et des mécènes, nombreux sur la place de New-York, pour déployer l’expertise française. Je reçus avec une profonde gratitude le soutien inconditionnel de mon ambassadeur et de notre sous-direction de tutelle du ministère des affaires étrangères.

Mais j’ai dû rentrer en France, littéralement arraché au suivi de ces multiples dossiers que j’avais animés et que pour certains, en phase de négociation ou en cours de remboursement, j’aurais aimé voir se concrétiser et ouvrir encore de nouvelles perspectives. Je suis néanmoins fier d’avoir su remplir un contrat que je m’étais fixé en représentant, parmi la fine fleur de la diplomatie française, l’esprit d’administration et d’initiative qui caractérise le corps du commissariat des armées.

CRC2 Eudes RAMADIER – ECA 94

Au Libéria, lors d’un voyage avec la communauté des conseillers militaires