samedi 26 septembre 2015

Un commissaire enquêteur de prix à la DGA

Autonomie-responsabilité-technicité.
Par le CRC1 François Bousselet (ECA 84)

Six commissaires des armées sont enquêteurs de prix à la DGA. Ils disposent du pouvoir réglementaire de vérifier les comptabilités des industriels de défense et d’établir le coût de revient des principaux marchés d’armement et de maintien en condition opérationnelle (MCO). Les points forts de ce métier sont : autonomie, responsabilité, technicité. Le CRC1 François Bousselet nous fait part de son témoignage.

J’ai découvert le métier d’enquêteur de prix grâce à une prospection diffusée par l’EMA. Les armées avaient décidé de confier à la DGA les enquêtes sur leurs marchés de MCO. Cette mission était accompagnée du transfert vers le programme 146 des équivalents temps-plein (ETP) et de la masse salariale associée.



La lecture de la fiche de poste m’a d’abord laissé circonspect. Ce métier avait l’air très technique, presque rébarbatif et le niveau de responsabilité était-il celui auquel un colonel breveté peut prétendre ? Deux ans après ma prise de fonction, ces doutes sont balayés et je souhaite vous faire découvrir ce métier si particulier.

Quelle est la mission de l’enquêteur de prix ?


Enquêteur de prix n’est pas un statut mais un emploi, défini par la réglementation. Je conserve mon statut de commissaire des armées. Il y a de nombreux statuts parmi les enquêteurs : officier des armes, des services, fonctionnaires, ingénieurs de l’Etat, contractuels. Les enquêteurs sont tous en poste à la Division des enquêtes de coût (BEDC), au sein du service central des achats de la DGA, à Balard.

Leur mission principale est de réaliser des enquêtes afin de connaître le coût de revient des prestations réalisées dans le cadre des marchés négociés du ministère de la défense. Ils réalisent également des avis de prix, ou des enquêtes approfondies, sur les devis reçus par les acheteurs français ou étrangers (USA principalement). Enfin, ils négocient avec les entreprises d’armement les éléments comptables qui serviront pour valoriser les futurs devis. Les enquêtes de coût de revient sont demandées par les pouvoirs adjudicateurs de la DGA et des armées (SIMMAD, SIAé, SIMMT, SSF…) et les rapports sont également transmis au contrôle général des armées (CGA). Les enquêteurs de prix sont en effet les correspondants privilégiés des commissaires du gouvernement, officiers qui ont pour mission d’informer le ministre sur l’industrie de défense. Ils sont soumis à une charte d’éthique particulière.

Quelle est sa formation ?

La Division des enquêtes de coûts comporte 40 enquêteurs, dont près d’un tiers en formation. En effet, chaque enquêteur débutant doit passer par une période de formation qui dure en moyenne 2 ans. Durant cette période, il réalise des enquêtes sous l’autorité d’un tuteur, enquêteur de prix habilité. Lorsque l’enquêteur en formation a réalisé au moins une enquête de chaque type (avis de prix France, avis de prix export, enquête de coût de revient, note sur les éléments comptables de valorisation des devis) et qu’il est estimé apte, il est présenté à un jury pour un examen oral de deux heures.

Le jury est présidé par le directeur des achats de la DGA et comporte notamment un contrôleur général des armées. La prestation du candidat consiste à présenter les rapports réalisés durant sa formation et à convaincre le jury qu’il dispose des qualités techniques et relationnelles lui permettant de réaliser seul des enquêtes au sein des entreprises. En cas d’avis favorable du jury, l’habilitation de l’enquêteur est décidée par le ministre de la défense.

Cette période de formation ne doit pas être prise à la légère par un éventuel candidat. La formation est longue, exigeante, et demande une grande humilité pour accueillir avec intelligence les remarques des tuteurs et accepter de se remettre en cause.

Y-a-t-il un profil type pour être enquêteur ?

Il n’y a pas de profil type. Créé en 1935, et au départ confiée directement aux commissaires du gouvernement, la mission a ensuite été assurée par du personnel de l’ordre technique. Au fil du temps, les enquêtes sont devenues de plus en plus complexes, en raison de l’évolution des structures des industries de l’armement et de la technologie nécessaire pour fournir les prestations. Dans le même temps, les profils des interlocuteurs des enquêteurs ont évolué, passant du domaine technique vers le management et le contrôle de gestion. La DGA a tiré les conséquences de ces évolutions et recrute désormais du personnel fortement diplômé dans des domaines variés, afin de permettre au service de disposer d’un personnel possédant des compétences et des expériences complémentaires.

Ainsi, on trouve parmi les derniers arrivants des commissaires des armées (dont un ingénieur), un officier de marine ingénieur en génie atomique, un saint-cyrien breveté titulaire d’un MBA de l’ESSEC, deux ingénieurs de l’Ecole Centrale, un docteur en chimie. Le point commun des enquêteurs est leur aptitude à honorer les trois points clés du métier : autonomie, responsabilité, technicité.

1. Autonomie
L’enquêteur dispose d’une grande latitude pour organiser son enquête comme il le souhaite. Il travaille en mode projet (délai, jalons, livrables), ce qui donne un aspect très concret à son action. Après avoir convenu avec les services du pouvoir adjudicateur d’une date de remise de son rapport, il gère son temps et ses réunions avec les entreprises. Une enquête dure souvent plus d’un an entre la demande détaillée du pouvoir adjudicateur et la remise du rapport définitif. Tout en respectant une procédure d’enquête décrite précisément dans un référentiel « qualité », il dispose d’une grand initiative pour orienter ses investigations en fonction de chaque cas particulier. Il est souvent seul face aux industriels pour négocier un calendrier ou définir des modalités techniques relatives aux éléments à fournir. L’enquêteur peut toutefois solliciter l’aide de son chef de groupe, enquêteur confirmé, lorsqu’il est confronté à des situations particulières.

2. Responsabilité
La responsabilité va de pair avec l’autonomie. L’enquêteur est évalué sur le respect des délais et de la procédure durant l’enquête, ainsi que sur la qualité du rapport fourni. Les enjeux sont fréquemment en dizaines ou en centaines de millions d’euros et les conclusions d’un rapport d’enquête sont lourdes de conséquences pour les futures relations entre les pouvoirs publics et les industriels. En outre, l’enquêteur sait que ses rapports sont exploités par le contrôle général des armées dans sa mission d’information du ministre de la défense. Contrairement à certains rapports d’audit, dont l’utilité pratique peut être variable, un rapport d’enquête est un document à finalité opérative. Il va généralement servir d’outil pour négocier le prix de futurs contrats.

3. Technicité
La technicité est le dernier point clé de ce métier. L’enquêteur  de prix n’est pas un homme du monde, qui donnerait son avis, frappé bien sûr au coin du bon sens. Il n’est pas un policier, qui devrait adopter une démarche soupçonneuse chez l’industriel. Il n’est pas non plus un juge, qui devrait porter une appréciation sur une négociation menée il y a de nombreuses années et dont il ne connait pas tous les éléments. Enfin, l’enquêteur n’est pas un comptable, chargé d’opérations de contrôle à l’euro près. L’enquêteur de prix est plutôt un historien qui doit décrire une réalité (le coût d’une prestation) sur la base de documents. Cette méthode d’historien nécessite une bonne technicité dans plusieurs domaines, sachant que les deux ans de formation permettent de compléter les connaissances des enquêteurs dans les domaines dans lesquels ils sont les plus faibles.

Tout d’abord, une connaissance de l’industrie et de ses processus ou, au minimum, une appétence pour les aspects techniques des opérations d’armement. Ensuite, la maîtrise des principaux éléments de l’achat public et la connaissance du code. Bien évidemment, une grande aisance en comptabilité générale et analytique des entreprises. De plus, une sensibilisation aux systèmes d’information et au management. Par ailleurs, une appétence pour les chiffres et la maîtrise d’Excel. Enfin, le logiciel Word devra être utilisé avec aisance. A ces compétences techniques s’ajoutent des aptitudes de négociateur et une capacité de synthèse permettant de prendre la hauteur nécessaire et de hiérarchiser les informations.

Quels débouchés possibles après une affectation comme enquêteur de prix ?

L’affectation au BEDC peut être longue, en raison de la durée de la formation, qu’il convient de rentabiliser et du temps nécessaire pour devenir enquêteur confirmé. Une durée de 6 ans n’a rien d’inhabituel. De retour vers une affectation plus classique dans les forces ou au sein du commissariat, un commissaire ex-enquêteur dispose de nombreuses compétences profitables aux armées : connaissance des marchés publics, pratique de la négociation avec les entreprises, comptabilité générale et analytique, rédaction de rapports d’audit.

J’espère vous avoir convaincu de l’attrait de cet emploi d’enquêteur de prix. Passée la période de formation, exigeante mais enrichissante, le métier est très stimulant intellectuellement et convient à des personnes aimant travailler en autonomie et se voir confier des missions techniques concrètes avec de fortes responsabilités.

(pour approfondir la question : cf. rapport public annuel de la Cour des comptes 2013 « Les achats de maintenance du ministère de la défense » ; www.ccomptes.fr)