jeudi 16 mai 2013

Commissaires et aviateurs


"Les commissaires ont toujours été là pour m’épauler ou me conseiller"
par le général de corps aérien François Bourdilleau

Au moment où les commissaires de l'air quittent notre armée de l'air pour se fondre dans une structure interarmées, changer de corps et de statut tout en perdant toute appellation de grade, il me vient l'envie de témoigner sur le travail fait en commun et sur le soutien qu'ils m'ont apporté à chacun des postes de responsabilités qu'on a bien voulu me confier.
Comme tous les piégeards, j'ai découvert les commissaires lorsqu'ils ont débarqué dans nos brigades après les "bahutages" qui nous avaient bien malmenés. Il va sans dire que leur intégration n'a pas été spontanée, puisqu'ils n'avaient pas partagé avec nous cette petite épreuve qui avait soudé brigade et promo ; de plus, nos différences d'âge et leur cursus universitaire ne nous rapprochaient pas. Nous nous demandions d’ailleurs à quoi allait bien pouvoir leur servir leur licence en droit…



 Ce n'est qu’après être devenu commandant d'escadron sur une base fort peu ensoleillée du nord de la France, que j'ai commencé à réaliser l’étendue des petits et grands services que le professionnalisme, l’esprit d'initiative et l’imagination du commissaire pouvaient rendre au quotidien à chaque commandant d’unité et, par voie de conséquences, à ses personnels. Son périmètre de responsabilités permettait d'améliorer les conditions de travail, par le biais des plans d'équipement, mais il couvrait aussi la restauration au quotidien, mais surtout celle de campagne, ce qui est évidemment un élément essentiel pour le moral et l’allant de tout un escadron en période d'exercice.

Bien plus tard, ayant été nommé commandant de base dans la splendide et si accueillante Alsace, j'avais un commissaire qui cachait sous une apparence quelque peu réservée et taciturne, un dévouement sans faille, mais aussi un humour assez caustique. Pour l’anecdote, il avait pour habitude d’arriver le tout dernier dans la salle à manger du commandant de base, et il n'y pénétrait que si il était assuré que nous ne serions pas 13 à  table ... Il manifestait infiniment plus de témérité dans l'ensemble de son domaine de responsabilités, et lorsque je le sollicitais pour un investissement non programmé et un peu "inhabituel" afin d'améliorer les conditions de vie ou de travail de certaines unités, il trouvait à chaque fois une solution légale.

Lorsque j'ai eu la chance de revenir au milieu des forces vives en prenant la tête du CASSIC, j'ai à nouveau pu mesurer l'efficacité et le dévouement des commissaires au profit des personnels servant dans des unités où les conditions étaient difficiles comme dans les stations hertziennes, mais également au profit de tous ceux qui étaient engagés sur le terrain, en particulier en opérations. Ils faisaient d'ailleurs très souvent partie des tout premiers à enfiler leur tenue de combat pour rejoindre le théâtre et s'y immerger au milieu de ceux qu'ils devaient soutenir. On me rapportait d'ailleurs régulièrement que sur les théâtres d’opérations (le principal pour mes unités était alors l’aéroport de Sarajevo), la qualité du soutien offert aux aviateurs par leurs commissaires était bien souvent jalousée.
Enfin, dans mes ultimes responsabilités au sein de l'armée de l'air, celles de major général, j'ai à nouveau été épaulé par les commissaires chaque fois qu'ils étaient partie prenante dans l'un ou l'autre des domaines dont j'avais la charge. En particulier, après les attentats du 11 septembre 2001, lorsque l'armée de l'air a du déployer des moyens aériens à Manas, au Kirghizistan, les commissaires se sont impliqués à l'égal de tous les autres spécialistes, pour que ce déploiement se fasse au plus vite, et que nos personnels trouvent sur place des conditions de vie du meilleur niveau afin de pouvoir assurer sereinement les missions très difficiles qu'ils auraient à conduire. J’ai aussi pu constater la réelle capacité d’innovation de certains commissaires dans la mise en place de nouvelles modalités de management, l’armée de l’air a ainsi pu être novatrice dans le domaine de la mise en place de son contrôle de gestion, méthode bien rôdée à présent et qui compte parmi les outils de « pilotage » des armées.

J’ai quitté l’armée de l’air depuis déjà 9 ans, et lorsque je jette un regard en arrière, je réalise sans surprise que, comme tous les jeunes, j’ai été présomptueux, et  que le petit poussin de 67 avait été bien imprudent dans le jugement quelque peu distant qu’il portait alors sur les commissaires qui venaient de rejoindre sa brigade. Mais par la suite, à chacun de mes postes de petites ou grandes responsabilités, l’un ou l’autre de ces commissaires a toujours été là pour m’épauler ou me conseiller et surtout s’attacher à faire tout son possible pour m’aider a réaliser dans les meilleures conditions matérielles la mission qui m’était confiée. Ils étaient alors des « aviateurs » au même titre que tous les autres spécialistes dont ils partageaient la vie intime au quotidien sur nos bases mais aussi sur les théâtres d’opérations. Ainsi immergés au cœur même des forces vives de notre armée de l’air, ils en percevaient les besoins en matière de conditions de vie et de travail, avant même qu’ils ne soient formellement exprimés, démontrant ainsi à la fois leur raison d’être et leur efficacité au service de la mission commune.
Comme certains sans doute, je m’interroge sur leur efficacité future au profit de notre armée de l’air alors qu’ils n’en feront plus véritablement partie ? Tout d’abord, parce que porter une double casquette n’a rien de confortable, mais aussi parce que les priver de vrais grades, laissant à penser qu’ils ne sont plus des combattants, risque de mettre à mal leur crédibilité au sein des forces.

François BOURDILLEAU (67)

(remerciements à l'AEA et à la revue Le Piège)