mercredi 6 août 2014

Nouvelle de l'été

 Rencontre imaginaire entre un commissaire de l’air et  St Exupéry

Une fois n’est pas coutume, nous diffusons une courte nouvelle écrite par l’un de nos membres à l’occasion du 70ème anniversaire de la disparition de l’écrivain-pilote, dont les écrits et la philosophie sont chers à beaucoup d’entre nous.

"On avait appris la prochaine arrivée de St Exupéry au II/33 par le QG du 3ème Photo Reco Group, alors que nous étions à Alghero en Sardaigne. Le capitaine Gavoille avait reçu un câble comme quoi il était à nouveau autorisé à voler pour 5 missions.

La nouvelle s’était rapidement répandue. Côtoyer le célèbre aviateur, le grand écrivain, l’ami de Mermoz et de Guillaumet émoustillait tout le monde, surtout les plus jeunes.

Pour ma part, j’attendais avec impatience l’arrivée du grand homme, mon ami Antoine, avec qui j’avais été à Orconte en 1940. Je n’étais alors qu'officier des détails du II/33 mais, bizarrement, nous nous étions liés d’amitié et avions souvent discuté, sur les évènements et sur ses missions bien sûr mais aussi sur la littérature, ses deux premiers livres et les difficultés de l’écriture, ou encore sur le cinéma, tout cela entre deux tours de cartes dont il était friand. Il était naturellement simple et prenait plaisir, je crois, à ces échanges qui le changeaient certainement des discussions plus techniques qu’il avait par ailleurs avec les autres pilotes et les mécaniciens ou encore des traditionnelles « gaîtés du régiment » au bar de l’escadrille.
Devant la popote du groupe à Orconte, à gauche M. Boucheron, le propriétaire de l’hôtel, ltt Gavoille 3ème à g,
St Ex avec la cigarette, votre serviteur à droite













Souvent, lors de nos discussions (je dois à la vérité de dire que c’est surtout lui qui parlait), il abordait des questions essentielles, au détour d’un souvenir ou d’une pensée. Ainsi, un jour il me surprit en murmurant, le regard lointain,  « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux » (« tiens je la note celle-là », ajouta-t-il l’œil malin, en écrivant sur le dos de son paquet de cigarettes).

Il m’avait aussi fait part de son idée d’un livre sur cette Campagne de France, sur le récit des missions elles-mêmes mais complété par des réflexions plus profondes sur l’amitié, la défaite et le sacrifice de sa vie. Il m’avait promis de m’en donner un exemplaire dédicacé « après la guerre », comme il disait.

général Perret

Après l’armistice, j’avais été affecté en Afrique du nord et promu capitaine. En 1942, j’avais appris la création d’un nouveau corps d’officiers, appelés « commissaires ordonnateurs de l’air » et je m’étais porté candidat au premier concours. Le sort m’avait été favorable et j’avais été affecté dans ce nouveau service de l’Intendance de l’air, dirigé par le commissaire général Perret. A Alger, notre rôle n’était pas encore bien fixé et j’avais rapidement demandé à être chargé du suivi des unités volantes françaises reconstituées et réarmées par les américains. Parmi celles-ci, figurait le II/33, équipé désormais de superbes Lockheed Lightning, bimoteurs et bipoutres.


Comme prévu, St Exupéry arriva donc à Alghero le 16 mai 1944 en Dakota et il fut surpris de me trouver là, avec ce nouvel insigne qu’il ne connaissait pas, une feuille d’acanthe stylisée. Etant chargé du suivi de plusieurs unités, nous nous voyions moins qu’à Orconte mais, à chaque fois, sa bonhommie, sa confraternité, sa simplicité m’enchantaient, même si je lui trouvais parfois un air las, sans doute la conséquence de ses douleurs au dos dues à ses quatre accidents passés.

Ayant déjà volé sur le Lightning en 1943, ses missions de guerre débutèrent rapidement, le 14 juin sur Rodez et Albi, le 23 juin sur Avignon puis le 29 juin, jour de son anniversaire, sur Grenoble.

Le 17 juillet, le transfert des unités entre la Sardaigne et la Corse ne fut pas simple - je peux en parler en connaissance de cause - mais le II/33 put s’installer à Borgo, près de Bastia, et reprendre ses missions en vue du futur débarquement en Provence.

Une mission étant programmée pour St Exupéry le 31 juillet sur Grenoble et Annecy, je décidais de l’accompagner au petit matin. Comme à Orconte, la question rituelle fusait dès qu’il me voyait : « Alors, comment va l’homme des détails, ce matin ? », à la suite de quoi je répondais invariablement «  J’ai un pilote en moins et un écrivain en trop, je vérifie mes effectifs ». Avant d’aller à la tente ops, je l’aidais à vêtir sa combinaison, ce que faisait habituellement le sergent-chef Potier ou son mécanicien Peinado.
Votre serviteur assiste St Exupéry de bon matin
De retour des ops, il s’installa dans le cockpit, avec peine, mis les moteurs en route et nous fit le signe OK avec le pouce. Le décollage pour le continent eut lieu à 8h35. Je repartis à mes affaires et ce n’est qu’en fin de journée que j’appris que St Exupéry, n’était pas rentré. Toutes les hypothèses étaient envisagées, notamment un atterrissage en campagne ou un saut en parachute, mais qui s’avérèrent de plus en plus improbables avec le temps.

Je repensais alors à cette lettre qu’il écrivait la veille au soir sur sa petite table et dont il m’avait lu le passage suivant : «  Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien...Moi, j'étais fait pour être jardinier».


Et, par la suite, durant toute ma carrière de commissaire de l’air, j’ai essayé d’agir dans cet esprit, tel un "jardinier" appliqué et attentionné, au profit des individus dont j'avais la charge."


Crédits photo : 1- Icare n°78, 4 et 5 : John Phillips/Gallimard, 6 : Collection Raymond-Duriez/Musée d'Angers Marcé, avec nos remerciements; remerciements également à l'Armée de l'air (SIRPA) et à la Fondation Antoine de St Exupéry pour la Jeunesse (FASEJ)