mercredi 25 novembre 2015

Retex Legad au JFACC AFCO

CRP Aude-Laure de Valicourt 

Après une première expérience de conseiller juridique Air de niveau tactique dans le cadre de l'opération Enduring Freedom  en Afghanistan, je renouvelle l'expérience dans un cadre national, celui des opérations Barkhane et Sangaris, au sein du centre de commandement et de conduite des opérations aériennes, en novembre et décembre 2014.

De prime abord, la fonction n’a pas changé.
S'agissant des missions, il revient toujours au legad :
- de conseiller le commandement tant en conduite (dans le cadre des missions de dynamic targeting de type SCAR- Strike Coordination and Reconnaissance ou TST-Time Sensitive Targeting) que pour la validation des dossiers d'objectifs (deliberate targeting) ou sur toute problématique de nature juridique ;
- de rédiger des comptes rendus au profit du niveau stratégique ;
- de participer à la rédaction de documents opérationnels, et notamment des Special Instructions (SPINS) à destination des équipages d’aéronefs de combat ou de transport ;
- d'assurer des briefings juridiques au profit des différents détachements de pilotes et d'être en mesure de répondre à leurs besoins en terme de conseils; en l’occurrence, les présentations sont assurées au profit des détachements de Rafale, Mirage 2000, et drones en visioconférence ;
- en complément et en tant que de besoin, de contribuer à la formation du personnel au droit des conflits armés appliqué aux opérations aériennes.


L'exercice du métier suppose, quant à lui, toujours une phase préalable d'acculturation au théâtre (identification des zones d’opération, des opérations particulières en cours ou planifiées, forces en présence…), ainsi qu'une maîtrise de la phraséologie, nécessaire à la bonne compréhension des SPINS, briefings quotidiens, chats, air tasking requests, master air operation plans, air tasking orders, misreps et autres compte rendus. Il faut, à titre d'illustration, rapidement pouvoir traduire "IVO xxx, request CAS ISO FR patrol"   ou encore "yyy winchester, RTB, IFR 2 follow"   !

Les méthodes sont, elles aussi, invariées. La délivrance d'un armement obéit toujours au même cycle de targeting : Positive Identification (PID), Visual Identification (VID), Rule of Engagement (ROE), Collateral Damage Evaluation (CDE), désignation de la Target Engagement Authority (TEA) . Autant d'étapes nécessaires au respect des principes cardinaux du droit des conflits armés : distinction/discrimination, nécessité militaire, précaution, proportionnalité.

Autre constante, le battle rythm  : le legad  est présent dans la salle d’opérations a minima durant tous les slots des chasseurs, lesquels peuvent s'enchaîner, rendant le poste physiquement exigeant.

Quelques différences avec une OPEX sont néanmoins perceptibles.

L'environnement pour commencer. A la rusticité de la base aérienne de Bagram se substitue le confort d'un soutien de l’Homme aux normes occidentales. Le contraste entre la zone opérationnelle et la zone vie est d'autant plus saisissant ! Car la zone « ops » est quant à elle, située au bout d'un tunnel d'1 km de long creusé sous une roche humide à souhait. A l’arrivée, le crépitement des radios, les personnels rivés devant leurs écrans multiples, les murs tapissés de cartes aéronautiques estampillées CD, la diffusion d'images de drone survolant des zones désertiques via la Full Motion Video   mettent tout de suite dans l’ambiance.  Le conseiller juridique, tout comme les autres membres du JFAC AFCO (Joint Force Air Command – Afrique Centrale et de l’Ouest), se sent ainsi complètement embedded*. Et il n’est  pas rare de ne pas voir la lumière naturelle pendant 2 à 3 jours

Par ailleurs, opérant au profit de deux théâtres, le legad du JFAC AFCO doit composer avec deux sets de règles d'engagement, sans compter celles propres aux forces spéciales, présentes en bande sahélo-sahérienne (BSS). Une certaine gymnastique intellectuelle est donc de rigueur.

Mais la novation réside surtout dans la participation des drones Harfang et Reaper, mis en œuvre par l’escadron 1/33 Belfort.
Beaucoup de craintes entourent l’utilisation des drones aujourd’hui, fussent-il simplement des drones de surveillance. On redoute le micro-management ou encore la réticence du commandement à ordonner une mission qui ne serait pas assistée par ces « aéronefs pilotés à distance » (expression préférable à « aéronefs sans pilote », dans la mesure où il y a bien un pilote de l’avion). Il est vrai que les drones sont extrêmement sollicités en BSS et des records d’endurance ont été battus durant mon détachement !

D’un point de vue juridique, les drones offrent un confort indéniable pour le conseiller juridique, et permettent d’associer des images aux commentaires transmis par les systèmes informatiques. In fine, pour le commandement, ils sont des vecteurs précieux, car les patterns of life**  qu’ils réalisent préalablement à des frappes (évaluation de l’environnement au sol) permettent de répondre pleinement aux exigences du droit des conflits armés en s’assurant que les données tactiques n’ont pas été modifiées (dans le cadre d’une frappe planifiée sur dossier d’objectif) ou en estimant finement les risques de dommages collatéraux (dans le cadre d’une frappe en dynamic).

Postérieurement à une action cinétique, les drones contribuent au Battle Damage Assessment en complément des autres vecteurs aériens. Ils permettent ainsi non seulement de vérifier l’efficacité de la frappe mais aussi, le cas échéant, d’identifier des blessés au sol, ce qui interdirait une nouvelle action cinétique, conformément aux règles des conventions de Genève et aux protocoles additionnels qui en découlent.

Même si les drones constituent un réel atout pour le commandement, il convient d’éviter tout risque de paralysie d’action en cas d’indisponibilité de ces vecteurs. A cet égard, il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que les dommages collatéraux ne sont pas interdits par le droit des conflits armés (seuls les dommages excessifs au regard de l’avantage militaire attendu le sont), et que le principe de précaution ne vaut qu’à raison des moyens disponibles. Autant d’éléments de nature à pallier tout risque de « drone failure » dans les opérations aériennes françaises.

* intégré
** caractéristiques de vie

remerciements à l'auteur et au comité de rédaction de Lex Aeris