vendredi 10 octobre 2014

Xavier Roche (ECA 88) 

Conseiller référendaire à la Cour des comptes, directeur financier de la branche matériel à la SNCF depuis juin 2013
Interview par le Journal des grandes écoles et universités (septembre 2014)

Votre parcours professionnel est aussi riche que varié. Pourriez-vous nous le résumer et nous dire quel en est le fil rouge ?

Mon diplôme de droit en poche, j’ai eu envie de quelque chose de plus « vaste » que le seul juridique, de plus proche de l’opérationnel également, et j’ai donc passé le concours des commissaires de l’air, intégrant pour 12 ans l’Armée de l’Air : gestion de base, état-major, etc.



Une opportunité s’est alors présentée : celle d’être formé pour introduire les méthodologies d’audit au sein de l’Armée de l’Air ; mission dont je me suis acquitté après une formation d’un an en cabinets de conseil (Andersen & Calan).
Passionné par l’ouverture de ces nouveaux horizons, je me suis porté candidat à la Cour des Comptes que j’ai intégrée en 2000. Affecté à la Chambre en charge de la défense et de l’industrie, j’y contrôlai les grands programmes (Rafale, centrales nucléaires EDF, etc.). Après 6 années, profitant des règles imposant la mobilité, je décidai d’expérimenter le privé : Alstom recherchant justement à cette époque un directeur de l’audit des projets.

2 années plus tard, un camarade me proposa de le remplacer au cabinet du ministre du Logement et de la Ville. Brève aventure d’un an dans les hautes sphères au terme de laquelle je proposai mes services à RFF (Réseau Ferré de France) où j’entrai pour y prendre de nouveau la responsabilité de l’audit, puis la direction financière avant de basculer à SNCF à l’occasion du rapprochement des deux entreprises. Voilà pour le moment. Quant au fil rouge, je dirais qu’il est d’avoir toujours pris le risque de changer et d’innover dans le but de diversifier mes compétences, quand bien même je savais que certains postes (cabinet ministériel) avaient une durée de vie pouvant ne pas excéder… 15 jours !

L’autre driver ayant été, entre la raison et l’envie, de toujours choisir l’envie. Ce que je ne regrette absolument pas : j’ai beaucoup appris et me suis ainsi doté de références multiples qui me sont aujourd’hui très précieuses.

Directeur Finances et Stratégie du domaine Matériel, quelles missions vous incombent et quels défis vous faut-il relever au quotidien ?

Loco, rames TGV, wagons, le groupe utilise près de 100 000 matériels au quotidien qu’il nous faut acheter et entretenir dans 39 technicentres sachant qu’il circule 15 000 trains par jour et que l’entreprise fonctionne 24h sur 24.
Mon rôle s’étend également au futur : de quels transports et de quels matériels aurons-nous besoin dans 15 ans, lorsque les villes absorberont 70 % de la population mondiale ? ! Comment adapter le matériel à ces multiples défis ?… J’ai également en charge la direction financière : fonctionnement, investissements (installations et outillages), comptabilité, et essentiel ! : contrôle de gestion industriel pour être plus productif, sans négliger un brin de juridique ni la gestion des systèmes d’information de gestion et de maintenance… Aujourd’hui m’occupe donc tout autant que demain.

Justement, quels sont les grands enjeux actuels, et à venir, de la SNCF ?

La révolution dans les transports ! Rien de moins au regard de l’augmentation des populations urbaines et des défis à venir. D’où le plan « Excellence 2020 » plaçant les déplacements quotidiens des gens au centre de la stratégie du groupe. Le but ? Offrir des solutions de mobilité porte à porte incluant des transports connectés les plus écologiques possibles. Raison pour laquelle, avec l’arrivée des modèles alternatifs, SNCF investit, par exemple, dans des entreprises d’auto-partage, co-voiturage, etc. lesquelles permettront d’assurer à terme l’entière mobilité des usagers d’un point A à un point B (C’est notre programme « mon voyage à moi »). Et puis il y a le développement à l’international. Via Kéolis et Géodis, la SNCF s’affirme comme l’un des leaders mondiaux des transports et, pour le matériel, va être amené à fournir de plus en plus d’ingénierie, de solutions et de maintenance aux marchés émergents.

Pour avoir oeuvré au sein du service public et dans le privé, quels atouts cette diversité des expériences vous apporte-t-elle et comment expliquez-vous que ce type de parcours « complet » (et donc enrichissant pour l’entreprise comme pour le secteur public) soit aussi peu fréquent ?

Cette diversité et les points de vue différents qu’elle a apportés sont évidemment très enrichissants, mais nous vivons, en France, avec deux mondes différents qui ne sont pas loin de s’ignorer. En caricaturant : le privé a l’impression de créer des richesses que le service public dépenserait et, à l’inverse, le service public a, lui, l’impression d’être le seul à se soucier de l’intérêt commun.
Si vous travaillez dans le service public et décidez de faire un tour dans le privé, vous « prenez du retard » sur les autres fonctionnaires et handicapez votre carrière. Loin de vous servir ou valoriser, votre expérience peut vous pénaliser. A l’inverse, si vous intégrez le privé, en venant du service public, il faudra convaincre l’entreprise que vous n’avez pas été « contaminé » par les fameux défauts de ce service public… C’est un peu poussé, je vous l’accorde, mais c’est encore, en grande partie comme ça. Les cas de transfuges dans mon genre sont heureusement de plus en plus fréquents…

Quels sont les métiers aujourd’hui proposés par la branche matériel ? Quels profils recherchez-vous et quels atouts l’entreprise possède-t-elle qui puissent donner envie de venir renforcer vos équipes ?

Beaucoup d’ingénieurs, débutants comme chefs de projet (ingénieurs études comme opérationnels), des contrôleurs de gestion attirés par l’industrie en ce qui concerne la finance ; beaucoup d’acheteurs également et quelques juristes. Le tout possédant une réelle appétence à se rapprocher de la vie concrète (avec un TGV toutes les 4 mn sur la ligne Paris Marseille, imaginez l’effet boule de neige et les conséquences d’une panne !), ajouté à cela : une bonne capacité d’abstraction. Concernant les atouts : vous intégrez un groupe qui possède de multiples branches, des filiales commerciales et internationales en plein essor, dont la mobilité est le maître mot et qui, de plus, sait fidéliser ses troupes. Les perspectives sont donc très ouvertes.

Le fait d’être issu de l’université (et non d’une « grande école ») a-t-il eu une incidence sur votre carrière ?
Oui : on vous demande davantage de refaire vos preuves à chaque fois, contrairement à certaines écoles dont le diplôme semble servir de sauf-conduit sans date limite (c’est très français). Pourtant, chaque filière a ses avantages et les entreprises commencent à en user, autonomie et ouverture d’esprit semblant par exemple être davantage reconnu aux diplômés issus de l’université. Mais c’est ensuite la capacité à évoluer, à s’adapter et, surtout, à manager qui importe. Or cela, on ne vous l’apprend pas en cours. La France regorge de têtes bien pleines, mais manque encore de bons managers.

remerciements au Journal des grandes écoles et universités (septembre 2014)