lundi 27 avril 2020

Commissaire de l'air spécialiste des matériels

Par le commissaire général (2S) René Rame

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Nous poursuivons la rediffusion - avec ce 6ème épisode - de cette chronique de l’après-guerre et des années 60 qui nous éclaire sur les fonctions d’un commissaire de l’air dans une armée de l’air alors en plein renouveau.
                                                                 
Après Alger, en 5ème région aérienne (1946-1948), le 1er CATAC en Allemagne, les Commissariats des bases aériennes en Allemagne, à Luxeuil puis à Aix-en-Provence, puis la vie d’un commissaire colonel en région, adjoint au DRCA à Aix-en-Provence, voici maintenant l’exercice du métier dans le domaine des matériels.


Épisode 6 Le métier de commissaire de l’air dans le domaine des matériels (1964-67 et 1971-73).

1-Chef du bureau technique de la DCCA (1964-1967)

Héritier du service technique installé à Versailles, le BT / DCCA qui se trouvait à mon arrivée au bastion 68 (1), a déménagé un an après environ, au sein du 26, boulevard Victor. La baraque dans laquelle il s'est logé était beaucoup plus confortable que les vieux locaux du bastion. Dans ceux-ci, peu de temps après mon arrivée, constatant par-ci, par-là, des trous dans le parquet, où les dames risquaient d'enfoncer leurs talons, j'avais demandé l'âge de ce parquet en avançant : 30 ans, 50 ans. Mon interlocuteur du service infra qui connaissait bien ce bâtiment avait souri : «plus de 100 ans», m'avait-il répondu…cela renvoyait à Napoléon III !

Le BT comprenait un bureau courrier, une bibliothèque d'ouvrages techniques, comme il se doit, une section textiles – cuirs (2 ou 3 officiers, quelques sous-officiers), une section matériel (même effectif, grosso modo). Après une dizaine d'années passées en CBA-DCA (2), au contact plus ou moins rapproché des bases aériennes, c'était un travail nouveau très différent qui m'attendait.

Les études de matériels nouveaux, de l'expression initiale du besoin au prototype et à la présérie impliquaient des relations permanentes avec les fournisseurs, le centre d'essai de Mont-de-Marsan, divers laboratoires, celui de l 'ECCA de Ris-Orangis (3), des arts et métiers, du centre technique et scientifique du bâtiment etc.…Sans doute en est-il à peu près de même 40 ans après |article écrit en 2003]. Chaque étude avait un cheminement type, applicable à toutes les études de matériels nouveaux, comportant une vingtaine de passages obligés. Le recalage mensuel pour vérifier l'avancement des travaux en était facilité et clarifié. Telle étude en était à l'étape 4, telle autre à la phase g, etc. Il y avait en permanence, en chantier, me semble-t-il, de 15 à 25 études.

Roulantes au charbon
Les enquêtes sur les bases aériennes concernaient essentiellement les visites préalables avant renouvellement des gros matériels de cuisine. A l'époque, on remplaçait systématiquement les cuisinières au charbon par des cuisinières au gaz. Il s'agissait de définir le besoin avec précision pour permettre le lancement du marché.
A l'occasion, il y avait aussi des enquêtes particulières à la suite de doléances, incidents, accidents etc.[..]
Le BT / DCCA participait à une sous-commission intendance commissariats Air et Marine, chargée de définir des normes communes pour certains gros matériels.
Un travail d'analyses, de recherches, d'imagination, sans cesse renouvelé, qui impliquait le concours des connaissances et de l'expérience de plusieurs cerveaux. Alors commissaire lieutenant-colonel, cette affectation m'a beaucoup intéressé.

A cette époque, depuis plusieurs années déjà et pour encore pas mal d'années, un sujet de conversation revenait fréquemment entre commissaires. La fusion intendance – commissariat, ou plutôt l'absorption du commissariat par l'intendance. C'était comme un épouvantail à moineaux.
La grande majorité ignorait ce qu'il en était exactement, et l'on imaginait le pire. Chacun se sentait menacé dans ses habitudes, son environnement, son avenir. D'autant plus que l'intendance obtenait, d'année en année, la réalisation interarmées d'un nombre d'articles sans cesse accru. Une psychose de guerre froide…Apparemment, des mesures de coordination, de rapprochement, ont été prises mais, le scénario catastrophe ne s'est pas réalisé.

Voilà un sujet à développer dans une publication si rien ne s'y oppose, pour retracer l'évolution, sujet qui intéresserait certainement beaucoup d'anciens (4).

2- Commissaire colonel directeur de l'établissement central du commissariat de l'air n° 797 de Chamalières – et commandant de la base aérienne 291 (1971 – 1973)(5)


Maire de Chamalières
Cérémonie réglementaire de prise de commandement, présidée par le général Debordas, commandant la 4ème RA. Parmi les invités, monsieur Giscard d'Estaing, maire de la localité, futur président de la République.

Coïncidence, pour la 2ème fois, je succède au sympathique camarade Colombe, la 1ère fois étant au CBA de Luxeuil. Mon titre de commandant de base me permet d'assister à diverses réunions au niveau régional, je conserve un lien avec la 4ème RA que je viens de quitter.

J'ai été affecté à ce poste comme liquidateur (selon l'expression du directeur central), chargé d'amener progressivement à zéro les stocks, les matériels de servitude de toutes natures, les effectifs de personnels civils et militaires, tout en poursuivant pendant environ deux ans, un fonctionnement normal ou à peu près.

Fonction de directeur, nouvelle pour moi qui, antérieurement, n'ai jamais été affecté dans un établissement à l'activité semi - administrative et semi – industrielle, si l'on peut dire.

PC
Je découvre immédiatement une certaine particularité. Jusqu'ici, le personnel civil fonctionnaire des CBA, DRCA et DCCA, chaque fois en petit nombre relatif, n'avait pas attiré mon attention. A Chamalières, il y a également des fonctionnaires dans les bureaux, mais aussi et surtout une soixantaine d'ouvriers dans les magasins, ateliers…catégorie de personnels qui se distingue nettement, statut spécial, trois ou quatre délégués syndicaux avec des autorisations légales d'absence, pour activité syndicale, participation aux grèves générales, demandes d'audience auprès du directeur pour lui lire un texte de protestation, venant du siège central à Paris, à la suite d'une décision d'ordre général (que j'ai oubliée) du ministre etc. Il faut donc apprendre à travailler avec eux, en pleine connaissance des textes les concernant, car ils sont, ou tout du moins à Chamalières, ils étaient, très chatouilleux !

Tâche de liquidateur très intéressante, application à un cas concret des connaissances acquises, lors de trois ou quatre stages de 1964 à 1967, relatifs aux problèmes d'organisation, d'ordonnancement des opérations, de planification etc. Réflexion à tous les niveaux, réunions d'orientation, projets, synchronisation, aboutissent à une programmation par service, plus fine, plus détaillée. Mise en route et, tous les mois, réunion de recalage. Il ne faut pas qu'une opération gêne soit le fonctionnement courant qui se poursuit, soit la suite de la déflation…Tout s'est passé sans heurt avec l'application de tous les responsables.

A mon arrivée, les stocks représentaient 200-220 wagons. A mon départ, peu avant la dissolution définitive, 20 wagons. A ce moment-là, tous les personnels civils (58 ouvriers et 15 fonctionnaires) connaissaient leur prochain sort, en conformité avec leurs désirs : 19 en préretraite, 20 affectés à l'Etablissement tout neuf de Portes-lès-Valence, 34 affectés sur place dans la garnison Aulnat - Clermont-Ferrand dont 20 à l'armée de terre, essentiellement l'ERGM, principale partie prenante.

Je cite cet organisme, car j'ai rencontré chez son commandant beaucoup de sympathie, de compréhension, de sincère camaraderie, puis-je dire. C'était un lieutenant-colonel, bel homme, dans la force de l'âge (40-45 ans), grand, solide, toujours souriant. Je l'avais invité plusieurs fois à déjeuner à l'établissement (petit mess mixte).

Je lui avais présenté les personnes dont il serait prochainement le patron. Il a été foudroyé par une crise cardiaque quelques jours après l'officialisation du transfert des personnels civils. Je lui rends, ici, un ultime hommage pour sa franche coopération. A ses obsèques, la délégation ECCA suivait la délégation ERGM. A mes côtés, les officiers de l'ECCA et une partie du personnel (dont ceux affectés à l'ERGM).

Réussir à caser 73 civils n'a rien de simple. Bien évidemment, il faut d'abord assimiler les textes en la matière, mais il faut aussi de très nombreux contacts personnels, il faut plaider la cause de certains personnels auprès de futurs employeurs potentiels, il faut convaincre plus d'un intéressé lorsque se pose le choix entre le souhaitable et le réalisable.

(1) Voir article « Le SACA 875 au bastion 68 » (1er mars 2020)
(2) Voir épisode 4
(3) Voir article « Du SFCA au SELOCA » (janvier 2015)
(4) Réflexion prémonitoire, en 2003
(5) Voir articles « Chamalières, Mémoire des lieux » (juin 2019), « 1973 - Fermeture de la base-établissement de Chamalières » (septembre 2018)