samedi 2 février 2013

Elève commissaire en 1983
par le Commissaire colonel (cr) Jean-Jacques Pretot (promo 83) (le Piège n°97 - 1984)


« Je vais vous apprendre le pas cadencé ... »
« Section, à mon commandement, garde a vous ! » - Souffle retenu -
« Repos ! » - Hésitation - « Non, garde à vous ! A gauche, gauche. Je vais vous expliquer, vous démontrer et vous faire exécuter le pas cadencé ainsi que le changement de pas ».
Les élèves de la promotion l983 de l'école de l'air, rassemblés à l'occasion sous mes ordres, le temps d'un test de manoeuvre à pied (MAP), me regardaient amusés. C'était devenu habituel. Intrigués aussi. Qu'est-ce que je pouvais faire en cette fin d'après-midi d'automne ? Ils attendaient mon explication. Le brigadier aussi.
« Le pas cadencé, comme son nom l'indique, est destiné à marcher. » Ma voix s'éclaircit. La bonne humeur surprend les rangées. Je leur démontrai mon pas cadencé. Rires. Je revins sur mes pas. Il fallait le leur faire exécuter, donner un ordre de départ. Je levai les yeux au ciel, sans voir les bouches murmurer les ordres que je semblais chercher et que les dieux ne me soufflèrent pas. J'en voulais décidément à la ruse du destin qui m'attira à l'école du commissariat de l'air, alors qu'il aurait été plus simple que je demeurasse dans cette école d'administration qui me préparait à une carrière civile et sédentaire au sein du ministère de la défense.
Goût de l'aventure intellectuelle, conquête d'un objectif à court terme que je m'étais fixé, désir de revenir au sein de la jeunesse que je voyais avec dépit s'éloigner progressivement, dans les bureaux encombrés de l'administration centrale ?
«Section, au pas cadencé, en avant, marche !». Satisfait d'avoir enfin donné mon ordre, je ne pris cependant pas la peine de rassembler mes camarades en colonnes parfaites. La formation évolua en troupeau - Rappel. Mon brigadier ne sourit plus. « On s'est bien amusé - maintenant, soyez sérieux – Regardez, vous êtes aspirant, ce sont pour l'occasion vos hommes. Commandez-les !
Mais ... »
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Le petit Charles Bovary n’aurait pas émis de sons plus incompréhensibles, ni de soupirs plus las. La fraîcheur de l’air nous rendait tous impatients d’en finir. C’était le crépuscule. Je pensai à la soirée, à la pizza que j’irai chercher avec C., notre aimable commissaire féminin qui partage nos rires et nos soucis, au dernier livre que j’irai feuilleter chez le libraire du Cours Gimon et bien sûr à la grande surface de meubles près de Marseille, car un élève commissaire, c’est d’abord quelqu’un qui va « s’installer » provisoirement, qui se heurte aux premières difficultés de la vie quotidienne, cautionnements pour les agences, crédits, assurances pour la voiture, démarches administratives qu’il faut effectuer dans les quelques minutes s’écoulant entre la fin des cours à 16h15 et la fermeture des bureaux d’EDF à 17h, celle des agences à 18h30.
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« L’ordre du changement de pas se donne en deux temps… »
L’exercice me semblait interminable. Et ces quelques poussins qui m’ont chargé de faire leurs courses, n’ont-ils pas d’autre désir que j’en finisse ?
Mon brigadier m’interrompit dans mon exercice. Je m’exécutai, étonné. Les poussins me crurent vexé. J'étais soulagé. Je dus une dernière fois rassembler la section, faire rompre les rangs, mon ordre préféré, et me précipiter auprès de mes amis afin de mettre au point notre « plan ». La soirée commençait, accélérée sur les routes de la région, précipitée parfois même dans les rues ou les boutiques de Salon.
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Après deux mois de période bloquée, qui tout à la fois me surprit et m'enrichit de la connaissance des «scientifiques », qu'en bon Khâgneux d'origine, je n'approchai à vrai dire jamais, de l'autre côté de la cour d'un même lycée parisien, la fin des cours de 1'école me rappelle justement la « sortie de lycée » des adolescents : un défoulement qu'entravent cependant les embouteillages à la sortie de la Base.
Et chaque matin, je suis accueilli dans mon ancienne chambre par « mes » poussins qui s'affairent mais prennent le temps d'ébaucher une conversation passionnante - que vient malheureusement interrompre le sifflet du rassemblement. Je rejoins 1'école du commissariat et c'est alors le vif de la journée : de nombreux intervenants se succèdent nous faisant aborder les sujets les plus divers. Par exemple, à la sortie de l'école, l'élève commissaire devra tout connaître de la restauration collective, de la réalisation des matériels de toutes sortes et de l'organisation des bases aériennes, mais aussi des organigrammes des états-majors, de la répartition des compétences entre régions aériennes et grands commandements spécialisés, du statut de chacun des personnels vivant dans l'armée de l'air et de leur mode de gestion… Je n'évoquerai que pour mémoire, les techniques aéronautiques, la comptabilité ou l'informatique… Et encore, cela n'est qu'un début - prometteur - si j'en juge par le « programme général des études » qui m'a été remis ! Heureusement la succession de nos interlocuteurs est entrecoupée par des « pauses ». A ce moment-là, dans le salon-bar confortable qui frappe tous nos visiteurs, nous nous racontons la soirée de la veille, les actualités nationales du jour, le programme du lendemain.
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Officiers, administrateurs ? Malgré les pensées diffuses qui m'assaillent pendant les exercices de MAP - mais que celui qui n'a jamais pêché me jette la première pierre - j'ai conscience de la nécessité des contraintes de ce nouvel environnement. Et puis, après tout, j'ai signé, alors ... « garde à vous » !